(Maona) Je suis bien content de te retrouver...

« Eneko, je t’en prie écoute-moi ! » Je presse le pas dans le couloir qui mène à la grande salle des bagages. Les deux jours ont été longs, beaucoup trop longs, pénibles même. Je m’attendais à passer un bon moment à parler travail, à me remettre dans des plans, à discuter sur le projet sur Nice et c’est ce que nous avons fait toute la journée du vendredi, c’est ce qui m’a aidé à oublier sa révélation du jeudi soir, sur le regard de Mao sur Jeremy, sur certaines choses qu’elle lui aurait dit. Je n’en ai aucune preuve, mais je la crois, parce que je sens que Maona peut me trahir quand elle veut, parce que je ne me sens pas en sécurité. Mais vendredi… Je n’ai rien vu venir. Je ne m’attendais pas à ce que Line s’approche de moi, à ce que ses mains s’agrippent sur mon torse, à ce que son visage se rapproche du mien, avant que je ne me détache d’elle, m’éloigne de son corps pour lui demander ce qui se passait dans sa tête, ce qu’il lui prenait. Qu’est-ce qu’elles ont ces femmes autour de moi ? Y’a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond. « Fiche-moi la paix. » Et le pire, ce n’est pas ça. C’est que lorsqu’elle me confiait la veille que je faisais une erreur avec Maona, que je faisais fausse route… Le pire c’est que durant quelques secondes, j’ai été d’accord avec elle. Durant quelques secondes, j’ai gardé le silence, lui donnant raison. J’ai détesté ça. Line me saisit par le bras, plante ses yeux dans les siens. « Je suis marié, nom de Dieu. Que tu le veuilles ou non, c’est comme ça. Que ça te semble insensé, que ça te semble être une erreur, qu’importe, ça ne changera rien au fait que je suis avec Maona et que tu n’as certainement pas le droit de me faire du rentre-dedans comme tu l’as fait hier. » C’était ça son but ? La chambre en commun, ce n’était pas une erreur. C’était fait exprès. Je lâche un soupir, file dans le hall en remettant bien mon sac sur mon épaule et me dirige vers la sortie, alors que je sens Line derrière moi, en train de se précipiter pour me rattraper avec ses petites chaussures à talons. « Mais cette fille est une gamine. Elle est étudiante, elle n’est pas sérieuse. Ce n’est pas de ça dont tu as besoin, tu le sais. » Elle me rattrape de nouveau, m’oblige à m’arrêter. « Tu n’as jamais été aussi malheureux que depuis que tu es avec elle. Je n’ai jamais vu ton état se dégrader autant. Regarde-toi, tu ne trouves même plus la force de sourire quand on accepte un de nos projets. Tu te rends compte de ce que celui de Nice représente pour l’entreprise ? C’est une énorme chance et on dirait que ça ne te fait pas plaisir. » « Bien sûr que ça me fait plaisir. » Je lâche un soupir, exaspéré qu’elle m’ait vu me dégrader autant, agacé par moi-même de ne pas avoir été capable de me montrer comme d’habitude. « C’est ton apprentie, tu es sa tutrice. Il va falloir que tu te montres professionnelle. Est-ce que je peux tout de même compter sur toi, ou est-ce que je prends quelqu’un d’autre pour la superviser ? Honnêtement, je me demande si c’est une bonne idée que tu continues à travailler avec Maona après ce qui s’est passé. Franchement. » Je sors de l’aéroport, me dirige vers ma voiture garée un peu plus loin et ouvre le coffre pour y placer nos sacs. « Ne t’avise plus jamais de te comporter comme tu l’as fait ce vendredi soir. Tu m’entends ? Toi et moi, laisse tomber l’idée. Ca n’arrivera jamais. Tu ne m’intéresses pas. » Pas à ce niveau. Je claque la portière, l’attends. Quand elle est à l’intérieur, je démarre sans même lui adresser un regard. Le sien est fuyant. Je suis mal à l’aise, j’ai hâte de la déposer chez elle et ça arrive, au bout de quinze minutes. Line reprend ses affaires, puis se penche vers ma fenêtre que j’ouvre pour entendre ce qu’elle me dit, mais elle entrouvre la bouche, la referme et se contente d’un simple petit au revoir. Je démarre, me gare près de notre bâtiment. Je récupère nos affaires, monte les marches qui me séparent de l’appartement et c’est seulement à l’intérieur que je souffle un coup. Ce séjour, l’enfer, à tel point que je me suis arrangé pour avoir un vol plus tôt. Il est seulement neuf heures et il n’y a aucun signe de vie dans le salon. Je pose mon sac par terre, me défais de ma veste que je pose sur le dossier de la chaise et pénètre dans la chambre où je la vois dormir. Je m’approche, défais mes chaussures, m’allonge à ses côtés et l’entoure d’un bras. J’ai besoin d’effacer ce qui s’est passé dans ma tête lorsque Line s’est mise à me parler, besoin de ressentir ce petit bien que Maona me fait, parfois. J’enfouis mon visage au creux de son cou, dépose un baiser sur celui-ci. Il n’y a pas à dire, elle m’a manqué.

