(Maona) Après la colère, l'inquiétude...

Minuit trente du matin. Eneko tourne en rond dans l’appartement, n’arrive pas à rester en place. Il se lève du canapé, se dirige vers la fenêtre ouverte pour observer les alentours, à l’extérieur. Elle n’est pas là. Maona ne revient pas. Il reprend son portable pour la énième fois et regarde s’il n’a pas un message qu’elle lui aurait envoyé, au moins pour le prévenir qu’elle ne rentrera pas cette nuit, qu’elle est chez une amie. Un message pour le rassurer, qu’il ne s’inquiète pas, qu’il soit apaisé en se disant qu’elle va bien, mais il n’est pas certain qu’elle ait envie de lui envoyer un message pour lui faire le moindre bien avec toutes ces choses qu’il lui a dite plus tôt. Des mots blessants, méchants. Il se passe en boucle tout ce qu’il a pu lui dire, c’est horrible. Il sait qu’il n’aurait pas dû. Eneko attrape son manteau, passe le pas de la porte et ferme derrière lui. Maona a les clés, si elle revient, elle pourra ouvrir, mais il ne peut plus rester là, à attendre, il faut qu’il fasse le tour, qu’il parte à sa recherche. Il marche, avec son portable dans ses mains, lui envoie un message, puis un deuxième… Un troisième. Sans aucune réponse. Au bout d’une heure à faire les alentours, il rentre, bredouille et recommence à tourner en rond, pour finir par se poser sur le canapé. L’inquiétude est là. Il se sent bien inutile ici, entre ces quatre murs. Tout ce qu’il peut faire, c’est attendre, en évitant d’imaginer les pires scénarii possibles. Il aimerait pouvoir envoyer un message à sa meilleure amie, pour savoir si elle a des nouvelles. Elle en a forcément. Maona se tournerait vers elle si elle avait des soucis, si elle avait besoin de parler et peut-être bien que son amie l’enverrait bouler en lui faisant comprendre qu’il a mal agi, qu’il lui a fait assez de mal pour la soirée et qu’elle a besoin de se reposer, mais ce serait toujours ça. Au moins, il saurait où elle est à cette heure. Seul problème, il ne connait pas le numéro de sa meilleure amie, de ses amis tout court qu’il n’a jamais rencontré. Sauf Nino. Nino. Un moment, il se demande même si elle n’est pas avec lui. Parce que c’est Nino. Parce qu’elle est attachée à lui. Parce que la dernière fois, elle avait terminé sa nuit avec lui. Il secoue la tête, essaie d’éloigner cette idée de la tête, mais qui revient pourtant plusieurs fois, avant de se forcer à penser qu’elle se trouve avec quelqu’un d’autre, pour ne pas se torturer l’esprit. Il se lève du canapé, marche dans le salon, jette un coup d’œil à sa montre qui affiche maintenant deux heures du matin, puis à l’horloge pour confirmer que les aiguilles de sa montre sont déréglées et n’affichent pas une heure trop en avance, mais non. Il est bien deux heures et deux minutes plus précisément. Et Maona n’est toujours pas là.

