Ce n'est qu'un mirage (OLTIE)

Ariane, elle t’a dit que c’était dangereux, que tu ne devrais pas t’y rendre aussi souvent. Que ça allait éveiller les soupçons et qu’en plus, t’avais pas du tout l’air d’en ton élément. Mais tu t’en fichais. Parce que si, en effet, tu y étais comme un poisson hors de l’eau, cette libraire était l’océan de ton frère. Et tu as besoin de t’y plonger. C’est plus fort que toi. Alors, tu y vas, encore. C’est la fin de ta journée de travail et tu passes devant, alors pourquoi pas ? Tu te gares, verrouilles ta voiture et entres dans la boutique. Ça sent le livre, comme dans la chambre d’Oli, avant. Alors tu souris, tu vogues à travers les rayons, touches la tranche des livres du bout des doigts. Tu en prends un, délicatement, comme si tu tenais un trésor inestimable. T’as jamais été une tête. La lecture, ça te foutait la migraine, et ça faisait bien rire Oli, qui te charriait à propos de ton diplôme, que tu n’auras jamais. Il a eu raison, finalement. T’es une sans diplôme, et t’as eu de la change, de trouver un boulot assez rapidement. C’est dû théâtre, le fameux livre qui a attiré ton attention. Sophocle, Antigone même. C’est flou, dans ton esprit, mais tu crois te souvenir de l’histoire de cette fille, qui s’est sacrifiée pour son frère. Ça te fait doucement rire, tient. Tu te décides finalement à l’acheter, par pur curiosité. Ce serait bien le premier bouquin que t’achètes depuis que tu viens ici ! Tu te diriges ton vers la caisse. Et là, ces yeux. Ces yeux bleus que tu connais si bien. Ils sont là, il est là. Et il te regarde à présent fixement. Tu paniques, tu sais pas quoi faire. Alors tu poses le livre sur le comptoir et tu recules, doucement, vraiment doucement. Et puis tu bouges les bras au-dessus de ta tête, pour ressembler à un fantôme. Pathétique. « Ouuuuh….ce n’est qu’un mirage…Tu rêves…. » que tu souffles doucement. Vraiment pathétique.

« Hé tu peux gérer la caisse cinq minutes ? J'ai besoin d'un café... T'en veux un ? » te demande ton oncle alors que tu ranges quelques livres dans les rayons « Ouais volontiers. » t'es pas un fan de la caisse, ton trip c'est les livres même si tu te casses le dos à force de te baisser ou te hisser pour ranger tel ou tel bouquin tu te sens incroyablement dans ton univers. Qui n'a d'ailleurs jamais été celui de ta soeur, au contraire elle aimait bien se moquer de toi quand tu préférais passer ton temps avec un livre plutôt qu'avec des amis. C'est sûrement une énième étape du deuil mais ça t'arrive de plus en plus souvent de penser à elle en ce moment. À vos bons moments comme à vos engueulades. Tu donnerais tellement cher pour pouvoir t'engueuler pour un rien avec elle à nouveau. La librairie est plutôt vide alors t'en profites pour trainer un peu sur ton téléphone, Facebook et compagnie, tu stalkes ton Suliac. À défaut de t'écrire des messages, tu regardes tout ce qu'il fait sur internet tandis qu'il se repose chez toi. Le pauvre, il souffre encore énormément de ses blessures et il est pas rare que tu doives rentrer en vitesse pour lui venir en aide. Mais tu le fais avec plaisir. Parce que c'est Suli et que tu ferais tout pour lui. Des bruits de pas se rapprochant de la caisse te font instantanément relever la tête pour accueillir le client. Le "bonjour" que tu lui préparais mourut tout au fond de ta gorge, ne franchissant jamais tes lèvres tant la surprise fut présent. Matilda, Mattie ta soeur jumelle se tient devant toi un livre à la main. Et ça te fait buguer totalement. Tu la regardes fixement la bouche entrouverte dans un presque "o" d'étonnement. Tandis que ton cerveau se déconnecte totalement, trop plein d'informations, même sa vague tentative de paraître comme fantôme ne monte en réalité même pas à ton cerveau. Tu as l'impression de revenir à quelque mois en arrière quand le seul moyen d'être encore avec