weight of living (catrio)

Ce soir-là, tu travailles pas. Normalement tu devais, parce que toutes soirées sont consacrées à ton travail depuis que tu as quitté les bancs de la fac. T'as pas supporté bien longtemps d'être étudiante, t'en as un peu honte et t'en parles pas trop, parce que tu te sentais pas à l'aise là-bas, c'était beaucoup trop grand pour toi et tu savais que tu te perdrais trop facilement. C'est une mauvaise idée de nos jours quitter l'école sans diplôme, ton bac il te sert à rien, et c'est tout ce que t'as. Heureusement, t'as réussi à trouver ce travail au Caveau. T'es plutôt charismatique, tu présentes pas, t'as un jolie sourire et le sens du social, du coup, ça n'a pas été difficile pour toi de trouver ce travail. Tu ne diras pas que tu l'aimes. Loin de là. Être serveuse, c'est pas un métier de rêve, mais ça t'aide à vivre, et ça te laisse du temps en journée pour pouvoir t'occuper, découvrir, écrire, jouer. Avec le temps t'as même pu t'acheter une vraie batterie, une belle, comme dans tes rêves les plus fous. Oui, concrètement, tu te réjouies de ce travail, parce qu'il te permet de pouvoir souffler et vivre à côté. En plus, t'as la chance de pouvoir t'entendre avec tes collègues, et avec le grand patron, alors tu n'as pas eu trop de mal à négocier cette soirée de libre. C'était important pour toi, parce que Demetrio t'a proposé de te rendre à une soirée avec lui. C'est banal maintenant, vous faites ça depuis un bout de temps, mais ça te fait toujours autant plaisir, alors tu n'hésites pas, et tu te libères si tu peux. Cigarette en bouche, tu fumes tranquillement dans la rue, en attendant Demetrio. T'es juste devant l'endroit où la soirée se passe, mais tu veux absolument l'attendre. Tu sais que c'est vite facile d'être perdue pour toi, et t'aimerais au moins rester un peu avec lui au début, avant que l'ambiance douteuse d'un ailleurs vous embarque. C'est ton truc les soirées, parce que tu vois tout le temps des gens s'amuser à ton travail, alors ça te fait du bien de pouvoir le faire aussi, de temps en temps, de ton côté. Tu le vois finalement arriver, et sans attendre tu laisses tomber ta cigarette avant de l'écraser et lui offrir ton plus beau sourire. T'es contente de passer un moment avec lui, t'as l'impression que ça fait une éternité.

Cette soirée, comme toutes les autres, me met mal à l’aise rien que d’y songer. Les ambiances fêtardes, contrairement à Catherine, je n’y suis pas habitué. Le monde ne m’effraie pas, mais je n’aime guère traîner dans un environnement qui me semble trop hostile, avec des jeunes qui se déchaînent sur la boisson, la drogue, pour finalement devenir incontrôlable, mais de temps en temps, il m’arrive de faire quelques efforts et de m’éloigner de tout le luxe qui m’entoure, de cette ambiance que j’apprécie, si calme, si respectueuse et qui n’a rien à voir avec les petites fêtes comme celle qui m’attend, simplement pour que Catherine passe un bon moment. Cette jeune fille qui était autrefois une enfant abandonnée sur les rails, cette petite fille qui a grandit en même temps que moi, même si mon père n’était pas très heureux que je la fréquente. Le garçon que j’étais a bien été curieux, souhaitait comprendre le pourquoi du comment et s’est finalement attaché à ce bout de femme qui n’a aucun souvenir d’un passé heureux ou malheureux. Une main plongée dans ma poche, l’autre tenant la fin de la cigarette que j’écrase sur le bitume en apercevant mon amie au loin, j’arbore un fin sourire en m’approchant. « Comment vas-tu ? » demandé-je, en posant une main sur son épaule, alors que mon attention entière se pose à présent sur cet endroit où la musique résonne déjà. Il y a de nombreuses personnes, mais moins que la dernière fois. « Entrons goûter l’une des boissons répugnantes mises à disposition. » C’est probablement ce qui me fait le moins plaisir à chaque fois, à tel point que je laisse souvent de côté cette corvée après avoir pris une gorgée uniquement. C’est déjà trop. Je pose ma main sur le haut de son dos et l’attire à l’intérieur, me fais d’ores et déjà bousculer par un gamin qui n’a pas plus de vingt ans et qui renverse son verre dû au choc. Il râle, puis se met à rire. « Il en tient une couche. » Il m’est arrivé de me mettre minable à plusieurs reprises lorsque j’étais adolescent, lorsque mon cœur ne tenait plus le choc et que j’avais envie, besoin, de profiter de mes derniers instants, persuadé que j’allais y passer, que je n’allais plus pouvoir voir la couleur du jour, avant de voir un espoir naître, un espoir toujours d’actualité, mais qui m’effraie tous les jours. Ce cœur en moi, qui n’est pas le mien, qui bat, pourrait très bien me faire faux bond.