La porte s’ouvre et aussitôt, Eneko s’approche de la porte. Il la voit. Elle est là. Il la dévisage sous toutes les coutures… Elle semble aller bien et ça le rassure de la savoir là, plutôt qu’à l’extérieur, dans les rues. Son cœur qui battait à cent à l’heure il y a peu de temps, ralentit, soulagé. Il secoue la tête à sa question dont la réponse lui semble évidente. Il ne pouvait pas dormir après ce qui s’est passé, il ne pouvait pas être serein. C’est le fautif, le responsable de leur dispute, pourtant… Pourtant il ne peut lui dire que tous les mots prononcés étaient seulement sous le coup de la colère, qu’il ne le pensait pas, ce serait lui mentir. La plupart des choses qu’il lui a confiées, Eneko les portait sur le cœur. Il s’en veut cependant de la façon dont ça a été dit. Trop brutalement, trop méchamment. C’est bien la pire des disputes. « Je t’attendais. » Il la suit des yeux, se rapproche de l’îlot sur lequel il pose ses mains en l’observant. « Je n’aurais pas dû te parler comme je l’ai fait. » Son ton employé, la façon dont ils se sont quittés… Ca, il regrette. Il regrette aussi d’avoir comparé Anna et Maona, alors qu’elles ne se ressemblent absolument pas. Ce sont deux femmes différentes, qui n’ont pratiquement rien en commun. Lui, c’est tout. Il regrette de lui avoir dit qu’elles pourraient être amies. C’était de la colère, il s’est emporté, a dit certaines choses pour… La blesser. C’est ça. Il avait envie de l’atteindre, lorsqu’il lui a dit toutes ces choses horribles, de lui faire mal autant qu’il a mal, lorsqu’il repense à ce qui les sépare, ce qui provoque la mauvaise entente, les tensions. Eneko n’en dit pas plus, ne préfère pas revenir sur ce qui a été dit. Il se tourne vers le canapé qu’il désigne d’un signe de la main où est posé une couverture dessus, parce qu’il a sa place ici, parce qu’il ne pense pas qu’elle l’accepte et de toute façon, il ne se sent pas de rejoindre la chambre. « Je vais dormir là cette nuit. » Peut-être devraient-ils en parler ? Il n’a pas envie de la brusquer, de se disputer encore une fois, ni même de lui demander où elle était, ce qu’elle a fait. La fliquer, lui montrer la vérité : qu’il n’a pas confiance en elle. Ce serait la goutte de trop. Ce serait trop d’émotions et elle a besoin de se reposer. Pour elle, pour lui. Il entrouvre la bouche, hésitant, puis tout en l’observant, lui souffle : « Je suis rassuré que tu sois là. » dit-il, en s’approchant du canapé qu’il déplie. Il défait la couverture, la place dessus et remet en place l’oreiller. C’est bien la première fois qu’il dormira sur ce canapé, sans doute pas la dernière.

« Bonne nuit. » qu’il dit, en simple réponse, alors que la porte se referme. Eneko s’assoit sur le canapé, en observant devant lui, en se remémorant la soirée passée, se demandant comment sera le lendemain, si les choses vont arriver à s’adoucir, ou si ça empirera au fil des semaines. Il n’en sait rien. Eneko éteint la lumière, s’allonge dans le canapé et examine le plafond, y voit quelques fines fissures qu’il n’avait pas vu à son entrée ici, mais ça lui est égal. Il se force, ferme les yeux, tente de dormir, jusqu’à ce que la porte s’ouvre, qu’il la sent arriver, s’engouffrer sous la couverture, à côté de lui, contre lui. Il est d’abord surpris, il ne s’attendait pas à ce qu’elle le rejoigne, mais il ne s’en plaint pas et l’encercle d’un bras, avec tendresse, rien à voir avec toute la violence qu’il lui a exprimé il y a quelques heures. Eneko glisse sa main sur sa hanche, son ventre, puis relève son menton afin de croiser son regard. Même s’il lui fait mal, même s’il n’oublie pas, même s’il se sent souvent perdu, il en est amoureux. Il l’aime, mais ne s’y prend pas de la bonne manière. Il tire sur sa lèvre inférieure, dépose ses lèvres sur les siennes, lui vole un baiser très chaste. « Est-ce que… Est-ce que tu veux qu’on en parle ? » Ou peut-être pas ? Il ne sait pas vraiment ce dont elle a besoin, si elle préfère oublier, garder les choses qu’elle ressent pour elle. Eneko ne pense pas que ce soit bon pour autant de vivre sur des non-dits, mais il est apte à le faire. Il le fait déjà. Il capture de ses doigts une mèche de cheveux qu’il place derrière son oreille. Avec tout ce qu’il lui a dit, Eneko craint qu’elle pense qu’il ne l’aime pas, alors il essaie de poser les mots justes pour lui démontrer le contraire, même s’il ignore si ce sera suffisant : « Je suis sincère, lorsque je te dis que je t’aime, Mao… C’est la vérité. Il y a des moments où tout va bien, où je ne vois rien d’autres que nous… Et puis ça revient. Mais ça ne change strictement rien aux sentiments que j’éprouve à ton égard. » C’est fort, c’est intense, peut-être pas au point de tirer un trait sur tout. Il caresse avec son pouce sa joue, s’attarde avec sur ses lèvres. « Tu veux peut-être dormir ? En parler demain. Ou… Pas du tout. » Qu’ils oublient, qu’ils fassent comme si de rien n’était, quelque chose comme ça ? Eneko enroule de nouveau son bras autour d’elle et resserre son étreinte, passe une jambe au-dessus de la sienne.