Je l’ai réveillée. Je l’ai dérangée dans son sommeil et je m’en fiche, parce qu’elle me parle, parce qu’elle répond à mes gestes, parce qu’elle est là avec moi, alors que j’ai cette boule au creux de l’estomac qui ne me quitte pas. « Non, il est neuf heures. Il y avait un vol plus tôt. » Je ne voulais pas rester plus longtemps à Nice et j’ai eu de la veine d’avoir une place dans l’avion. Je n’étais pas à côté de Line lors du vol et ça m’a fait du bien de ne pas sentir ses yeux sur moi, de ne pas avoir sa conversation. Elle m’aurait parlé de Maona, de ce qu’elle pense et nos échanges auraient été compliqués. C’est déjà assez compliqué comme ça dans ma tête, sans pour autant qu’on en rajoute. Je ne souhaite pas qu’on essaie de me faire changer d’avis, qu’on me fasse douter, je fais très bien ce travail tout seul, tout en me faisant à cette vie que j’ai pris la décision de vivre, cette vie bancale où tout va bien, tout va mal, tout dépend des moments, de ce qui se passe. Je resserre mon étreinte autour d’elle, caresse ses cheveux avec tendresse. Je suis soulagée. Et en même temps je culpabilise énormément, comme à chaque fois que je suis en proie aux doutes, comme à chaque fois que je repense à mes silences lorsqu’on me fait part de quelque chose que je suis incapable à contrer. Je prends sur moi, je me montre réceptif autant que je peux, dépose un baiser sur ses lèvres, me laisse faire lorsqu’elle monte sur moi. « Oui, nous avons signé le contrat. » Ca me fait plaisir, putain, ça me fait plaisir. C’est un projet important sur lequel on a bossé pendant des heures, alors ça me fait plaisir, évidemment. Line ne l’a pas remarqué, mais je suis ravi. Oui, je suis ravi. Non, je ne m’en fiche pas. Peut-être un peu. Je suffoque, redresse son visage pour presser mes lèvres contre les siennes lorsqu’elle me répète que je lui ai manqué, pose mes mains sur ses jambes, les remonte le long de ses cuisses, puis je penche la tête en arrière lorsque je sens que je manque de souffle. Mes yeux se ferment. Je n’en peux plus. J’ai l’impression de me battre constamment avec moi-même, un peu plus aujourd’hui, un peu moins que demain. Je passe ma main sur mon visage, me reprends. « Tout s’est bien passé de ton côté ? » Parce que du mien, pas du tout. J’aurais aimé que Gaël s’y rende, finalement et c’est certainement lui qui reprendra la main. Je ne me sens plus de repartir comme je l’ai fait avec Line. Si Gaël est là, avec nous, ça ira, mais je ne souhaite plus être seul, parce qu’elle me met mal à l’aise, parce qu’il y a des vérités que je ne souhaite plus entendre de sa bouche, ou de la bouche de quiconque. « Ecoute… Tu vas te retrouver avec une autre tutrice. » Je finis par lâcher ça, comme ça, parce qu’il faut qu’elle le sache, qu’elle se retrouve avec quelqu’un de confiance et Line ne l’est pas, pas pour elle. Pour quelqu’un d’autre, très certainement, mais Maona n’est pas sa plus grande amie, je l’ai compris à mes dépends. « Line… Elle… Elle n’a pas de très bonnes intentions envers toi. » Elle ne l’aime pas. Je ne sais pas comment ça se passe au travail, je pense que ça va, Maona m’en aurait peut-être parlé, ou peut-être pas, je n’en sais rien. On se cache des choses, constamment.

