(Hadryan) On dit que se moquer de quelqu'un provoque la malchance : je ne me moquerai plus jamais

La bouche entrouverte, j’observe mon client derrière la table de garde à vue. Il a les bras croisés, les sourcils froncés, le regard menaçant. Il n’en démord pas : Monsieur Leroy, homme de vingt-cinq ans, ayant fait une tentative ratée de cambriolage, deux blessés et un mort qui n’est autre qu’un agent de la police, ne veut pas de moi. On m’a pourtant conseillé à lui, on a essayé de le rassurer en lui disant que je n’étais pas si chétive que j’en avais l’air et que mes affaires, je ne les perdais pas, bien qu’au premier abord, on pourrait penser ne pas avoir de chance en m’engageant, mais il n’a nullement confiance en moi. Son jugement est surtout lié à mon apparence, mon manque de confiance en moi, le fait que je n’arrive pas à lui faire face. Il se demande comment je vais bien pouvoir faire pour le défendre, alors que je suis incapable d’avoir de la répartie lorsqu’il s’adresse à moi, avec une bonne dose d’agressivité et de méchanceté. « Vous engager, c’est me mettre en taule. J’exige un autre avocat. » Je jette un coup d’œil à son dossier, tourne les pages, cherche quoi dire… J’ai les mots sur le bout de la langue, mais ils peinent à sortir. « Ecoutez… Je connais votre dossier par cœur. Je peux assurer votre défense, c’est… » Ridicule ? Oh bon sang que j’aimerais prononcer ce mot, mais je me tais, n’ayant pas envie de me le mettre continuellement à dos, même si là, honnêtement, je doute pouvoir faire mieux. « Franchement, vous croyez qu’on va vous prendre au sérieux ? Rien qu’à voir votre tête, ça fait rire. » Ok. Bon. Prenant mon courage à deux mains, en ayant marre d’en prendre pour mon grade, je resserre mes mains sur mon dossier et sans trembler, les yeux dans les siens, je lui fais part d’une réalité : « Personne ne veut de vous. Lors de ce cambriolage qui a mal tourné, vous avez tué un agent de police. Est-ce que je dois vous rappeler que tout le monde vous attend au tournant ? Est-ce que je dois vous rappeler que personne ne vous fera de cadeaux ? Je suis peut-être petite, mais je connais mon métier et aujourd’hui, je suis la seule à vous proposer mon aide et à ne pas vouloir vous laisser tomber. Maintenant, si vous avez décidé de vous entêter et ne pas me donner la moindre chance, c’est votre problème. Ce n’est pas moi qui suis assise avec des menottes aux poignets. » Je me lève, sans ciller. « Je vous laisse y réfléchir. On dit que la nuit porte conseil. A demain. » Sur ce, je me tourne face à l’agent qui m’ouvre la porte, les bras croisés sur mon dossier. De dos, il ne le voit pas, mais je suis tendue, stressée. Lorsque la porte se referme derrière moi, je baisse la tête sur mes chaussures dépareillées. Une jaune, une rouge. C’est à cause de la SDF que j’ai accueilli chez moi : elle m’a volé toutes mes chaussures, mais en a laissé une paire, deux escarpins différents. C’est à cause de choses comme ça que l’on ne me prend pas au sérieux.

Dépitée, je sors du commissariat, épuisée moralement d’avoir tenu tête, de devoir faire mes preuves constamment. Et épuisée de ne pas trouver les clés de ma voiture, alors que je marche le long d’une rue piétonnière. Arrivée près de ma voiture, je cherche dans mon sac, le vide sur le trottoir en espérant y trouver quelque chose, mais rien. Je remets le tout, fouille dans les poches de mon trench beige, tout en me penchant vers la vitre pour y apercevoir… mes clés, à l’intérieur, sur le contact. « Fais chier. » On ne peut pas faire mieux comme journée catastrophique. Je tourne la tête à droite, à gauche : personne. Je récupère une barrette dans mes cheveux et tente d’ouvrir la portière, lorsque l’alarme se déclenche soudainement. C’était sans compter quelques passants dont je sens la présence, maintenant. Oh bordel. N’empêche qu’il faut bien que je l’ouvre. Avec le bruit assourdissant, je grimace et tente de forcer la serrure. « Flûte. Pourquoi, mais pourquoi ça marche toujours dans les films et jamais lorsqu’on en a besoin. » Soufflé-je, entre les dents. Je déteste cette journée, je la déteste.