Les questions qu’il s’est posé précédemment trouvent leurs réponses. Elle n’était pas avec un homme, avec un inconnu, ou dans un bar, même s’il se doutait qu’elle n’avait pas bu à s’en rendre malade. Maona avait l’air d’être elle-même lorsqu’elle s’est dirigée vers le réfrigérateur, même si elle y a rangé une bouteille d’eau. Et ça le rassure, ça lui enlève un poids énorme. Il l’écoute, sans broncher, note ses appréhensions, ses questions, essaie de trouver des réponses qu’il n’a finalement pas. C’est brouillon dans sa tête. Il n’est pas sûr de grand-chose. En douceur, il caresse son bras, la dévisage, puis lâche un souffle. Il faudrait qu’il se lance, mais il n’est pas certain d’être clair tant il ne l’est pas avec lui-même. « Ce n’est pas que je ne t’aime plus… Je t’aime, vraiment. Mais ça ne suffit pas. Ca ne suffira pas à me faire oublier. Je ne pense pas y arriver, à oublier, honnêtement. J’essaie de passer outre, mais c’est plus fort que moi, il faut toujours que je ramène votre aventure sur le tapis. » Comme il l’a fait il y a quelques heures, comme il le fait silencieusement, en visualisant son ventre qu’il touche du bout des doigts. Il hésite, encore une fois, de peur de dire des choses qu’il ne faut pas, de mal s’exprimer… Qu’elle puisse penser qu’il ne veut pas être père, aussi, alors d’emblée, il le dit clairement : « Je veux être papa. Et je me suis attaché à ce petit qui est en train de grandir en toi… Mais… Mais je regrette qu’il soit venu comme ça. Je regrette qu’il soit là et que tu ne puisses pas dire clairement que tu regrettes ton aventure avec Nino. Ca veut dire que tu ne regrettes pas de m’avoir trahi. Ca veut dire que cette nuit doit avoir compté, parce qu’après tout… Il ne mérite pas d’être regretté. » Son cœur se resserre. Il a l’impression que ça tourne en rond, qu’il lui redit les mêmes choses, que ça n’en finira jamais. « Je regrette les conditions. Et si je suis le père… Ca n’empêchera pas la marque indélébile qu’il va laisser derrière lui. Est-ce que tu comprends ? En regardant un enfant, les parents doivent se sentir émerveillés, ils doivent… être ravis. Mais là, le souvenir qu’il nous en laisse, c’est une étape compliquée, une tromperie. Je ne pourrais pas oublier. Tu te rends compte de ce qu’on va lui dire quand il nous demandera comment il a été conçu ? » Il hausse une épaule et souffle : « "Oh, tu sais, au début, on ne savait pas qui était le père. Ca a été extrêmement compliqué." Ma filleule m’a demandé si je n’avais pas l’exclusivité, quand je lui en ai parlé. Est-ce que tu te rends compte ? Tu crois que ce sera sa question, à lui aussi ? » Cette erreur… Elle n’est pas de passage. C’est toute la vie, qu’il va l’avoir en tête. « Alors oui, parfois… Ce n’est pas évident d’être avec toi. Et d’autres fois, ça se passe très bien. Ca dépend des moments. » Ca dépend du sujet de conversation, de ce qui a bien pu se passer dans la journée. « Ce n’est pas seulement parce que le bébé est là, que je reste avec toi, c’est aussi et surtout parce que je suis amoureux de toi, parce que j’aime te sentir contre moi, comme ça, j’aime que tu me regardes de tes yeux amoureux… J’aime sentir que tu me désires. » Le bébé est une raison supplémentaire. Il a envie de le connaître, s’il est de lui. Il supporterait mal d’être éloigné de son rejeton.