ta soeur c'était de te shooter à l'oxy. Ça te faisait pas simplement planer, ça te donnait aussi des hallucinations. Ca t'arrivait d'avoir des conversations avec tes hallucination, un peu sans queue ni tête mais tu étais sûr qu'elle était là et ça te suffisait. Mais là t'es clean. Tu en es sûr mais tu arrives quand même à en douter. Ta première réaction c'est de trembler plutôt violemment, les souvenirs appellent le manque et t'as tellement envie de te vider une boîte d'oxy à cet instant présent. Mais tes jambes te lâchent, tu chutes vers le mur contre lequel tu te laisses glisser sans cesser de fixer ta soeur des yeux. Ta peur de cligner des yeux et qu'elle s'évapore. Tu devrais être en train de sauter de joie, de lui hurler dessus que tu es heureux de la retrouver, qu'elle soit là, VIVANTE. Mais tu réagis autrement, c'est une surprise qui fait mal, parce que tu ne comprends pas ce qu'il se passe tu as vécu tellement de choses à cause de sa mort et tu te réalises qu'enfaite elle ne l'est pas. Qu'elle t'a menti. Tu ne sais pas ce qu'il s'est passé mais tout ce que tu sais c'est qu'elle n'est pas morte et qu'elle n'a pas chercher à te le faire savoir. Ca te fait l'effet de coup de poignard. Même pire que ça, c'est pire que quand t'as su qu'elle était morte. Alors tu fermes les yeux parce que les larmes ont, au final, fini par te submerger et parce que soudainement, tu aurais peut-être préféré qu'elle soit morte, alors elle peut bien s'évaporer...

Finalement, elle avait raison, Ariane. T’aurais dû rentrer chez toi après le travail, pour te lover sur le canapé avec Kovu le chat. Mais non, tu dois toujours en faire qu’à ta tête. Et maintenant ? Maintenant tu es là, devant lui. Et ça ne va pas du tout. Parce qu’il n’était jamais censé de revoir. C’était le deal. Tu l’embêtes pas avec tes problèmes, et toi, tu dois supporter de ne plus le voir. Du tout. Au début, ce fut dur, vraiment. Si ta meilleure amie n’avait pas été là, tu aurais certainement sombré dans le chagrin. Ne pas le voir, ne pas lui parler ou simplement jouer avec ses petites frisouilles, c’était un calvaire. Aujourd’hui, tu vis avec. Ou plutôt, tu survis. C’est dur, de te lever le matin en sachant pertinemment que tu ne verras plus son sourire, que tu n’entendras plus son rire. Mais c’est pour son bien, tu dois le protéger, de tout. Même de toi. Ton corps bouge tout seul, ta bouche s’ouvre, et tu sors tout un dégueuli de débilités, toutes plus grosses les unes que les autres. C’est bien ça, toi. T’aurais pu garder ton calme, dire que tu t’appelles Patricia kreuk ou Krak et que tu viens d’arriver en ville, mais non, tu te grilles toute seule. Matilda reste Matilda après tout dans toutes les circonstances ! Tu vois dans ses yeux qu’il t’en veut, qu’il ne comprend pas, qu’il a mal. Et cette douleur, il te la transmet. Vous êtes jumeaux, après tout. Quand il tombait de vélo, gamin, tu pouvais presque ressentir sa douleur, et c’est toi qui pleurais le plus. C’est pareil aujourd’hui. T’as mal, t’as si mal. Tu te sens égoïste. T’aurais peut-être dû mourir, finalement, quelques années de moins, ça change quoi ? T’inspires longuement, et tu t’approches. Parce que tu ne peux pas le laisser comme ça, tremblant comme une feuille. Parce que c’est Oli, après tout. Alors tu fais le tour du comptoir. Il y a encore quatre ans, tu l’aurais sauté sans soucis, mais tes membres sont de plus en plus faibles. Alors tu fais le tour, simplement. Et tu t’accroupis devant lui. T’as l’impression de revenir dix ans en arrière, vraiment. Tu lui souris, doucement, et tu poses une main sur son épaule. Il faut qu’il se calme. « Respires doucement, Lili… » Et pour la première fois depuis près de deux ans, tu passes ta main dans ses cheveux. Ils n’ont pas changé…Rien chez lui n’a changé, et pourtant, il semble si différent. Exactement comme toi, finalement.

