(Ariel) Tu me fais un peu de compagnie ?

Vingt-trois heures un mardi soir. Les gens sont rentrés chez eux, les enfants dorment depuis plusieurs heures maintenant, les parents vont tout juste se coucher, après avoir éteint la télévision, quant aux adolescents, ils se rebellent avec une tablette ou un Smartphone pour continuer à discuter avec les potes. Et moi… Moi je suis sur le toit de ma caisse, avec une cigarette que je porte à mes lèvres. Avoir connu la rue et dormir de nouveau dehors est dérangeant, surtout l’hiver – par chance, les beaux jours sont censés arriver – surtout lorsque j’ai conscience qu’il y a encore six mois, j’avais droit à tout le confort du monde, mais il y a une chose dont je ne pourrais me passer. Ca, cette nuit. Pouvoir contempler le ciel étoilé dans le silence, ou me focaliser sur les petites chaussures à talons qui claquent dans la nuit et tourner la tête pour reluquer la petite nana qui vient de passer, de frôler ma voiture avec son sac. Je me redresse, appuyé d’une main, l’autre tenant avec légèreté ma clope qui se termine. La femme qui vient de passer, c’est la petite sirène, Ariel, une brune sans aucun éclat de roux, mais pour le prénom et sa passion pour le surf, ce sera la femme mi-humaine, mi-poisson, mi-thon les jours où elle me fait chier. Ma meilleure amie, une petite bonne femme bien mystérieuse parfois, qui préfère maltraiter les poissons au détriment d’une bonne viande rouge. Gamine qui m’en a tout de même fait voir lorsque nous étions ensemble. Mon ex-petite amie. La fin ne nous a pas séparés pour autant. J’ai parfois l’impression d’être encore plus proche d’elle que je l’étais autrefois, lorsque je ne comprenais pas son refus du contact physique. Il m’est arrivé de me faire des films, de croire qu’elle avait eu des problèmes dans son enfance avec un mec, ou tout simplement de ne pas être son genre. J’en sais rien. Possible que je ne le sache jamais tant notre passé commun est devenu tabou, prise de tête. C’est simple, je ne comprends pas et elle refuse de me donner les réponses à mes questions, alors je me suis fait à l’idée de ne jamais capter quelque chose. Je tire une taffe et penche la tête sur le côté. « Hé, la sirène ! » crié-je, en relâchant mon mégot sur le sol. J’observe sa silhouette, la reluque de haut en bas. Il y a bien des choses qui changent dans la vie et son corps en fait partie. Il devient encore plus attirant, elle devient encore plus désirable, avec sa peau presque vierge. Pas de tatouage. Juste des piercings qui ne me plaisent pas toujours, comme cet anneau de vache qu’elle a au nez, parfois. Ca porte bien son nom, c’est pour le bétail. « On dit plus bonsoir ? » Ca y est, elle m’a entendu. Maintenant elle va se retourner et me faire la misère parce qu’encore cette nuit, je suis de sortie au lieu d’être bien au chaud entre quatre murs.