Ce n’est peut-être pas bien de le dire pour ce bébé en elle, mais ça lui fait du bien de l’entendre. Ca ne retire pas le fait qu’elle en ait eu envie sur le moment, qu’elle a désiré Nino, mais c’est déjà quelque chose qui l’apaise, un tout petit peu. Maona regrette, parce que c’est en train de les détruire, de gâcher ce qu’ils essaient de construire, parce qu’ils se déchirent. Eneko lui fait mal, se montre méchant et craint que ça puisse arriver de nouveau tant ça reste ancré dans un coin de sa tête. Il adopte le comportement qu’il a eu envers Anna. Il regrette que ça se passe de cette façon, que la tempête qui est en train de passer, soit en train de tout démolir sur son passage. Il mord sa lèvre inférieure, l’intérieure de sa joue aux mots qu’elle prononce. Il l’aime, oh ça oui. Il est aussi incapable de passer sa vie à ses côtés en ne lui rappelant pas ce qui s’est passé. Peut-être que c’est trop récent, qu’il n’a pas assez de recul sur la situation, mais il y a tous les éléments pour qu’il n’y parvienne pas. Il garde le silence, la laisse continuer, alors qu’il sent son cœur se resserrer. Ce discours, ça sonne comme une fin et elle le lui confirme : demain, elle partira. Il aimerait la retenir, lui dire qu’elle a tort, qu’ils peuvent survivre à ça, mais il n’en est pas certain, alors il se contente de caresser sa joue, puis sous ses yeux. Les siens commencent à briller. Les larmes lui montent aux yeux, mais il les retient. Ca lui fait du mal de l'entendre lui dire qu'elle l'aime, de penser que lui aussi, il l'aime, mais que la situation est trop difficile pour être gérée, de son côté. « Je t’assure… Si on laisse de côté cette chose… Tu as été parfaite. Et c’est pour ça que ça me rend malade. Parce que tu as été à la hauteur. C’est bien pour ça que je suis amoureux de toi. C’est pour ça que je t’en veux autant… » Parce que c’est sa petite femme, celle avec qui il se voyait faire plein de choses, celle avec qui il se voyait dans le futur. Des projets, il en avait. C’est ce qui le rend fou. Il sentait qu’il avait trouvé sa petite perle rare, sa moitié. Avec ses pouces, il caresse son visage, efface les larmes qui roulent sur ses joues. Elle veut avorter. Elle ne veut plus le garder. Eneko baisse les yeux sur son ventre, pose sa main dessus. « Ne fais pas ça. Pas comme ça, pas sur un coup de tête, pas parce qu’on met les choses à plat, surtout pas parce que je viens de te dire qu’il ne me fera jamais oublier cette erreur, ou parce qu’il te rappellera ce que tu n’es pas. » Il colle son front contre le sien. « Tu es loin d’être une traînée. Ce n’est pas comme ça que je le vois. C'est vrai que je peine à te faire confiance, mais je ne te considère pas comme telle. Tu n’étais pas bien. Tu étais persuadée que j’étais ton frère. Tu avais envie d’aller mieux. » Il chasse les larmes qui lui montent aux yeux en détournant le regard vers un pan du mur. Maona n’a pas couché avec n’importe qui. Elle s’est retrouvée dans les bras d’un homme qui lui a sans doute fait du bien ce jour-là. D’une manière qu’il ne peut supporter, mais… Elle ne s’est pas retrouvée dans les bras d’un inconnu un soir, puis un second le soir suivant. « Il faut y réfléchir. La décision ne doit pas être prise sur un coup de tête, c’est trop important. Je ne te parle pas égoïstement… Je te parle surtout pour toi. Avorter, c’est… C’est extrême. » Il craint qu’elle s’en veuille, qu’elle le vive mal. Et puis, il s’y est attaché aussi. Il ne sait pas quoi faire, il est comme dans une impasse.