Tu en trouves rien de cohérent à ce qu'il se passe. Rien de logique. Tu étais là quand ils ont enterré ses cendres, tu étais là sur sa tombe c'est bien son prénom qui est inscrit, tu le sais tu connais même la police d'écriture et la couleur de la pierre tombale par coeur. À force de venir pleurer dessus tu t'es rappelé de tous ses détails. Alors, pourquoi ? Est-ce que tu es en train de rêver ? Rêver ou cauchemarder au fond ? Ça ne serait pas plutôt un cauchemar de réaliser que la seule personne à qui on a toujours eu une confiance aveugle nous a menti, d'un mensonge qui nous a presque mené à nous tuer d'une overdose ? Tu sais plus, tu es totalement perdu et les émotions que tu ressens sont totalement contradictoires. Mélange de joie, de soulagement, de colère, de tristesse, de déception et de tellement tant d'autres. Mais ce que tu retiens surtout c'est la douleur. Ton corps fini même par te lâcher, d'abord les tremblements, puis tes jambes qui ne te supportent plus et pour finir les larmes qui t'empêchent pratiquement de respirer. Bien trop chamboulé tu ne réalises que quand elle pose sa main sur ton épaule qu'elle s'est rapprochée de toi. Mais ça fait tout l'effet inverse, ne faisant qu'accentuer tes larmes et tremblements d'autant plus qu'elle te demande de te calmer... et ton surnom. Y a qu'elle qui t'appelle comme ça à ton grand malheur... tu l'as souvent reprise en lui disant de t'appeler simplement Oli mais elle n'a jamais changé. Comme toi tu n'as jamais cessé de l'appeler Matildou. Elle passe une main dans tes cheveux et c'est finalement ce geste qui te fait réagir. Parce qu'elle faisait toujours ça, avant, ça te ramène au souvenir que tu as de ta jumelle d'avant. Et ça fait tilte dans ton cerveau paniqué, elle n'a sûrement rien voulu de tout ça, ça ne t'étonnerait même pas que tes parents soient derrière cette histoire d'ailleurs. Mais en fait, tu n'es pas pressé de savoir, tu veux juste t'assurer que c'est bien elle et pas juste une illusion. Alors, tu tends les bras et l'enlace, la serrant fort contre toi, posant ton front contre son épaule. Tu n'as jamais pu toucher une de tes illusions alors tu sais que ça n'en est pas une dès que tu effleures sa peau. Et ça te calmes, ça te rassure, parce que c'est ta soeur et que contre elle tu es toujours rassuré quoiqu'il arrive. Tu trembles moins et tu ne pleures presque plus mais ta voix te fait toujours défaut. De toute manière, tu ne saurais même pas quoi dire tant tu es chamboulé et ému de la retrouver et de la savoir vivante.

Quand tu y penses, tu te demandes comment tes parents ont pu, à ce point, se montrer sans cœur. Enterrer un enfant, le pleurer, le privé de sa fille, uniquement parce qu’il est un peu différent ? Parce qu’il ne rendre pas dans les cases, c’est ça que Dieu leur a appris. Tu ne penses pas. Aujourd’hui encore, tu aimes. Aujourd’hui encore, tu le pris, tu portes une croix autours de ton cou. Tu crois en lui, tu le sais bon et juste. Et c’est pour cela que tu sais également que ce que ta famille n’est pas bien, même aux yeux de Dieu. Tu te demandes également comment ils ont pu croire que tu ne reviendrais jamais dans leur vie ? Après tout, tu continues de faire la tienne sous le même nom. Aux yeux de la loi, tu n’es pas morte. Ça, c’est uniquement aux leurs, et à ceux de l’église, peut-être, tu sais pas trop. Voir ton petit frère dans cet état-là te fends le cœur. L’entendre pleurer, c’est un véritable supplice, à la fois pour tes oreilles et pour tes yeux. Tu voudrais le consoler, mais tu en es incapable. Après tout, c’est lui l’enfant posé, qui séchait des larmes, enfant, quand tu t’emportais trop. En y pensant il n’y avait pas plus différent que vous. Et pourtant…pourtant vous vous aimiez simplement, sans fioritures. Pourtant, vous étiez plus que tout lié. Alors tu comprends, ouais, tu comprends Mattie, que c’est dur pour ton frère de se rendre compte que tu lui as menti, pendant presque deux ans. Mais que vos parents lui ont mentit, également. Quand son bras se referme sur ton épaule, tu le sers à tes tours, si forts que ton corps te fait souffrir. Mais peu importe, le plus important, c’est qu’il est là, contre toi. Que tu peux sentir son odeur et entendre les battements de son cœur. « Je suis désolée…Lili. Tellement désolée… » Tu ne sais pas quoi dire, pas quoi faire. Que va-t-il se passer maintenant ?