« Hm hm. » Au fond, je me fiche bien du résultat. S’il ça n’avait pas été signé… Line a raison. Ca m’est complètement égal. J’acquiesce d’un signe de tête. Les choses vont bien. Tout va bien. Tout ne va pas bien. J’affiche un sourire lorsque je l’entends parler de Line et je suis dépité en apprenant la suite. Je ne m’attendais pas à ce que Line prenne les choses comme ça, qu’elle se permette de lui dire des choses pareilles, surpris, mais je suis surtout déçu de ne pas avoir été mis au courant, qu’elle ne m’ait pas parlé de l’hôtel, de cette chambre. Alors, le message que je lui ai envoyé pour la prévenir… Elle était déjà au courant. Ca ne l’a pas surprise. Maona m’a laissé foncer droit dans le mur sans même prendre le temps de se confier. Je me redresse, hausse les épaules. Qu’est-ce qu’elle veut que je lui dise ? J’aurais pu régler les choses rapidement si j’avais été mis au courant. Ou peut-être que je n’aurais pas été capable de croire Line capable de ça, peut-être que j’aurais mis ça sur le coup de la jalousie, j’en ai aucune idée. Ca n’a plus aucune importance. Les choses se sont passées, j’ai moi-même pris conscience des intentions de Line, qu’elles n’étaient pas honorables. « Et moi j’ai passé un vendredi minable. Tu n’as pas idée à quel point, Mao, ça a été l’enfer. Je ne sais pas quelle mouche l’a piquée, mais elle s’est mise à se comporter bizarrement, à me faire du rentre-dedans, très clairement. » A me dire des choses qui tournent dans ma tête en boucle. Je passe une nouvelle fois mes mains sur mon visage, puis l’attrape par la taille, la soulève et la dépose sur le lit, alors que je me lève, que je fais les cent pas dans la pièce. « J’ai l’impression de te cacher des tonnes de choses. » Ce n’est pas une impression, c’est un fait. Je lui cache des choses, mes doutes, toute la souffrance que je ressens. Je m’arrête, pars ouvrir la fenêtre de la chambre et cale mon bras dessus. Je ne peux définitivement pas lui dire tout ce qui se passe dans ma tête, mais je peux lui parler de ce que Line m’a dit. « Qu’est-ce qui se passe avec Jeremy ? » Il y a visiblement un problème. Si elle me demande d’éloigner Jeremy d’elle, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche et moi qui pensais que Line disait vrai, je ne suis plus sûr de rien à présent que la demande vient d’elle. « Line, elle m’a dit que tu lui faisais les yeux doux, que tu le draguais. C’est pour ça que je t’ai proposé de travailler avec Gaël. Parce que je l’ai cru. J’ai vraiment pensé que tu le draguais, bordel. » Je balaye la pièce d’un geste de la main, la conversation aussi. « Ecoute, peu importe ce qui se passe entre toi et lui, je te changerai de tuteur aussi. » dis-je, en m’appuyant contre le mur. « Entre Line et Jeremy, t’es plutôt servie… Je croyais que… Je pouvais avoir confiance en eux. Ca fait longtemps que je travaille avec eux, je… » Je lâche un rire, jaune. C’était idiot. « Je suis désolé. Je te trouverai quelqu’un d’autre. » Je ne sais pas qui. Gaël sera certainement bien plus objectif que moi sur ce plan.