Oh bon sang, manquait plus que quelqu’un se mêle de mes affaires. Quelque part, je peux comprendre : je suis en train de cambrioler ma propre voiture, mais aux yeux des gens, ça peut paraître louche. Entendant les pas, je ne bouge cependant pas d’un pouce, continuant de massacrer la serrure avec ma seule barrette, toute fine, qui ne sera nullement nécessaire pour réaliser mon souhait. A la voix qui résonne derrière moi, je me redresse et me tourne face à lui, les lèvres pincées. Son visage me dit quelque chose, mais je suis incapable de savoir où est-ce que je l’ai vu exactement. Tout en essayant de trouver la réponse à mon interrogation, je jette un coup d’œil à la voiture, gênée. « Ca peut sembler… pas net, comme ça, mais en fait… C’est ma voiture. J’ai complètement oublié mes clés à l’intérieur et je n’ai aucun double. » Lui aussi, je l’ai paumé. Il doit être quelque part dans mon appartement. La dernière fois, c’était dans le réfrigérateur, mais mes doubles n’y sont pas aujourd’hui, j’ai déjà vérifié. J’arbore un sourire à sa touche d’humour qui a le don de me détendre et me recule d’un pas. « Allez-y, je vous laisse faire. Je ne m’en sors pas avec ma pince, vous serez sans doute plus habile que moi. » Les gens passent, nous observent et je leur adresse un sourire, peut-être pour les rassurer, bien qu’ils ne semblent pas l’être. Un sort même son téléphone portable et de peur qu’il appelle la police, je lui fais un signe de la main pour l’arrêter dans sa lancée. « C’est ma voiture. C’est la mienne. » Il a l’air de me croire sur parole, puisqu’il s’éloigne en rangeant son portable dans sa poche. « On se connaît ? » Je demande, en posant mes yeux sur l’inconnu. « Je suis sûre que oui. » Nous nous sommes déjà vus quelque part. Possible que ce soit dans un bar et que je m’en souvienne pas, ou ailleurs. Je sors beaucoup, mais mes trajets sont souvent les mêmes. Avec ma profession, je n’ai guère le temps de faire des folies, restant très souvent enfermée dans mon chez moi pour relire mes dossiers, jusqu’à trouver quelque chose qui pèsera en ma faveur. Et en fait, c’est en pensant à ça que j’arrive à savoir où est-ce que nous nous sommes croisés. Mes joues rougissent aussitôt cette pensée en tête. Ce n’est pas par hasard. Il était là, à une de mes audiences, lorsqu’un client m’a remercié devant la cour, me faisant savoir qu’il allait se défendre tout seul. Il a tout vu et doit se dire que je ne suis qu’une pauvre fille. « Vous savez… C’était la première fois que ça m’arrivait. En public. » Ce n’est pas la première fois qu’on me dégage, malheureusement, mais c’était la première fois qu’on m’humiliait devant des dizaines de personnes. Je me sens mal. « Vous… étiez un proche ? » Si ça se trouve, il ne se souvient même pas, mais je doute qu’il a oublié le visage d’une demoiselle au bord des larmes, presque. Je ne me suis pas effondrée, mais j’avais les yeux brillants. C’est après, lorsque je suis sortie, la tête haute, que je me suis effondrée dans les toilettes. Que j’ai déteste ce moment.

« Une voleuse tout court. » Je suis trop honnête pour faire ça. Dès que je mens, ça se voit comme le nez au milieu de ma figure, alors je n’imagine même pas si j’ose faire un truc illégal. Une fois, on m’a proposé d’entrer dans une demeure abandonnée pour un week-end et de profiter de la piscine, mais j’ai changé d’avis au dernier moment, laissant en plan mon amie qui avait sauté le pas, elle. Le lendemain, je me suis prise une bonne soufflante. Ca me fait peur, ces choses-là. La peur d’être prise en flagrant délit. « Une fois j’ai volé un bonbon. » C’est un exploit. Sauf que… « En sortant, je me suis tellement sentie coupable que je l’ai ramené à la vendeuse. Il était à moitié mâché. » C’était ridicule, quand j’y pense, mais à l’époque, ça me semblait être la meilleure solution. La vendeuse en a ri, tellement que je me suis demandée si elle n’allait pas mourir sur place. C’est l’une de mes rares anecdotes que j’ai à raconter sur mes exploits de délinquante. Ce n’est pas fameux. Lui, en revanche, il semble connaître pas mal de trucs, comme le coup du lacet dont je n’avais aucune connaissance. « Ca marche vraiment avec ce truc ? » Curieuse de savoir ce qu’il va faire, comment il va s’y prendre, je n’en perds pas une seule miette. « Ca, ce sera à moi d’en juger. » Je lui rends son sourire et l’observe faire un nœud. Ca semble si simple d’ouvrir une voiture, comme ça… Si sa méthode fonctionne, ça voudrait dire que je peux me faire voler mon véhicule à n’importe quel moment, avec un simple lacet. Peu rassurant, mais nettement plus que la conversation qui suit. « Vous n’y êtes pour rien… Je crois que… qu’il… a pris peur. Je ne sais pas trop. Sa situation était délicate. » J’admets que ce n’est pas toujours drôle de m’avoir dans les pattes, pas évident de me faire confiance. J’aurais aimé. Ce jour-là, je me suis demandée si je ne devais pas tout laisser tomber, si avocate était ma vraie vocation, avant de relever la tête hors de l’eau, quelques jours après. La crème glacée et les films à l’eau de rose auront eu raison de moi pour me redonner un gain d’énergie ; il n’était pas question que je reste dans mon appartement, telle une vraie loque dans son pyjama à longueur de journée. C’était ma première expérience vraiment choquante. Je m’en souviendrai tout au long de ma carrière. « Comment va-t-il ? » Peu confiante, je récupère le lacet qu’il me laisse, tout en prenant en compte ses conseils. « Vous n’avez pas idée à quel point ça peut être dangereux de me laisser faire. » Je me pince les lèvres assez fort et me penche le plus possible vers la vitre, collant pratiquement mon front contre celle-ci, puis fais ce qu’il me dit. Le coup est sec, droit, mais le nœud n’enroule plus sur le loquet. J’ai fait ça dans le vide. « Ne riez pas. Je vais y arriver. » Je fais glisser le nœud vers le loquet, le touche, mais les mains tremblantes, lâche prise sur le lacet. « Je vous en prie, allez-y. » Je ne vais peut-être pas y arriver, finalement.