bad romance ♡ thésée

Il avait attrapé son manteau et était sorti dans un coup de vent, ne lâchant qu'un maigre « je reviens » à sa femme. Elle devait avoir l'habitude maintenant après tout, il lui faisait cela presque tout les soirs, pas forcément tout le temps pour la même raison, mais il tenait à rester un maximum éloigné d'elle. Il s'en voulait un peu, ce qu'il lui faisait et ce pourquoi il se servait d'elle n'était pas très moral, mais il se disait que d'un côté, c'était un mal pour un bien - et qu'au final au point où il en était autant rester un connard jusqu'au bout. Oui il avait une estime de lui-même et de ses actes assez basses. En même temps, quelle réaction auriez-vous si vous utilisiez votre femme, avec laquelle vous êtes mariée, pour vous couvrir afin que votre père ne découvre pas que vous êtes bisexuel, et qu'en plus vous avez quelques liaisons hors mariage? Je vous le demande. Il marchait vite, une allure pressée. Il avait hâte d'en finir avec ce qu'il entreprenait maintenant. C'était une tâche assez délicate; en tout cas, dans le sens où il ne savait pas exactement quelle réaction allait avoir son interlocuteur. Il avait bien essayé de se l'imaginer, mais arrivé face à face tout pouvait être bien différent. Il avait rendez-vous avec lui dans un hôtel, non loin de chez lui, celui du palais. Ils se retrouvaient toujours là-bas, toujours, dans la même chambre. C'était leur sorte de jardin secret, si on pouvait définir cela comme ceci. Il arriva enfin devant la grande porte d'entrée de l'hôtel et la poussa pour entrer. Il fit quelques pas jusqu'au comptoir et annonça son arrivée. Puis il prit l’ascenseur et monta à la chambre. La porte de celle-ci était déjà entre-ouverte, il devait déjà être à l'intérieur. Il entra. « Salut. » Simple, sobre, concis. Il posa son manteau sur un des fauteuils et s'assis sur le lit. Là, à côté de Thésée. Il ne savait pas encore pourquoi il était venu, le pauvre. Un moment de silence s'installa. Doucement, il commença alors à parler. « Faut qu'on parle de deux-trois trucs, ça sera pas long. » Il cherchait à gagner du temps, il n'avait pas encore trouver un moyen quelconque de lui annoncer. Il inspira fort, expira. « Il faut qu'on arrête. Tout, à partir d'aujourd'hui, de maintenant. Je suis désolé. » Il n'avait pas l'habitude d'être aussi sincère, plutôt un bourrin menteur un peu beauf, mais là la situation ne s'y prêtait point.

Il a quelques billets sur lui, assez pour prendre un taxi. Ce soir, il sait où il va, il ne compte pas traîner à la sorties des boîtes ou se poser près d'un lampadaire, non. Il a son rendez-vous, et il considère ce moment comme un petit moment de répit. Quelques heures un peu moins terribles que les autres. Son client s'appelle Fabrizio, il est jeune et plutôt pas trop dégueulasse. Ca rend les choses plus faciles. D'autant plus que Fabrizio le traite largement mieux que la plupart des hommes qu'il voit. Il est relativement gentil, et il a de bonnes intentions. Au moins, avec lui, Thésée a un peu plus l'impression d'être un amant, plutôt que sa pute. Alors il se contente d'enfiler un jean moulant et un t-shirt blanc, quelque chose de simple qui le rend tout de même désirable. Et son manteau, bien sûr. Il prend un taxi jusqu'à l'hôtel, il a l'habitude de venir jusqu'ici. Quand il n'a pas d'argent, il vient à pieds. Il marche jusqu'à cet hôtel où Fabrizio et lui se retrouvent. Toujours dans la même chambre. Ils ont leur pièce à eux, là où les secrets de l'un restent enfermés, là où l'autre peut essayer d'oublier un peu. De respirer sans passer chaque seconde de sa vie à se demander s'il sera encore entier la minute suivante. Ici, il sait que s'il fait une erreur, s'il reprend son souffle, il ne sera pas récompensé par une gifle. Et puis, c'est de l'argent. Un revenu sûr. Des billets qu'il n'aura pas à gagner avec un homme répugnant.

