Judd | Qui es-tu ?

Il ne doit pas être loin de midi. La journée a tellement bien commencé pour moi, que le sourire dessiné sur mon visage ne s’efface pas. Déjà, d’ordinaire, je suis souriante. Mais encore plus quand je passe une super journée. Ce matin, je suis allée prendre des photos vers la plage. Des surfeurs, de simples vagues, des amoureux qui s’embrassent. Que j’aime cette ville ! Je ne regrette pour rien au monde d’avoir posé mes valises ici. Et pourtant, je ne pensais jamais vivre autre part en France qu’à Lyon. Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais.

Mon appareil photo autour du cou, je me promène joyeusement dans les rues. J’en profite pour immortaliser des moments que je trouve merveilleux. Un oiseau dans les arbres, un enfant qui joue. Tout est prétexte à prendre une photo. C’est d’ailleurs pour cette raison que je rêve d’avoir ma propre galerie. Je pourrais exposer des tas de photos uniques et différentes. Oui, c’est la même chose, je sais. Chaque photo dégage une émotion unique. J’ai quand même de la chance, de pouvoir vivre de ma passion aujourd’hui. On n’est pas tous dans le même cas. Quand j’étais petite, je voulais être photographe sportif uniquement. J’ai toujours tellement aimé le sport ! Je rêvais d’être cette personne qui, à la fin d’un match, à la fin d’une épreuve, capture les moments de joie procurés par la victoire.

Je me décide à me poser quelques instants. Il faut dire que je n’ai pas arrêté de me promener de toute la matinée, alors j’ai bien le besoin d’une pause. Je m’arrête dans le premier bar que je vois. Je rentre, me dirigeant vers le comptoir où je m’installe, toujours le sourire aux lèvres. « Une menthe à l’eau s’il vous plait. » Je m’adresse au beau serveur, qui ne tarde pas à me servir. C’est bizarre cette sensation, mais je suis persuadée d’avoir déjà vu son visage. Est-ce que je suis déjà venue dans ce bar ? Non. Est-ce que je l’ai déjà photographié ? Non, je me souviens toujours des personnes que je prends en photo. Je cherche. Je n’aime pas ne pas savoir, ne pas trouver ce que je veux. « Excusez-moi. On s’est déjà rencontrés ? » Deux hypothèses : soit il me prend pour une folle, soit je l’ai effectivement déjà rencontré. J’avoue que j’espère que ce soit la deuxième possibilité. De toute façon, je ne bougerais pas d’ici tant que je ne saurais pas où j’ai vu cet homme. Je suis persuadée de l’avoir déjà vu. Je n’ai jamais eu cette sensation, de connaître quelqu’un, mais de finalement me tromper. Je n’oublie pas quand même de boire ma petite menthe à l’eau, qui m’attend sagement sur le comptoir. C’est vrai, il ne faut pas perdre le nord, je suis venue ici pour boire, à la base.

Je n’aime pas ça. Je suis tellement persuadée de l’avoir déjà vu. Ou alors, comme d’habitude, je me fais des films. Mais la certitude que j’ai est tellement forte, que je suis obligée de l’avoir vu avant. Je peux y passer ma journée, ma nuit, ma semaine. Tant que je ne saurais pas, rien d’autre ne contera. Il travaille dans ce bar depuis plus de six mois. Je n’ai pas le souvenir d’être déjà venue. Peut être que si, en fait. Je ne sais pas. Je ne note pas les bars dans lesquels je viens me poser dix minutes avant de repartir. Non, de toute façon, je l’ai vu autre part, ce n’est pas possible autrement. Si c’est bien dans ce bar que je l’ai déjà vu, j’aurais associé son visage à ce lieu, comme je le fais à chaque fois. Or, ce n’est pas le cas. Dans ma petite tête, je ne le vois pas ici. Le problème, c’est que je ne sais pas où.