Il était fréquent que je rentre tard chez moi, très fréquent... J'étais rentrée de Paris depuis ce matin et j'étais ensevelie de travail. Il est bien plus facile d'être employé que d'être son propre patron, mais cela a toujours été mon rêve. Je ne pensais pas y arriver si vite, mais mes chers parents se sont permis une intrusion dans ma vie professionnelle. On peut dire que c'est un mal pour un bien, mais cela m'est insupportable. Je voulais être fière de mon trajet professionnel sans qu'on m'aide la moindre minute,mais que voulez-vous ? Il était vingt-trois heures quand je pars enfin du travail, j'avais réussi à m'absenter une dizaine de minute pour me rendre au monoprix du coin. J'en fis l'acquisition de mon fabuleux repas avec une bouteille de vin blanc. Je n'étais pas du genre à me mettre une cuite, mais j'apprécie d'accompagner un repas avec un verre de vin. C'est un mélange si délicieux entre les saveurs d'un plat et le goût sucré d'un vin. J'ai mes petites préférences... Un Chardonnay me parait amplement parfait à mes yeux, une petite merveille. Je me balade paisiblement dans les rues de Biarritz jusqu'à mon appartement.J'espère y retrouver Judd, lui, ce fameux, Judd. Mon ex petit ami, celui avec qui j'ai eu ma plus grande histoire. Je l'apprécie énormément, mais la vie nous a un peu séparé. Je ne sais pas pourquoi cela n'a pas plus évolué entre nous, j'étais sans doute incapable d'aller plus loin. Ce n'est pas qu'il était imparfait à mes yeux, loin de là... Mais j'ai un rapport assez spécifique avec les relations physiques, sans doute un blocage, sans doute une orientation sexuelle qui ne me convient pas... Je dois me tromper, car il y a bien que les hommes qui me font craquer. L'image d'une femme avec une autre me répugne un peu. Non loin que j'ai quelque chose à l'encontre des homosexuelles ou bisexuelles, mais je pense que la nature nous a créé... Dans le but de choisir une personne avec qui nous pouvons procréer. Enfin... Avec les nouvelles technologies, tout est à présent possible... Je m'approche d'une voiture qui ne m'est pas inconnue, enfin qui ressemble à celle que je pense, mais je suis bien enfouie dans mes pensées. Je suis un tantinet épuisée par le travail, j'ai envie de dormir, mais il m'est devenu difficile de dormir seule... La solitude me pèse, mais je n'ai guère le temps de m'abandonner aux bras d'un homme. « Hé, la sirène ! » Il n'y a que très peu de personnes qui m'appellent de cette sorte, cette voix m'était d'ailleurs familière. Judd, oui, c'était bien lui. Un sourire naît sur mon visage, mais je ne m'attendais pas à la trouver là. « On dit plus bonsoir ? » Je me retourne seulement, je le toise du regard. Je remarque ce mégot qui jauge le sol, je soupire. « Ton mégot, Judd...» Je n'apprécie pas qu'on dégrade délibérément la nature. Je m'approche à sa hauteur, déposant un baiser sur la joue de ce dernier.« Tu as les clés de mon appartement,alors... Que fais-tu ici ? » Un peu mère poule, mais il était devenu bien plus qu'un ami à mes yeux et le voir, seul, sans logement, dans la rue me tue.  « De plus, je t'ai pris un repas pour toi... Il est un peu tard, mais j'ai pensé... De plus, je t'ai pris de la viande...» Je ne suis pas une fan de la viande, surtout depuis que j'ai pu voir ces reportages sur la façon dont ils sont traités avant de mourir. Il n'est pas nécessaire de faire autant de mal à un animal pour l’égoïsme de l'Homme.