Ses yeux se ferment au contact de ses lèvres sur les siennes. Il en profite, autant que ça se donne. Eneko se retrouve sur le dos et pose une main sur le bas du sien qu’il remonte le long de sa colonne vertébrale, jusqu’à sa nuque. Il est comme elle, perdu. Il ne sait pas quoi faire, n’arrive pas à réfléchir, à trouver une solution. Il aimerait que les choses soient plus simples, qu’ils n’aient pas à se torturer de la sorte. Ou alors il aimerait tout simplement revenir en arrière pour ne pas faire certaines choses, pour en refaire d’autres, d’une manière différente, pour effacer les pires moments dans leur couple. Eneko caresse avec tendresse son visage, ses pouces sur ses joues. Il ne l’interrompt pas, de peur de lui faire perdre le fil de ce qu’elle souhaite lui dire. Son cœur se resserre lorsqu’elle lui répète ces trois mots qu’il aime entendre de sa bouche, qui le torture toujours un peu plus aussi en se disant que ça n’a pas suffit à se réconforter auprès d’un autre homme. Il est partagé entre deux ressentis. Il note tout, dans un coin de sa tête. L’avortement auquel il ne veut pas participer, parce qu’il n’en veut pas. C’est évident que ça lui fait mal de toujours penser aux conditions, mais il pense à Maona, à comment elle se sentira après. En plus de culpabiliser, elle se sentira mal dans sa peau. C’est comme si elle tuait une partie d’elle-même, comme si elle tuait tout comme un être qui n’a rien demandé à personne. Il relève son visage, place ses cheveux blonds derrière ses oreilles. « Je n’en sais rien, de ce que j’ai besoin, de ce que j’attends. Si j’avais une réponse, je te le dirai… Mais je n’en ai aucune. Et je ne suis pas certain qu’il y en ait une, vraiment. Si on se lance dans cette vie, ensemble… A un moment il va bien falloir que je fasse le choix de ne plus repenser à ce qui s’est passé, de passer au-dessus. Aujourd’hui, c’est ingérable. Je sais que tu regrettes, maintenant, mais… J’ai constamment en tête ses réponses. » A Nino. « Je sais que tu allais mal, je sais tout ça… Mais… C’est dur de t’imaginer lui dire que tu en avais envie, le lendemain. » La veille, elle était alcoolisée, c’est déjà quelque chose à encaisser, mais… Ca. Ca ne passe vraiment pas. « Je ne te demanderai jamais d’avorter. » Il a conscience de tout ce qu’il lui a dit, que ce bébé représente cette marque indélébile, marque au fer rouge son aventure avec Nino, mais il ne peut pas lui demander une chose pareille. Ca lui ferait du mal, à lui aussi. A côté de ça, il sait aussi que ce sera compliqué de gérer. « Tu sais très bien, en plus de ça, qu’il est un bon motif pour que tu ne retombes pas dans l’alcool. » Eneko en est un aussi, mais pour le moment, il se perd. « Et moi je suis convaincu que tu seras une très bonne mère. » Maona prend soin de lui, ne touche plus une goutte d'alcool. C'est déjà une bonne maman. « J’ai pris rendez-vous au centre, en Belgique. Nous allons y aller… Ce sera déjà ça de fait. » S’il est le père, il peut assumer l’enfant, subvenir à ses besoins, venir en aide à Maona. Si c’est Nino… Il ne sait pas vraiment ce que veut Nino.

Il penche sa tête sur le côté, lui laissant le loisir d’embrasser son cou, sent son cœur se resserrer un peu plus à ce contact qui lui fait pourtant du bien. « Mardi. » Le rendez-vous, il l’a pris le lendemain où ils en ont parlé, il l’a pris pour la semaine prochaine, comme Maona lui avait indiqué. Ca fera neuf semaines et le test prénatal sera plus sûr. Il est possible qu’il ne le soit pas totalement, mais il s’est renseigné, ils ont de bonnes chances de connaître la réponse qui arrivera sous huit à dix jours. Eneko ne sait trop quoi lui répondre. Il aurait tendance à lui dire non, parce qu’il ne veut pas qu’elle parte, parce qu’il s’inquiète de son état, qu’il préfère la voir ici, dans ce lieu sûr auquel il a mis une alarme il y a quelques jours, plus un verrou supplémentaire qu’il souhaite qu’elle utilise lorsqu’il n’est pas là. On ne sait jamais ce qui pourrait se passer… Cameron ne sait pas l’adresse de Camélia, mais il pourrait l’obtenir, s’il avait envie de faire quelque chose. Alors il secoue la tête, même si elle lui demande