Alors il monte et entre dans la chambre, retire son manteau et le pose délicatement sur la chaise. Derrière lui, il laisse la porte entrouverte, et va s'asseoir sur le lit, faisant face à la porte. Il sait que Fabrizio ne va pas tarder à arriver. « Salut. » entendit-il dès que le jeune homme passe la porte. Thésée lui adressa un sourire pour le saluer à son tour. Il regarda Fabrizio se débarrasser de ses affaires, et s'installer à côté de lui sur le lit. « Faut qu'on parle de deux-trois trucs, ça sera pas long. » qu'il commence, et tout de suite, ça fait mal. Thésée aimerait bien partir en courant, éviter cette conversation. Il ne sait pas encore de quoi ils vont devoir parler, mais ça ne le tente pas particulièrement. Très franchement, ça pue. Fabrizio semble avoir du mal à dire les choses, et il se bat avec sa propre volonté. Puis il largue sa bombe. « Il faut qu'on arrête. Tout, à partir d'aujourd'hui, de maintenant. Je suis désolé. » Thésée ne l'attendait pas celle-là. Non, franchement, il ne l'attendait pas. Il reste bloqué un instant, les yeux fixés sur Fabrizio, son visage d'une neutralité à faire peur. « Comment ça ? » interroge-t-il, en riant presque. Thésée refuse d'y croire, il ne peut pas y croire. « Tu racontes n'importe quoi » ajoute-il dans un souffle. Il n'a peut-être pas choisi de coucher avec Fabrizio, il ne le ferait certainement pas s'il n'était pas payé pour, mais... Il s'y accrocha comme à une bouée de sauvetage.

Il savait bien qu'il lui faisait mal en faisant ça, il savait qu'il tenait à leur relation, leurs moments, il savait bien, mais il ne pouvait pas continuer, il ne pouvait plus continuer. Il est vrai, il se sentait mal pour lui, il se sentait rarement mal pour quelqu'un. Il sentait comme quelque chose de faux, de triste, dans sa voix quand il parla et dans le rire qui s'en suivit. Il sentait bien, qu'il essayait de se raccrocher à lui, de l'empêcher de faire ce qu'il était venu faire. Pourtant, il le devait, il devait le faire et il ne pouvait pas laisser l'autre l'empêcher de le faire. « Non, je ne raconte pas n'importe quoi. » Il se sentait mal, définitivement; il n'avait jamais eu ce problème auparavant. C'était effectivement la première fois qu'il avait besoin de chercher ses mots ainsi, qu'il hésitait en parlant et qu'il avait ce regard évasif. Il ne voulait pas le regarder dans les yeux, il ne voulait pas lui faire du mal, et pour cela il fallait que ça dure le moins longtemps possible. Il se fit la réflexion mentalement. On dirait que tu vas le tuer. Mais c'est exactement la sensation qu'il avait. Il devait.. abréger ses souffrances comme on tire une deuxième fois dans un blessé par balle pour s'assurer qu'il ne languisse, faible, son sang se répandant sur le sol. Mais à quoi il pensait. Il secoua la tête. C'était différent, essayait-il de se convaincre, il ne le tuait pas, il mettait fin à une relation monétisée. C'est tout. Rien de plus. Oh il s'en voulait. « Je dois arrêter, Thésée. On doit arrêter. Pardon, vraiment. » Il baissa la tête. Un silence prit place, emplit la pièce. La pièce, qui contenait tant de souvenirs. Aucun meuble n'avait changé, ni même bougé d'un centimètre depuis leur première fois. Elle était presque toujours libre quand ils en avaient besoin. Ca allait lui manquer, pour sûr. Il commençait à douter. Qu'est-ce qu'il était en train de faire bon sang? Non, arrête, c'est la bonne chose à faire. Il entrait en conflit avec lui même. Il releva la tête, prit son courage à deux mains et cette fois-ci planta son regard droit dans celui du prostitué. « Faut que j'arrête tout ça, aller de droite à gauche, être volage. Je suis.. je suis marié et je me sens... mal de faire subir tout ça à ma femme et... Pardon. » Il n'avait pas arrêté d'y penser récemment. Il la faisait tellement souffrir sans même qu'elle le sache, il l'utilisait tellement de façon mal propre. Il devait.. en quelques sortes, devenir quelqu'un de bien, de clean, de propre sur soi, pas un mec qui a des relations hors mariage, un amant et un prostitué régulier. Il fallait que tout cela cesse, définitivement, enfin. Peut-être que oui, il se laissait endoctriner par son père et ses idées de mariage propre garçon-fille, de virilité et de responsabilités, tout cela; mais au fond peut-être n'avait-il pas si tord. Qu'est-ce qu'il racontait maintenant? N'était-ce pas lui qui voulait se rebeller contre son père pour que ses frères et soeurs aient enfin une enfance convenable? Il était trop chamboulé par tout, tout ce qu'il se passait dans sa vie. Pourtant elle avait l'air calme. Il passa sa main sur la joue du brun, affichant un maigre sourire. « Pardonne-moi. »