Premier reproche de la soirée. Le fameux mégot, la planète que je fous en l’air avec toutes les cigarettes que j’écrase sur le bitume, sans m’arrêter. Je prends appui sur le toit de la voiture et descends en faisant attention à ne pas tomber sur ma jambe droite, celle qui a mis fin à toute une vie construire, à mon futur, cette jambe qui ne m’est plus d’aucune utilité à présent. Le petit con la provoque, écrase le mégot sous ses yeux, sans la quitter des miens. « Tu veux dire, ce mégot ? » Je ne me pencherai pas pour le ramasser et le glisser dans une poubelle. Ca fait du travail en plus à ceux qui doivent ramasser chaque grain de riz dans les rues afin de les garder propres. Et puis, je sais que ça l’embête beaucoup que je ne prenne pas soin de notre très chère ville, alors dans l’unique but de la voir un peu grimacer, râler, j’en rajoute une belle couche. Je me penche en avant lorsqu’elle dépose un baiser sur ma joue que je lui rends, effleurant sa peau de poupée de porcelaine que j’ai toujours craint de briser. « Parce que comme tu viens de le dire… C’est ton appartement. Et je suis bien, ici. » Je ne gêne personne, je ne la dérange pas si elle a envie d’inviter du monde et je ne suis pas là pour apercevoir les mecs qui fréquentent son lit, si ça arrive. Plutôt mourir de froid dans ma caisse que de voir ce spectacle défiler. L’idée qu’ils aient compris le petit truc qu’elle avait besoin et que ça m’est échappé passe de travers. Je regarde les sacs qu’elle tient, sans doute le repas du soir. Je n’ai pas mangé énormément ce midi à cause du peu de revenus que j’ai. J’essaie de ne pas trop abuser, de garder de l’argent de côté, mais ce n’est pas évident, alors si en plus je passe tous les soirs m’acheter un sandwich au supermarché, de la boisson… Les midis aussi. Ca fait beaucoup. D’autant plus qu’il arrive que je partage mes repas avec ma petite bande que je retrouve dans un hangar, assez souvent. Mais je suis touché qu’elle pense à moi, qu’elle insiste pour que je prenne son canapé et qu’elle me propose de partager son repas avec elle. « Je n’aime pas ça quand tu dépenses de l’argent pour moi. La viande rouge, ce n’est pas donné. » dis-je, en jetant un œil à ce qu’il y a à l’intérieur de son sac. C’est ce que je préfère, la rouge, plutôt que la blanche. Je pourrais manger n’importe quoi de toute façon, je ne suis pas bien difficile. Dans ma situation, ce serait un comble. L’odeur monte jusqu’à mes narines, mon ventre gargouille, parle pour moi, me crie d’accepter sa requête. « Ce serait dommage de la perdre. » C’est ce qui va se passer si elle la garde chez elle, puisqu’elle ne la mangera pas. « Alors je veux bien t’aider à t’en débarrasser. Tu peux me remercier, si ça te chante. » Un petit sourire fait son apparition et j’agrippe son bras, en prenant soin de refermer ma voiture derrière moi. « Ca a été ta journée ? Ton séjour ? » J’ai l’impression que ça fait des plombs à chaque fois, quand on se retrouve. Paris, c’est loin.

« C'est certes mon appartement, mais tu es le bienvenu! Je t'ai proposé de vivre avec moi et non de rester dans ta voiture! » Je marque une pause en le toisant du regard, je lui avouais enfin ce que je pensais. Il était facile pour moi de dire ce que je pensais, mais parfois, je mesure mes mots et contrôle mes pensées. « Je ne supporte pas te voir dans ta voiture alors que tu peux être chez moi!» Je disais la vérité, cet homme était devenu important à mes yeux et le voir se dégrader de cette façon dans la rue m'insupporte. Je n'ai jamais réellement compris pourquoi les gens cherchaient à se détruire de toutes manières possibles. Et celle-ci me sort encore plus par les yeux. Elle t'a quitté pour un jouer plus fort que toi, mais qu'est ce qu'elle est idiote. Elle avait une perle entre les mains, il était parfait à mes yeux, mais je n'ai pas su moi-même le garder auprès de moi. Ma super phobie- plus ou moins - du sexe nous a privé d'une histoire, d'une belle histoire qui avait déjà commencé. Elle s'est éteinte peu à peu entre nous, mais elle n'a fait que bonifier notre amitié. Il ne fallait pas qu'il croit que c'était de sa faute,mais de la mienne. Je m'en veux de ne pas être un peu plus ouverte à lui, il faudrait peut-être qu'un jour... Je lui en parle, je lui explique mon problème. Il faut dire que ce sujet est devenu assez tabou entre nous. « Je ne dépense pas mon argent pour toi... Je prends simplement soin de toi! » Je glisse mon prend en dessous du sien pour que nous puissions prendre la direction de l'appartement qui n'était pas si loin de ça. J'adore marcher, je favorise la marche à la voiture. On va dire que c'est un peu plus écologique et sportif...« Mon séjour était comme à son habitude, embêtant! Mais je préfère voir la marchandise en réelle, on ne sait jamais sur quoi on peut tomber. Au fait... J'ai une bouteille de vin blanc, ça te convient?» Je souris en avançant tranquillement aux côtés de Judd. « J'ai oublié de te dire avant de partir... Comme je ne t'avais pas vu avant mon départ...Ton nom est sur le bail de l'appartement à présent, alors tu es chez toi aussi! Je veux que tu sois mon colocataire et arrêtes de dormir dans le canapé! Il y a une seconde chambre et elle est à toi! » J'étais certainement trop gentille avec lui, mais je voulais son bien! Je voulais qu'il se reconstruise correctement et non dans un tas de ferraille.