Malgré tout, tu ne peux pas t'empêcher de lui en vouloir. Tu ne sais encore rien de l'histoire et tu te doutes sans même rien savoir que tes parents sont en grandes parties liés à tout ça. Maintenant t'as compris. T'as compris pourquoi tu n'as jamais vu ta mère verser une seule larme depuis l'annonce sa mort. Et ton père ne portait clairement pas le deuil. À vrai dire, t'étais bien le seul à être en deuil dans toute cette famille, t'étais aussi le seul dans le brouillard visiblement. Combien d'autres personnes sont au courant ? Peut-être ton oncle ? Tu ne penses pas... il ne doit même pas reconnaître Mattie en réalité. Elle venait tellement rarement voir même jamais avec toi à la librairie... et même si c'est votre oncle on ne peut pas dire qu'il soit très proche de la famille. Au moins une de réveiller chez les Roy. Mais pire que de savoir qui est dans la confidence tu as surtout envie de savoir pourquoi. Qu'est-ce qu'il ne va pas ? Qu'est-ce qu'il s'est passé pour que ta soeur doive carrément se faire passer pour morte ? Et pourquoi, toi, tu n'es pas dans la confidence ? T'as peur de la réponse à présent... Tu n'oses pas lui demander. Non seulement parce que tu n'as plus de voix sous le coup de l'émotion mais aussi parce que ta peur. Ta peur de dire des choses que tu ferais mieux ne pas lui dire, car elle t'a manqué certes, mais tu lui en veux aussi, t'es en colère et soulagé. Tu ressens deux sortes de sentiments très extrêmes. Elle s'excuse et tu acquises lentement de la tête avant d'enfouir ton visage dans son cou, retrouvant avec plaisir son odeur. Que pourrais-tu faire d'autres ? Lui dire que tu ne lui pardonnes pas ? Peut-être, mais tu ne souhaites pas non plus mal débuter ces retrouvailles. « J'ai vécu un enfer... tellement que tu ne peux même pas t'en rendre compte... j'ai failli mourir, j'voulais vraiment mourir... et toi tu... es vivante... » tu as la voix éteinte, les émotions t'ont carrément fait une extinction de voix. Ça va être sympa de discuter de la vie avec une voix caverneuse. Parler de tout ce qu'il s'est passé pour toi n'es pas vraiment dans tes priorités tu veux surtout SES explications. Tu te recules suffisamment pour pouvoir la regarder mais sans vraiment quitter ses bras, tu peux pas te séparer plus que ça d'elle, tu as peur qu'elle s'échappe « Qu'est-ce qui s'est passé Mattie... pour... pourquoi ? »

Tu comprends parfaitement qu’il t’en veuille. C’est normal. Tu aurais réagi de la même façon si tu savais que ta moitié te mentait depuis deux ans. Tu l’as fait souffrir, même si c’était pour son bien. Et tu es aujourd’hui parfaitement inexcusable. Tu ne sais pas quoi dire, pas quoi faire. Alors tu le sers dans tes bras, tu le sers contre toi, et tu tentes de le rassurer comme quand, enfant, il faisait un horrible cauchemar et venait se lover contre toi, au milieu de la nuit. Tu as toujours voulu le protéger, Oli, parce que c’est ton petit frère, ton petit prince, ton petit amour. Parce que tu l’aimes, tu le chéris et que tu ne veux que son bonheur. Pour le coup, c’est raté. C’est comme s’il enfonçait un couteau brulant dans ta poitrine. Doucement, lentement, puis qu’il le tourner brusquement. Quand il t’avoue avoir failli mourir, avoir voulu mourir, tu suffoques à ton tours. Tu n’étais pas au courant. Non, vraiment pas. Sinon, bien sûr, tu serais venu, tu