La musique bourdonne déjà au loin dans tes oreilles. T'es prête pour cette soirée, comme toutes les autres, parce que c'est le moment où tu t'oublies un peu. Pas que t'es besoin de perdre le contrôle sur ta vie, ou de l'oublier entièrement, au contraire, en ce moment ta vie, elle est plutôt agréable. Ton seul soucis, c'est que tu sais pas trop où tu vas. T'as beau y réfléchir, aucun projet concret, aucun plan possible ne te vient en tête. Tu te sens bête, parce que dans tes pensées d'avenir, y'a que ton groupe qui y est. Tu crois dur comme fer que vous avez y arriver, à vous faire connaître, à percer un peu. Tu vises pas la célébrité, la notoriété à en redemander. Tu voudrais simplement quitter ta petite boite de nuit pour vivre ton rêve, pour vivre de la musique. Mais déjà ça, c'est trop irréaliste, c'est trop poussé. Pour autant, c'est la seule chose que tu as. Alors tu vis au jour le jour, dans la crainte de ne jamais trouver ta voie, trouver ce que tu dois faire. Tout ce qui t'occupe là, maintenant, c'est de retrouver Demetrio, de boire un peu, pas trop, de danser, de parler avec lui, en somme, de passer une bonne soirée. "Très bien et toi ?" Tu réponds, au tac au tac. C'est vrai que tu vas bien, t'as pas de quoi te plaindre en tout cas, ta vie avance, doucement, mais sûrement, du moins, c'est ce que tu te dis. Vous rentrez alors, et immédiatement vous êtes immergés dans le monde de la nuit. La lumière tamisée, les rires, les silhouettes, t'y vois un certain charme, presque. Tu remarques pourtant rapidement que Demetrio n'est pas à l'aise, et ça te gêne un peu. Tu sens qu'il ne voulait pas spécialement venir, tu regrettes de l'avoir poussé. "On peut partir si tu veux." Tu dis alors, sûre de toi, en haussant la voix pour qu'i t'entende parmi tout ce bruit. Tu lances un coup d'oeil général, et c'est vrai que l'ambiance est particulière. Tu sais que c'est la période qui veut ça, c'est la fin de l'année scolaire, les lycéens, les nouveaux étudiants sont de sortie, découvre ce monde. T'es passée par là aussi, tu t'en souviens. "On peut se balader, on achètera de quoi boire en route?" C'est un bon plan, tu penses, t'espères. Tu veux pas passer la soirée à crier dans les oreilles de Demetrio de toutes façons, et t'auras déjà d'autres occasions de faire la fête, mais ce soir, tu sens bien que ni toi, ni lui, avez la tête à ça.

« Ca va, très bien. » dis-je, assez fort pour qu’elle m’entende. J’aimerais lui en dire plus. Il y a tant à dire depuis la dernière fois, mais avec tout ce bruit, c’est malvenu, alors quand elle me propose de partir, j’acquiesce d’un signe de tête. « Si ça ne te dérange pas. » Un étudiant me bouscule juste à ce moment, me fait reculer vers le buffet auquel je m’appuie pour ne pas perdre totalement l’équilibre. Il n’y a plus de doute possible, j’aimerais qu’on s’en aille. J’attrape le bras de Cathy et l’attire vers l’extérieur de la fête. L’air frais fait du bien. Je n’ai plus cette sensation d’étouffer, c’était désagréable. « Je disais, tout va très bien. » Je ne sais pas si elle m’avait entendu, alors je me répète avec une voix bien plus posée cette fois-ci et la dévisage ensuite avec un sourire en coin. « Bien mieux depuis qu’on a quitté cette fête. » C’est bien connu, je ne sais pas m’amuser, pas comme ça. Mon adolescence, je l’ai passée dans les bouquins, dans les études. Je ne fréquentais pas les fêtes étudiantes, alors ça ne me parle pas beaucoup. J’aurais peut-être apprécié si les choses avaient été différentes, si mon père ne m’avait pas poussé à faire toujours plus, à me rapprocher de la perfection. Je ne lui en veux pas, je lui dois tout ce que j’ai aujourd’hui, notamment ma vie. C’est lui qui a fait ce qu’il fallait pour mon hospitalisation. Sans lui, je serai si pieds sous terre. « Il y a des choses qui se passent dans ma vie, en ce moment… » avoué-je, avant qu’un jeune homme passe devant nous avec une bouteille à la main. Il boit une longue gorgée au goulot, puis avec un sourire, se met à détailler Catherine. « Tu pars déjà ma jolie ? » Je croise les bras, l’observant se rapprocher d’un pas. Il n’a pas remarqué une seule fois qu’elle était accompagnée et il ne doute de rien, ni que l’alcool qu’il a ingurgité à n’en plus finir peut être un élément repoussant. Il pourrait sentir à dix mètres de là tant il est alcoolisé, mais il ne se rend compte de rien. « J’te propose de continuer la soirée ailleurs si tu veux, j’ai bien une chambre de dispo. » qu’il ajoute, en lui tendant sa bouteille pour lui proposer une gorgée, certainement. Il semble être dans le partage, ce soir.