Il ne peut pas. Il n’a pas le droit. Thésée est un imbécile, il le sait. Il s’en veut tellement, de s’être attaché, ou plutôt accroché. D’avoir installé son petit cocon, de s’être laissé prendre ses aises, trouver son petit confort. C’était pourtant une des règles du métier, une des règles qu’il s’était fixé à lui-même. Ne pas s’attacher, fuir tout ce qui est confortable. C’est pourtant simple. Simple en théorie. Mais il n’y a pas beaucoup de choses plus réjouissantes que ses rendez-vous avec Fabrizio, et Thésée ne peut pas… Il ne peut pas s’en passer. Il ne peut plus. Ce n’est pas comme s’il était amoureux, ce n’est pas comme s’il éprouvait quoi que ce soit pour lui, ce n’est pas comme s’il ressentait le moindre désir. Mais Fabrizio c’est la sécurité, et Thésée a besoin de lui. Fabrizio, clairement frustré dans son mariage, le client parfait. Il se sent tellement con d’être devenu si dépendant d’un mec qui n’en a rien à faire de lui. Un mec marié qui paye pour le baiser. « Non, je ne raconte pas n’importe quoi. » Thésée reste bouche bée. Il n’a vraiment rien à répondre à ça. Il n’y a rien qu’il puisse répondre à ça. Parce qu’il avait bien compris la première fois, merci. Il espérait juste que peut-être Fabrizio revienne sur sa décision, qu’il change d’avis brutalement, lui annonce que c’est une blague. Mais non, il a l’air décidé. « Je dois arrêter, Thésée. On doit arrêter. Pardon, vraiment. » Puis, le silence. Ses excuses ne sont rien, elles ne valent rien. Thésée a envie de hurler. « Faut que j’arrête tout ça, aller de droite à gauche, être volage. Je suis.. je suis marié et je me sens… mal de faire subir tout ça à ma femme et… Pardon. » Thésée ne sait plus quoi faire, quoi penser, et deux parts de lui se battent. Entre Thésée, qui joue et ne montre rien et prétend être fort, provocant. Et l’autre Thésée, celui qui n’en peut plus et qui a envie de chialer comme jamais il n’a chialé, celui veut se cacher dans un trou et ne jamais sortir. Et c’est pas juste, parce que Fabrizio a le pouvoir de le jeter comme une vieille chaussette trouée, et lui, il n’a rien pour se défendre. Rien du tout et c’est horrible. Il s’imagine déjà ce qu’il devra faire pour remplacer Fabrizio, pour gagner les sommes qu’il se faisait avec lui. Ca le rend malade. Il sent la main de Fabrizio sur sa joue, comme s’il avait le droit de faire ça. « Pardonne-moi. » qu’il lui dit.

Thésée aimerait pleurer. Sa fierté, elle le pousse à vouloir se lever, lui adresser quelques mots bien violents, et se casser. Mais il n’en a pas la force. Et c’est Fabrizio, et peut-être qu’il y a un peu d’espoir encore. Thésée n’est pas certain d’en être déjà au stade de la colère. Non, il est perdu dans l’incompréhension et le désespoir. « Mais… » Il commence sa phrase, ses yeux soudain vides. « J’ai besoin de toi. Je- » Il ne sait pas ce qu’il aurait voulu dire. Je ne peux pas, je ne sais pas. Il ne veut pas pleurer devant lui, surtout pas. Et pourtant les larmes montent et il se hait tellement d’être si fragile, de pouvoir être blessé à ce point par quelqu’un qui ne représente rien de plus que quelques centaines d’euros. Une part de lui sait que Fabrizio est ignorant, qu’il ne sait rien, et peut-être que s’il savait, il trouverait une autre solution. Pour lui ça doit être facile, ça doit être comme mettre fin à un contrat sans importance. Et Thésée, son cerveau ne peut s’empêcher de chercher une solution, de planifier dans l’urgence et très précisément la suite des évènements. Et il se voie déjà, passer des heures à faire des choses terribles. Il angoisse, sa main repoussant faiblement celle de Fabrizio, alors que ses yeux sont humides et paniqués. Il se lève et fait quelques pas vers le coin de la pièce, celui qui donne sur la salle de bain. « Putain » il expire dans un souffle, et il passe une main dans ses longs cheveux. Il essaye de respirer, de se calmer, de reprendre son souffle.

Ca dure quelques secondes, peut-être une minute, puis il se tourne brusquement vers Fabrizio, ses yeux presque implorants. « J’ai fait quelque chose qui te plaisait pas ? » il demande soudain, d’une petite voix pourtant pleine d’espoir, alors qu’il sait que ce n’est pas ça. Mais peut-être qu’il reste une petite chance, une toute petite chance. Et il est prêt à tout pour le convaincre. Convaincre Fabrizio qu’il ne peut pas se contenter de sa femme, qu’il ne peut pas se passer de Thésée, que ce qu’ils ont tous les deux, il ne peut pas vivre sans. Alors il s’approche, mais pas trop. « Je peux te faire des trucs fous, des trucs que t’imagines même pas, tu feras tout ce que tu voudras. Je te ferai pas payer plus » Et Thésée sait ce qu’il offre, il sait ce qu’il dit, il connait le poids de ses mots. Mais là, dans l’urgence, il ne réfléchit plus. Il est trop désespéré pour ça.