l’aurais sauvé quand tu veux toujours le faire. Ouais, tu l’aurais sauvé de lui-même. Sauf que ce n’est pas de lui-même qu’il faut qu’il soit sauvé. Mais de toi. Et pour cela, tu n’y peux absolument rien. « Je suis tellement désolée, Lili. Je te le promets, je ne savais pas… » Ta voix se brises, tu hoquètes et bientôt les larmes inondes des joues pâles. Merde, mais qu’est-ce que tu as fait, Matilda ! Tu caresses ses cheveux, toujours, instinctivement. Tu roules ses boucles brunes entre tes doigts. Ça t’a toujours fasciné, la différence de texture entre vaut cheveux. Les tiens sont lisses alors qu’il ressemble à un petit mouton, au réveil. « Quand… » Tu cherches tes mots avec soin. Tu ne peux pas lui dire toute la vérité, mais tu lui dois une explication. Alors tu parles doucement, avec des trémolos dans la voix. « Quand j’ai foncé dans l’arbre. J’étais inconsciente. Et ils m’ont envoyé dans l’hôpital public. Toi, tu es allé dans la clinique des parents, tu sais. Je me suis réveillée au bout d’un mois avec une jambe cassée, et j’ai reçu, surement de leur part, d’ailleurs, un avis de décès. Le mien. » Tu te tais. C’est encore douloureux, même après deux ans. « Je ne pouvais pas venir vers toi et te dire que tes parents, ceux que tu chérissaient tant, étaient des menteurs et des tricheurs. Qu’ils m’ont fait passé pour morte car… » Tu te mords la lèvre, et finalement, tu lâches la bombe. « Car, à l’époque, j’étais amoureuse d’une fille. »

Dans un sens, tu as et tu aimerais lui raconter tellement de choses, tout ce que tu as vécu depuis que tu la penses morte, quand on t'a annoncé son décès, son enterrement, ton coming out qui s'est très mal passé et ta chute sans fin... puis Suliac qui t'a aidé inconsciemment à remonter la pente. Tu as tellement de choses à lui dire. Mais c'est surtout son histoire qui t'intéresse, sa version des choses pas la tienne, pas celle de vos parents. Tu ne pars pas dans les détails quand tu la vois pleurer... elle a l'air sincère, elle ne savait pas. Tu vois mal comment elle aurait pu savoir puisqu'elle n'était pas là, justement, et que tu t'es bien arrangé pour que personne ne te retrouve. Enfin, en tout cas essayé de ne pas être retrouvé... Ses larmes sur ses joues te font l'effet à ton tour l'effet d'un coup de poignard. Tu as toujours été persuadé qu'elle et toi vous êtes émotionnellement étroitement lié. En tout cas, voir ta soeur souffrir t'a toujours fait énormément de mal. Elle s'excuse mais tu ne trouves pas grand chose à répondre. Tu es vivant, et elle aussi d'ailleurs, alors à quoi bon s'excuser ? Tu secoues simplement la tête en haussant des épaules n'étant pas vraiment prêt à parler de tout ça avec ta soeur. Tu t'éloignes légèrement d'elle afin de la regarder, tu la regardes chercher ses mots et finir par te raconter toute l'histoire. Bien que tu n'ait clairement plus beaucoup de respect pour tes parents, tu n'en restes pas moins choqué par son histoire. Encore plus quand elle avoue sa... son homosexualité ? Bisexualité ? Son amourette avec une fille ? T'en sais trop rien, tout ce que tu sais c'est que tu ne te serais jamais douté que ta soeur était attiré par des personnes du même sexe. Ni qu'elle l'avait dit à vos parents. Et encore moins que c'est pour ça qu'ils l'ont fait passer pour morte. Mais ce que tu retiens surtout c'est qu'elle ne