de penser à lui. Il ne sait pas vraiment ce dont il a besoin, si ça lui ferait du bien de se retrouver. « Non, tu peux rester ici. Je dois me déplacer cette semaine, je ne serai pas là pendant quelques jours. » Il doit se rendre sur Paris, pour un contrat. Ca s'est décidé aujourd'hui. Il devait s’y rendre pour deux jours seulement, mais justement, puisqu’elle lui demande de penser à lui, Eneko va prolonger son séjour, en profiter pour voir son oncle, quelques vieilles connaissances par la même occasion et prendre l’air. C’est peut-être ça, qui lui fera du bien, s’éloigner de Biarritz pendant quelques jours, ne plus voir les mêmes endroits, les mêmes personnes, se ressourcer un peu et puis penser à son travail. C’est une chose qu’il fait bien, qui arrive à lui vider la tête. L’architecture a toujours eu un gros pouvoir sur lui, même si celui-ci l’a parfois abandonné ces dernières semaines. « Tu peux donc rester ici. Je demanderai à Gaël de passer pour voir si tout va bien… Et puis tu peux inviter Camélia si tu en as envie. Je vous préfère ici que chez elle. » Il ne connait pas son studio, ou appartement. Ici, il y a tout ce qu’il faut. C’est assez grand pour quatre personnes, alors ça pourra en accueillir deux sans problème. « Je remplirai le réfrigérateur demain, pour que vous ne manquiez de rien. » Il peine à penser à autre chose qu’à son bien-être, parce qu’il y tient à sa Maona… C’est difficile de faire le point avec tout ce qu’il ressent, avec la force de ses sentiments pour elle. C’est dur de tirer un trait sur une histoire à laquelle il tient, de dire au revoir à une femme qu’il considérait comme celle avec qui il souhaitait faire sa vie. Eneko ne sait pas vraiment ce qui est bon de faire.

« Sur Paris. » qu’il dit, simplement. Il acquiesce d’un signe de tête lorsqu’elle s’inquiète. Il fera attention, il n’ira pas passer des nuits entières dans un bar parce qu’il a besoin d’évacuer, ou ne marchera pas dans les rues durant des heures sans avoir aucun but parce qu’il a besoin de se vider la tête. Il se changera juste les idées de la plus simple des façons, avec des amis. « Et… Je sais, que tu es une grande fille. » Il le sait, mais il agit parfois comme si elle avait… son âge, finalement, lui l’ainé qui prend soin d’elle, parce qu’il la sait fragile, que c’est plus fort que lui. « Par contre quoi ? » Il reçoit ce baiser, sans broncher, caresse avec le bout de ses doigts son menton pour l’inciter à finir ce qu’elle a commencé à lui dire. « Qu’est-ce qu’il y a ? » insiste-t-il, sentant qu’elle est réticente à reprendre. Maintenant, c’est lui qui est réticent. Il n’a pas pour habitude de demander de l’argent aux autres, n’aime pas l’idée de prendre dans son porte-monnaie, d’utiliser l’argent de son père pour faire les courses, alors qu’il pourrait se débrouiller. « Est-ce que tu ne préfères pas garder ton argent pour autre chose ? Je ne sais pas, faire les magasins avec ton amie, ou te faire un cinéma… » Le grand écran. Il aimerait pouvoir retourner à ce jour où ils se sont croisés, reprendre tout à zéro, oublier le reste, les conflits. C’était les débuts, là où il y avait cette tension entre eux, qui existe toujours, mais avec cette évolution qui lui déplait sur certains points. « Ou alors, on fait moitié-moitié. » Eneko y trouve son compte parce qu’il ne la laisse pas tout prendre à sa charge et elle aussi parce qu’elle participe, tout en gardant de l’argent pour elle, pour se faire plaisir. Elle ne va pas rester constamment entre ces quatre murs, à regarder la télévision. Il imagine que Camélia la trainera avec elle pour l’aider à se changer les idées, à se défaire de ce qu’il a pu lui dire aujourd’hui, ces choses blessantes qui, il s’en doute, vont rester dans un coin de sa tête tant il n’a pas pris de gant. Eneko se tourne d’un quart, la bascule sur le dos et remet en place la couverture sur son corps. « Ca nous fera du bien d’être éloignés l’un de l’autre, quelques jours. On en a besoin. J’en ai besoin. » se reprend-il, ne souhaitant pas parler pour Maona. Au final, il ne sait même pas comment il va revenir de ces quelques jours, mais ça ne peut que lui être bénéfique.