Il pose le verre devant moi. Je lui souris, avant d’enfin pouvoir boire quelques gorgées. Je le regarde. Il doit vraiment me trouver pour une folle. Et vient ce moment où son collègue me sauve la vie. Berroya. Ca ne fait qu’un tour dans ma tête, avant que je me redresse, et le regarde les yeux écarquillés. « Ca y est ! J’ai Judd Berroya en face de moi. Je n’en reviens pas ! » Un large sourire se dessine sur mon visage. « Je ne rate jamais un match. Le rugby, c’est sacré dans ma famille. » Contente, je sirote de nouveau ma menthe à l’eau. Je suis surprise de le voir presque se décomposer. Il pensait peut être passé inaperçu ici. Quoique, le sud c’est bien connu pour la culture du rugby, surtout avec l’équipe de Bayonne non loin. « Je me souviens de ce match acheté. J’y étais. » Je ne le quitte pas du regard, même si je remarque qu’il semble fuyant. « C’est à cause de cette arnaque que vous avez arrêté ? »

C’est rare que je parle rugby avec les gens que je croise. En fait, il n’y a qu’avec mon père. Maintenant, c’est seulement quand je l’ai au téléphone. Quoiqu’il en soit, je suis toujours supportrice de Lyon. C’est ma ville, mon équipe. Si je devais être objective, ce serait le RC Toulon, la meilleure équipe. Mais on le sait tous : il n’y a pas d’objectivité quand on est supporter. En tous cas, je suis heureuse de rencontrer un joueur d’une aussi grande classe que lui. Je suis comme une gamine. J’essaye de le cacher, mais je suis une très mauvaise menteuse.

Je le regarde. Je le vois se décomposer. Son visage se tend. Pourtant, il répond. Il ne fuit pas. Enfin il répond, c’est un bien grand mot. Il me parle, ça semble plus approprié. Il semble, en premier, surpris. Il est surprit de savoir que je sais que ce match, son dernier match, a été acheté. Je le regarde. Je ne souris plus. « Tout le monde le sait. De toute façon, il aurait fallu être aveugle pour ne pas le voir. Quand des joueurs laissent passer les ballons à ce point, c’est forcément qu’il y a de l’argent derrière. » Je sirote la boisson qu’il m’a amenée quelques minutes plus tôt. Je me sens mal à l’aise, mal de lui apprendre que tout le monde sait que ce match était trafiqué. « Je vous rassure, énormément de monde vous a soutenu. On a tous vu que vous n’étiez pas d’accord avec cette magouille. Vous avez l’âme d’un sportif. Un sportif passionné. » Je lui souris de nouveau. Je soupire quand il me demande d’arrêter d’être curieuse. Pour autant, je ne le quitte pas du regard. Je ne cesse de sourire. « La curiosité est un vilain défaut. Moi, je ne suis pas d’accord avec ça. Je pense qu’on a tous le droit de savoir. » Je marque un temps d’arrêt. « Mais de toute façon, je ne vous arracherais pas les mots de la bouche. Donc je vais devoir rester dans l’ignorance. » Je le regarde avec mes yeux foncés. Je le sens, qu’il ne me dira rien. C’est son droit. Je vais insister quoi ? Vingt secondes et puis je passerais à autre chose.

Cette fois, il fuit. Vraiment. Je ne vais pas bouder comme une enfant. Il n’a peut être pas envie de parler aujourd’hui. Peut être que demain, il sera disponible. Sauf que moi, je n’aime pas attendre. Et je ne peux pas m’empêcher de vouloir tout savoir. « Vous ne savez pas mentir. Ca se voit dans vos yeux. » Je souris, toujours en sirotant ma petite menthe à l’eau. Je ris. « A la base, je suis venue par hasard. Mais maintenant, je ne suis pas prête de partir. Je ne sais pas si vous vous rendez compte que vous êtes certainement le joueur pour lequel j’ai le plus d’admiration ? Rien que pour ça, je devrais avoir le droit à une petite photo. »