t'a pas expliqué pourquoi toi tu n'es pas au courant de tout ça. Pourquoi elle s'est réellement fait passer pour morte. Tu ne peux pas t'empêcher de te vexer et de t'énerver. Que pense-t-elle ? Que tu es comme vos parents ? Homophobe et complètement étroit d'esprit ? T'ignore tout des vrais raisons. « Pourquoi tu ne m'as rien dit de tout ça ? Tu crois que je suis comme eux hein ? Homophobe ? Je suis GAY Mattie et les parents m'ont foutu DEHORS ! J'aurai compris tout ça si tu étais venu m'expliquer... » tu accentues bien les mots "gay" et "dehors" parce que c'est encore quelque chose que tu as toi-même de la peine à assimiler parfois, puis tu la regardes tristement, déçu du manque de confiance qu'elle a en toi. Si elle était venue t'en parler dès le début, en même temps ou même avant les parents, t'auraient clairement pu la soutenir. La tenant encore dans tes bras, tu t'éloignes et croises tes bras contre toi. Terriblement vexé et déçu, tu pensais que vous vous disiez tout elle et toi... « Alors du coup ça t'arrangeais bien de te faire passer pour morte c'est ça ? T'étais quitte d'avoir ma réaction ? »

Savoir que ton frère a tant souffert, par ton unique faute, ça te rends malade. Pourquoi n’étais-tu pas au courant ? Maintenant, tu regrettes d’avoir fait ce choix. Tu aurais dû tenir tête à tes parents. Mais en même temps, tu sais que si ton frère apprend que tes jours sont comptés, alors qu’il vient à peine de te retrouver, ça lui fera mal, trop mal. Et ce n’est vraiment pas ce que tu veux, bien au contraire. Tu te mords la lèvre. Ouais, tu vas lui cacher la vérité, c’est la meilleure chose à faire. Mais tu détestes mentir, en général, encore plus à ta moitié. Alors ça te coûte beaucoup.  T’essuies tes yeux mouillés de larmes et un trait noir, de mascara, coule sur ta joue. T’es belle à voir tient ! Tu plonges tes yeux dans ceux de ton frère. Les uns comme les autres sont d’un bleu vif, presque irréelle, comme à chaque fois que vous pleurez. Quand tu étais jeune, le soir, tu te mettais à pleurer devant le miroir, pour voir le changement de couleur dans tes mirettes. Oli se moquait d’ailleurs souvent de toi, à ce sujet. Tu hausses un sourcil quand il se met à parler. Est-il sérieux ? A-t-il une si basse estime de toi ? C’est douloureux, mais tu aurais dû t’en douter. Après tout, tu n’as ce que tu mérites. Alors tes lèvres s’entre ouvre et ta voix soir, douce, comme un chant de sirène. « Lili, mon ange. Mais qu’est-ce que tu vas chercher ? Enfin, tu sais que tu es gay, je l’ai toujours su, je suis ta sœur, je te connais par cœur. Te connaissait par cœur…Je ne voulais simplement pas que tu sois affecté par la situation, je sais que tu aurais mal vécu, à l’époque, le rejet de nos parents. J’imagine que ça doit être dur, aujourd’hui encore. Je comprends, je t’ai fait souffrir, mais je n’arrive pas à croire que tu puisses penser une telle chose de moi. Tu crois sincèrement que j’ai aimé faire ce que j’ai fait ? Non, me séparer de toi, ça m’a déchiré le cœur. Mais je l’ai fait pour toi, ce n’était peut-être pas la meilleure chose à faire, mais c’était pour toi. Parce que tu es mon petit frère, et que c’est mon devoir, de me sacrifier pour toi, Olivier. » Tu ne parles jamais autant, tu n’es jamais aussi serveuse. Et pourtant, tes yeux dans les siens, tu annonces tout cela d’une voix calme.

