avalon + une tequila et une oreille attentive.

Tu appréciais les soirées tranquilles au bar. Pas trop de monde qui demandait sans arrêt un nouveau verre, pas trop de clients insatisfaits qui trouvaient le cocktail trop ou pas assez… parce que tu n’aimais pas avoir affaire à ce genre de clients. Clients jamais contents. Clients trop peu patients. Clients chiants, tout simplement. Tu n’avais jamais eu de formation pour être barman, et tu n’étais même pas sûr qu’il en existe. Tu savais faire les boissons qu’il y avait sur la carte et tu savais encaisser les billets et pièces qu’on te donnait pour payer. Ça suffisait. Bien sûr, il y avait les quelques fois où des hommes trop alcoolisés –parce que bizarrement ça n’arrivait qu’aux hommes- commençaient à devenir trop agressifs. Ces fois là, tu faisais ton boulot : avec tes collègues vous sépariez la source du problème de sa victime et vous la mettiez dehors. C’était ça, aussi, le métier. Et encore, aux 100 marches, ça n’arrivait pas souvent du tout, alors tu étais chanceux de ce côté-là.
Ce que tu aimais aussi dans les soirées calmes comme celle-ci, c’était que tu avais le temps. De parler avec tes collègues, de parler avec tes clients, de t’attarder sur des conversations qui pourraient t’intéresser. D’écouter la musique qui passe en fond, parce que parfois il y avait de belles choses, ou encore d’observer ce qu’il se passe dans la salle. Parfois il n’y avait pas d’animation, d’autres fois, si. Ces fois là, tu aimais regarder les participants. Comme les soirées karaokés qu’organisait parfois le bar. C’était agréable de pouvoir se reposer et profiter, même si tu travaillais. Qui n’aimerait pas ça ? Et ce soir, visiblement, tout semblait aller parfaitement pour que ça soit une bonne soirée. Et c’est grâce au peu de monde dans le bar que tu as pu apercevoir une brune que tu avais déjà vu à plusieurs reprises au bar. Et c’était parce qu’il y avait peu de clients à servir que tu allas vers elle, quand elle s’assit sur l’un des sièges, au comptoir. Tu esquissas un sourire. « Ce sera encore une Tequila Sunrise pour mademoiselle, ou elle voudrait tenter autre chose ? » S’il y avait bien un endroit où tu allais vers les gens, c’était derrière ce bar. C’était ton métier, alors aller les voir, aller leur parler, faire, en quelques sortes, le premier pas, c’était ce qu’il fallait que tu fasses. Parce qu’après tout, tu n’étais pas une plante verte, et tu ne gagnais pas ton argent pour rien.

Et tu te souvenais de cette jeune femme. Ton âge, à peu près. Peut-être plus, peut-être moins. Elle venait de temps en temps, mais tu te souvenais d’elle, parce qu’à chaque fois, c’était toi qui la servait. Et elle commandait, chaque fois, une Tequila Sunrise.

Tu réfléchis. Tu te creuses la tête. Un cocktail bien à toi ? Une potion magique ? Tu n’avais pas l’habitude d’en faire, bien au contraire. Mais parce qu’on n’en demandait jamais. Ils prenaient ce que vous serviez, et puis ça allait comme ça. Tu ne l’aurais pas fait, si ça avait été un badaud éméché. Mais elle n’avait rien d’un ivrogne. Alors tu lui trouvas quelque chose, que tu faisais de temps en temps, quand tu voulais boire un peu chez toi, pour te détendre, tu faisais avec ce qu’il te restait, mais au bar, il y avait tout ce dont tu avais besoin pour faire un bon cocktail. Une bonne potion magique, comme la brune l’appelait. Alors tu lui fais signe d’attendre un peu et tu te retournes vers les réserves de bouteilles d’alcool. Tu t’empares d’une bouteille de champagne déjà ouverte, une autre bouteille, de cachaça cette fois et un verre pour y mettre ton mélange. Tu prends une moitié de citron dans le frigo et le coupe en plusieurs morceaux, avant de l’écraser dans le verre, en versant par-dessus du sucre de canne, pour que le jus s’y mélange. Puis tu prends des glaçons avant de les piler et de les mettre dans le verre, avec ce qu’il y avait du citron et t’empares de la bouteille de cachaça, que tu verses jusqu’à ce qu’elle arrive au niveau du citron. Dans le cocktail initial, tu dois monter un peu, mais comme tu rajoutais du champagne par-dessus pour rajouter de l’amer au cocktail, tu t’arrêtais plus bas. Alors tu termines ton cocktail avec le reste de champagne et coupe une rondelle de citron que tu entaille ensuite pour le glisser sur le verre. Tu prends le petit verre de tes grandes mains avant de l’apporter à ta cliente, devant laquelle tu le pose avant de prendre une paille dans une boîte juste sous le comptoir, de plier l’accordéon pour la tordre et la plante dans la Caïpirinha arrangée, un sourire dessiné sur la commissure de tes lèvres. « la potion magique est servie, j’espère qu’elle sera à votre goût. » tu annonces, en t’appuyant sur le comptoir. « besoin de changement ? » tu demandes ensuite, en jaugeant le verre de tequila sunrise, vide, qu’elle recommandait habituellement malgré tes invitations à tenter autre chose que ce qui semblait être sa boisson favorise. Mais après tout, ce n’était pas si mal, de changer ses habitudes.