« J’sais bien. » J’adore Ariel, j’sais bien que ça la tue de me voir dans ma voiture, dans la rue. L’hiver c’est le plus compliqué. Elle déteste ça et elle insistera auprès de moi pour que j’aille la rejoindre dans son appartement tant que je n’aurais pas accepté sa proposition, mais je ne peux pas faire ça. Je squatte déjà sa salle de bain dès que j’en ai besoin, mais pour le reste, j’essaie de me débrouiller au mieux, sans ça, sans son aide. « Tu te rends malade pour rien. Je m’en sors très bien, t’as pas de soucis à te faire, j’te jure. Ca va. » Je déteste la voir comme ça, si mal à cause de moi, à cause du fait que je n’ai pas un endroit chaud pour dormir, mais aussi à cause de mes nombreux refus. Plus elle insiste, plus je dis non, c’est simple. « C’est cool ce que tu dis, ce que tu veux faire pour moi et ce que tu fais déjà, mais j’aimerais m’en sortir pas mes propres moyens. J’veux me lever le matin en me disant que je suis fier de ce que j’ai accompli. » Je peine à accepter la main de mes amis. Il n’y a pas qu’Ariel qui m’a proposé de m’héberger, mais à chaque fois, c’est la même réponse qui ressort. Ca reste dans un coin de ma tête, cependant. Ca me touche. Je me souviendrai toujours de ceux qui m’ont tendu leurs mains à un moment dans ma vie et ceux qui n’en avaient rien à foutre. Je la suis dans la rue, en levant les yeux au ciel, puis arbore un sourire. Ariel, lorsqu’elle a une idée derrière la tête, personne ne peut la lui retirer et ce soir, elle a décidé de prendre soin de moi. J’aurais beau lui dire qu’elle n’avait pas à dépenser son argent comme ça, elle continuera de dire que ça lui fait plaisir, que c’est naturel, peut-être même qu’elle fait ce qu’elle veut, parce que c’est la vérité. Je ne peux la forcer à mettre sa thune ailleurs. « Et tu as tout ramené ici avec toi ? » Je préfère commenter la première partie de sa phrase que m’étonner de la seconde, pour commencer. « Quant au vin blanc, tout me convient. Je ne suis pas bien difficile, tu sais bien. » Je ne connais pas le luxe. « Ce sera parfait. » Je mange, bois, tout ce qu’on me propose. Quand je vois les gosses qui pleurent dès qu’ils voient une bouchée de légumes verts, j’aimerais leur dire qu’il y en a qui en raffolerait. Je m’arrête d’un coup, les sourcils froncés, en repassant ce qu’elle vient de m’annoncer. « Je te demande pardon ? » Calme, Judd. Zen. « Attends, j’veux pas ta charité, je t’ai dit que ça allait. » Non, en fait, pas calme du tout. « Ce genre de décision, ça se prend à deux, qui plus est et je ne suis pas d’accord. » Ca devrait me faire plaisir, ça devrait. J’apprécie pas qu’on prenne des décisions à ma place.