Son histoire te semble tellement illogique, tellement... peu probable, tu n'y crois pas une seconde. Et même en supposant que ça soit vrai, c'était vraiment stupide comme idée. D'autant plus qu'elle a essayé de te faire éviter ce qu'elle vivait elle, c'est-à-dire le rejet de tes parents et que ça se passa exactement comme il ne le fallait pas. Tes parents te mirent à ton tour dehors une fois que tu leur avouas sans prendre de pincette que tu étais gay. À cette époque, tu étais totalement perdu et désorienté par la mort de ta soeur que cet aveu t'avait semblé être qu'un simple détail. Pas aux yeux de tes parents visiblement... Tu n'arrives pas à croire que tu as vécu tout ça, tant de douleur pour "juste ça"... Tu es plutôt surpris qu'elle ait deviné que tu étais gay, mais en réalité ça t'étonne pas tant que ça. Elle a toujours eu le don pour savoir ce genre de choses tandis que toi tu es totalement dans le brouillard. Tu ne vois jamais rien venir, tu sais que tu connais bien ta soeur mais tu es incapable de percer ses secrets. Ce n'est pas faux d'avoir essayé. Mais à présent elle est un véritable mystère, tu ne lis rien du tout tu ne comprends rien du tout... « Que je l'aurai mal vécu ? Et tu croyais que j'allais mieux vivre ta mort peut-être ? » te rendant compte que la conversation commence à devenir vraiment sérieuse tu décides de te relever et d'aller tourner le panneau de la porte d'entrée pour indiquer que la librairie est fermée. T'espères que personne n'est dans le magasin mais c'est plutôt calme aujourd'hui alors tu t'inquiètes pas trop. Puis tu reviens t'asseoir contre le mur en face de ta soeur. « Ce que tu as fait c'était vraiment stupide Mattildou... si tu m'avais expliqué je l'aurai peut-être mal vécu, mais ça aurait toujours été moins pire que ta mort. J'avais... » t'as de loin pas fini de raconter ton histoire que tu as déjà les larmes aux yeux et la voix qui tremblotes, tu passes tes mains sur ton visage déjà submergé par des souvenirs douloureux « J'avais l'impression qu'une moitié de moi m'avait été arraché... j'étais totalement inconsolable puis j'ai fait mon coming out et j'ai perdu ce qu'il me restait de famille ainsi que mes amis parce que j'étais devenu insupportable et trop gay à leur yeux. Puis j'ai sombré encore plus bas que je ne l'étais déjà... à l'hôpital après l'accident ils ont dû me donner des anti-douleurs car j'ai été blessé à la jambe... » tu déglutis et ferme les yeux. Tu as honte clairement de lui raconter cette histoire, t'en es pas fier et tu regrettes terriblement. C'est les yeux fermés et le visage dans les mains que tu continues ton récit. Impossible pour toi de la regarder et de voir la déception de toi dans ses yeux « J'ai... jamais pu arrêter les anti-douleurs... Au contraire, j'en étais devenu accro. Au début j'en prenais tous les jours, comme si j'en avais encore besoin et puis après, un peu plus que la prescription... L'oxy est considéré comme une drogue même si elle est utilisée médicalement... Et j'en étais totalement addict... je le suis encore au fond, t'imagine même pas comment mon corps hurle d'envie d'un cachet là... Je suis parti, j'ai fui je me suis caché dans une chambre d'hôtel où je pouvais gober mes pilules en paix. J'avais pas d'argent évidemment alors j'ai dû... un peu me vendre... pour avoir de l'argent et pour pouvoir m'en acheter... » tu peux t'empêcher d'avoir un petit sanglot que tu essaies d'étrangler pour pouvoir terminer tandis que tu imagines ta soeur se dire que tu es du genre prostitué... tu peux pas la contredire mais tu regrettes tellement. « C'est un ami, Suliac, qui m'a retrouvé en très piteuse état... je m'en souviens pas très bien mais je me souviens que j'en prenais vraiment beaucoup... je voulais mourir Mattie... j'voulais venir te retrouver... alors de savoir que tout ça c'était juste "parce que tu pensais bien faire en te sacrifiant" ça me rend tellement mal... » tu trembles un peu et t'essaies de te contenir en respirant calmement parce que c'est du passé tout ça et tu dois vraiment tourner la page maintenant, mais c'est encore extrêmement douloureux pour toi.