Apparemment, ce sont des bobards. C’est vraiment des mensonges ? Il n’y a vraiment rien eu entre Mao et Jeremy ? Ce sont des idées ? Je détourne les yeux lorsqu’elle comprend que je n’ai pas pensé une seule seconde que Line mentait. Je la croyais encore il y a quelques minutes de ça, avant que Maona me parle de son stratagème, de cette chambre d’hôtel que nous avons dû partager. Heureusement que les lits étaient séparables. Si ça n’avait pas été le cas, je me serai débrouillé, j’aurais pris une couverture dans le placard, j’aurais dormi par terre, parce que ça ne se fait pas, parce que je n’aurais pas aimé que ma femme me fasse le coup. « Oui, je l’ai cru lorsqu’elle m’a dit que tu le draguais. » Parce que je l’en pense capable. Parce que si ce n’est pas maintenant, ça ne m’étonnerait pas que ce soit avec un autre gars. Parce qu’une tromperie veut dire qu’il y en aura peut-être une autre. Je l’écoute, prends note de comment est Jeremy avec elle, de ce qu’il pense de Maona. Je n’aime pas ça, je n’aime pas ses agissements. J’irai le trouver lundi, j’irai lui faire part de ce que je pense de tout ça, j’irai lui dire qu’il n’a pas à agir de la sorte, que c’est compté comme du harcèlement, que c’est une faute professionnelle. Ou peut-être que je l’enverrai tout simplement à Bayonne prendre des vacances, lorsque la nouvelle boîte sera construite, pour qu’il comprenne qu’il a été trop loin. Croit-il vraiment qu’il peut jouer au con ? Ca m’agace. « Je ne t’en veux pas. » Elle aurait dû m’en parler, mais je n’arrive pas à lui en vouloir. « Tu fais ce que tu veux. » Je n’arrive pas à savoir quoi lui répondre, la mettre sur la voie. Maona est assez grande pour prendre ses décisions elle-même. Si elle veut quitter la boîte, qu’elle le fasse, mais qu’elle s’arrange pour trouver un autre endroit pour travailler, pour ses études. « J’ai un répertoire chargé. Si tu prends cette décision, tu n’auras qu’à fouiller dedans, je passerai un coup de fil pour que tu intègres l’entreprise que tu auras choisi. » Qu’est-ce qu’elle souhaite que je lui dise de plus ? Que je ne suis pas d’accord ? Qu’elle est bien dans ma boîte ? Apparemment, elle ne l’est pas. Elle est mal reçue, alors je n’ai aucun bon argument, pas un qui soit valable. « C’est ton confort qui est en jeu, fais en fonction de ça. Je ne suis pas à ta place. Je t’aiderai peu importe ta décision, mais ce n’est pas à moi de la prendre pour toi. » Je fouille dans mes poches, sors une cigarette que je coince entre mes lèvres, me tourne vers la fenêtre. Juste la sensation de cette chose destructrice entre mes lèvres, ça fait du bien. « Parce que c’est le cas. » Je lâche un soupir, abandonne finalement l’idée d’allumer cette cigarette, la replonge dans le paquet et referme la fenêtre afn qu’elle n’attrape pas un coup de froid. « Parce que je te mens. Parce que je me mens aussi. Parce que je ne vais pas bien. Parce que tu ne vas pas bien non plus, à cause de moi. » Je m’approche, relâche le paquet sur le lit et pose ma main sur son ventre. « Tu t'es reposée ? Tu as mangé hier ? » C’est ça, le plus important. Lui, notre bébé.

« Je sais bien… C’est délicat. Et… Je me souviens, oui. » Ce jour. Ce premier jour où j’ai revu Maona dans les couloirs. Ce premier jour où j’ai senti une tension énorme en moi, où je me suis senti vivant, parce que je croisais son regard de nouveau, parce que j’avais besoin de m’en approcher, de la toucher. Oui, ce jour où les choses étaient un peu plus simples, où je la voyais encore comme la plus belle merveille du monde, une femme innocente, bien plus mature que celles de son âge. « Je peux te laisser le répertoire et te laisser te débrouiller, si tu veux, ne pas m’en mêler. Ca ne me pose pas de problème… Mais si c’est vraiment ce que tu décides, il faudrait que tu sois certaine de pouvoir avoir ta place, que tu ne perdes pas de temps. » Je refuse qu’elle se mette en pause, qu’elle abandonne de nouveau ses études. Elle a une chance en or. On lui a accordé cette seconde chance, ce n’est pas pour qu’elle la laisse filer. Il faut qu’elle prouve à son établissement scolaire qu’elle peut y arriver, qu’ils avaient raison de lui faire confiance et c’est le cas. Maona