hrp:

La brune se met aussitôt à porter la paille à ses lèvres, et tu la regarde d’un œil curieux, tout en observant la salle et les personnes qui s’y trouvaient. Pas grand monde d’intéressants, pas de problème, tout allait pour le mieux, alors tu pouvais rester discuter avec la cliente qui semblait aussi désemparée pour une raison quelconque, que surprise par ce qui devait attiser ses papilles en l’instant. Puis elle te dit qu’elle aime ce que tu lui as préparé, que ça change de ce dont elle à l’habitude. Tu réponds par une simple moue, satisfaite. C’était bien la première fois que tu préparais un cocktail de ce genre pour un client, et que ce soit une réussite, pour cette cliente-ci en tout cas, était une bonne chose. Il y a comme un arrière ton amer dans ce qu’elle te répond ensuite, quand elle parle du changement. Tu ne te serais douté qu’il y ait quelque chose d’aussi grave qui puisse autant assombrir le visage de la brune, alors tu acquiesce simplement, sans trop savoir quoi répondre. Toi, t’es vraiment pas le genre de gars qui sait parler et réconforter. Tout c’que tu sais faire, c’est acquiescer. T’manière, tu parles déjà pas beaucoup, mais on t’a jamais reproché de ne pas savoir quoi dire lors de ces moments là, alors bon, t’essayes pas de faire d’efforts. Elle ne t’en dit pas plus, mais tu te doute de toutes manières que ce doit être un problème personnel. Sans vouloir parler sans savoir, ce qui revient le plus souvent, c’est les peines de cœurs. Ensuite, les problèmes de santé, et enfin, les vieux souvenirs qui refont surface. Pour la cliente qui se tenait de l’autre côté du comptoir, tu miserais plus sur une peine de cœur. Et plus tu avances dans ta réflexion à imaginer ce qu’il a bien pu arriver à la jeune femme, en toute discrétion et en gardant bien ça pour toi, comme tu le fais toujours, plus elle vide son verre, et en quelques minutes, il est terminé. Tu l’observe, les yeux ronds. Certes, la caïprinha est facile à boire, mais ta version peut être traître. Tu hésites, lorsqu’elle t’en redemande une, mais tu finis par céder. Après tout c’est une cliente. Tu acceptes donc d’un signe de tête, avant de lancer « mais si je peux vous donner un conseil, vous feriez mieux de passer à quelque chose comme un jus sans alcool ou de l’eau après, histoire de décuver un peu. » alors tu vas le lui préparer, et en quelques minutes, tu as reproduis le même cocktail, avec les mêmes mesures –ou presque, tu as réduit le champagne et le rhum brésilien utilisé.­- et tu le lui présente de la même manière, avec une paille et une rondelle de citron. « voilà pour mademoiselle. Ou madame ? » tu demandes finalement, presque en murmurant pour ta propre réflexion. Tu utilises rarement ces appellations, et quand tu le fais, c’est généralement par mégarde. Tu n’aimes pas avoir à faire face à des "madame" que tu surnomme "mademoiselle" ou inversement. Il peut y en avoir des biens chiantes qui te prennent la tête pour un rien. Tu grimaces en guise d’excuse en avance à la brune avant de te servir de l’eau dans le verre que tu gardes de ton côté du comptoir, pour quand tu as toi-même besoin de boire quelque chose.