Lui déballer toute ton histoire d'un coup comme ça, sans vraiment faire de pause, n'était pas forcément la meilleure idée que tu es eu. D'autant plus que tu ne voulais pas lui raconter tout ça tout de suite. Mais c'est ta soeur, ta jumelle qui puisse est, ta confidente voir même plus que ça et tu te voyais mal passer au-dessus d'un aussi gros détail. Tu veux que tout redevienne comme avant avec elle, tout se raconter, se réconforter, s'aimer et être des putains d'être vivants ! Mais tu sais déjà que ça va être compliqué pour toi, tu lui en veux énormément. Même si tu essaies de lui pardonner, tu n'y arrives pas pour le moment. Tu es encore trop surpris par tout ce qu'elle t'a raconté, c'est encore trop frais. Jamais tu ne pourras dire que c'est de sa faute si tu es devenu un toxico qui peine encore à ne pas penser à ses pilules toutes les cinq minutes. Tu n'avais qu'a pas être si faible et qui sait tu aurais peut-être craquer même, avec une soeur à tes côtés ou non. Mais son mensonge n'a clairement pas aidé c'est certain. Tu n'oses pas la regarder tandis que tu as fini de tout déballer mais elle pose une main sur ta joue et tu ne peux que relever le regard vers elle. Ton regard dans les siens, tu essaies d'y lire quelque chose, n'importe quoi, un sentiment, une pensée, quelque chose. Mais rien. Elle ne te juge pas, absolument pas et elle te sourit même un peu. Il se passe un long moment avant qu'elle ne dise quelque chose et tu ne peux que rire légèrement. À moitié de soulagement car comme tu le pensais, elle ne te critique pas, elle ne t'engueule pas, elle aurait eu toutes les raisons du monde de te hurler dessus pour toutes les conneries que tu as fates mais elle le fait pas. Ce qui est plutôt une bonne chose car tu te punies déjà suffisamment par toi-même. Puis ce surnom qu'elle te donne, comment ne pas en rire ? « Ouais, c'était stupide, mais je t'aime toi et ta stupidité » tu la sers à nouveau dans tes bras, la tenant fort contre toi. Malgré tout tu restes fou de joie de retrouver ta soeur et de la savoir vivante « Me laisse plus jamais Matilchou, je veux plus être exclu d'aucun de tes problèmes... aucun. »

Depuis que tu as laissé pousser tes cheveux dans une sorte de "choucroute" plus ou moins contrôlée au spray à l'eau de mer et à la laque, tu n'as jamais compris pourquoi Mattie prenait un si malin plaisir à y glisser ses doigts et à te décoiffer. Souvent ça t'agaçait. Surtout si tu savais que tu devais sortir plus tard. Ça te forçait souvent à retour te recoiffer. Mais parfois tu la laissait faire aussi. Ce n'est pas désagréable bien au contraire, tu apprécies qu'on joue avec tes cheveux ou qu'on les caresse. C'est tout bête mais ça te calme, ça te détend. Et c'est une chose qu'elle a bien compris, t'as l'impression. Même si tu sens que tu lui en veux encore beaucoup, tu te sens mieux. Plus complet. Tu as retrouvé ta moitié et tu le ressens clairement à présent. Tu as tellement de questions à lui poser alors tu ne te retiens plus maintenant que tu as déchargé de tes épaules ce que tu regrettes tant d'avoir fait dans son absence. « Avec tout ça je t'ai même pas demandé le principal, tu vas bien ? Que fais-tu du coup maintenant ? Tu as un travail ? Où tu vis ? Dis-moi que tu ne dors pas dans la rue, pitié... » tu as conscience de la bombarder de question... mais elle le mérite, elle avait qu'à pas te laisser comme ça. Maintenant tu veux tout savoir et surtout tu te sens inquiètes pour elle tandis que tu réalises qu'elle doit sûrement être dans la merde si elle s'est fait renier par vos parents.