en veut. Maona est douée. Si Gaël l’a prise, c’est parce qu’il sentait bien qu’elle avait du potentiel, qu’elle pouvait aller loin, alors je l’en sens capable de s’en sortir. Sa question a une réponse. J’entrouvre la bouche, la referme, puis passe au bébé, parce que ça m’importe, parce que je m’inquiète pour lui, pour sa santé. « D’accord. Très bien. Je ne bougerai pas, je n’ai aucun déplacement de prévu pour les prochaines semaines, tu pourras te reposer. » Juste à Bayonne, mais ça ne compte pas, c’est la porte à côté. Je ne m’absenterai pas pour des journées, mais juste pour quelques heures et je peux revenir rapidement. Le trajet ne se fait pas en plus de trente minutes, s’il y a des bouchons, quinze si tout va bien. « C’est peut-être une bonne chose pour le psychologue. Je pense qu’elle est assez professionnelle pour voir d’elle-même quand tu n’en auras plus besoin. Quant au gynécologue… Je serai là. C’est à quelle heure ? » Je tiens à être présent. Je n’ai pas été à son premier rendez-vous, elle ne m’a pas prévenu de la première échographie, je ne souhaite plus en rater une autre. Je caresse avec tendresse son petit ventre, dépose un baiser dessus, puis relance finalement sur ce qu’elle disait précédemment. « Je sais… Je sais que tu fais tout ce que tu peux. Et je t’en suis reconnaissant. » Vraiment. Elle fait beaucoup. J’aimerais que ce soit suffisant, que ça puisse nous aider. « Tu ne peux rien faire, Mao. C’est ce qui se passe à l’intérieur de moi qui pose problème, ce qui se passe dans ma tête, ce qui se passe dans mon cœur et tu ne peux malheureusement rien y faire. » Ce n’est pas réparable. « Je me raccroche à ce que je peux, de nous. Je me raccroche à lui, à ce qui grandit en toi. Ca m’aide à tenir le coup. » Parce que j’ai tellement envie d’être un bon père que j’essaie d’y mettre du mien. « Je ne serai jamais heureux, pas entièrement, pas à long terme. Je le suis à des moments donnés. Je le suis quand j’ai l’impression d’être le seul dans tes yeux, je le suis quand on passe des bons moments. Mais je ne le suis pas tout le temps. Est-ce que tu te sens capable de me supporter comme ça ? » Est-ce que je me sens capable de me supporter comme ça ?

Elle m’aime. Je me contente de hocher la tête, sans répondre. Parfois, j’aimerais qu’elle ne me les répète plus, qu’elle les garde pour elle. Je peine à concevoir qu’on peut aimer une personne dans ces conditions, je peine à la suivre, mais ça me fait du bien de les entendre, souvent, alors je ne dis rien. J’aimerais les lui dire, ces mots, mais la force n’y est pas. Je dépose un baiser sur son front, acquiesce une nouvelle fois de la tête à sa remarque suivante. « D’accord. » que je dis, en me levant. Elle ne s’est pas reposé énormément, elle a du sommeil à rattraper, alors je la laisse s’allonger. « Repose-toi bien. A tout à l’heure. » Notre discussion a été éprouvante. On ne peut pas dire que ce soit parfait comme retour. La distance est là, notre couple essaie de survivre malgré tout et il survivra, pour l’enfant qui grandit en elle. Ce n’est finalement pas un paradis qui se construit de nos têtes, c’est une prison dans laquelle nous nous enfermons et je suis incapable de trouver la clé pour ouvrir la porte, pour nous libérer. Aucun courage. Aucune solution. Je pousse la porte de la chambre, la referme derrière moi et retourne dans le salon, là où j’ai laissé mes affaires. Nous sommes samedi, il faut que j’envoie un message à Gaël pour lui dire que le projet a été accepté, mais surtout lui demander des nouvelles de son week-end, du déroulement de sa soirée de vendredi, du commencement de son samedi, si ça a été à la hauteur de ses espérances. Gaël, il a peut-être la solution dans ses relations, tout comme Sebastian. Ne jamais se poser, vivre bien, vivre heureux comme ça, en profitant des petits plaisirs de la vie sans jamais entretenir une relation à deux. Je ne pourrais que les encourager à ne pas rentrer dans le même engrenage que moi tant c’est beaucoup trop compliqué, prise de tête. Je doute que je puisse survivre sans tout ça, de mon côté. La vie à deux, j’y suis tellement habitué. J’ai besoin de quelqu’un au quotidien, la solitude me pèse, m’effraie.