torture me. (ahava)

baisse de moral. ça claque. keren qui n'arrive à rien, keren qui fait tomber ses outils, qui ne comprend plus la mécanique des voitures. keren qui rentre chez elle, s'affale sur le canapé comme depuis deux jours, un sourire mort sur les lèvres. elles s'étirent plus. elles bougent plus. elles ne font plus rien qui témoigne d'une émotion. y'a ses prunelles vides qui fixent une télé qu'elles ne regardent pas. y'a le fond sonore mais keren n'arrive pas à être intéressée.
et puis toutes ses pensées qui sont dirigées vers ahava. vers la famille wasylyk. ils n'ont jamais compris pourquoi keren était différente ; et keren non plus, n'a pas compris. keren s'en est voulue, de ne pas être qu'amour. d'être plus violente, masculine, d'être incapable de les aimer comme ils le souhaitaient. alors ils se sont séparés. alors les liens se sont tendus puis distendus.
keren, parfois, elle tuerait pour être davantage comme ahava. elle voit bien, dans la rue, les garçons se retourner sur son passage ; parce qu'ahava est douce, parce qu'ahava est naïve, parce qu'ahava est parfaite. et des fois, keren, elle lui en veut d'être comme ça ; parce que keren, elle est beaucoup plus brutale. parce que keren, elle attire moins une fois qu'elle ouvre la bouche. qu'une femme mécanicienne, ce n'est pas commun, ce n'est pas un métier qui lui sied.
alors keren s'agace, keren s'énerve, keren frappe du poing sur la table.
mais keren, aujourd'hui, elle n'a pas la force. keren, elle aimerait juste pouvoir être quelqu'un d'autre le temps de quelques heures. devenir ahava, ne pas comprendre les minois qui se retournent sur soi, afficher toujours le même sourire et se balader avec une aura qui pousse les gens à la regarder, à l'admirer, à l'envier.
au final, si keren est la grande sœur, il n'en demeure pas moins que la plupart du temps, elle aimerait être comme sa cadette. y'a pas vraiment de différence d'âge, ronchonne son cerveau. vous êtes jumelles. il ajoute sèchement. keren, elle soupire. c'est vrai oui, mais keren s'est toujours sentie plus âgée. keren a toujours fait en sorte de la protéger. parce qu'ahava ne se rend pas compte des dangers. parce qu'ahava est la prunelle de ses yeux.
la sonnette retentit. keren, amorphe dans le canapé vintage, émet un râle plus proche de l'agonie que de la non-envie de bouger. mais elle se lève, fait appel à toutes les maigres forces qu'il reste ; je dois avoir chopé un truc pour être aussi fatiguée, elle pense. y'a son cœur qui s'émiette dans sa poitrine, sans qu'elle ne comprenne pourquoi.
la vérité, c'est que son palpitant aimerait être aimé. il aimerait être regardé pour ses qualités et envie ses congénères qui s'amourachent avec une telle facilité. son myocarde déteste ahava de savoir aimer un nouvel être si souvent alors que lui, atrophié, n'y parvient pas et n'y parviendra sans doute jamais. son palpitant est emprisonné dans une cage de glace et si keren continue de se frapper la cage thoracique, rien n'y fait.
elle arrive lentement à la porte, regarde par le judas. et doucement, tout doucement, y'a un sourire qui fleurit sur ses lippes.
elle ouvre la porte, saute dans les bras d'ahava. elle renifle les cheveux bruns, frotte le bout de son nez contre la peau glacée de sa petite sœur. jamais elle n'agit comme ça en temps normal ; elle lui montre qu'elle l'aime, à sa manière. mais là, elle en vient même à murmurer un :
- tu m'as manqué.
qui est d'ailleurs assez incohérent puisqu'ahava passe quasiment tous les jours voir keren. et keren qui se dit qu'elle devrait lui faire plaisir ; et keren qui se dit qu'elle devrait aller la voir, parfois, aussi. lui rendre la pareille. mais aller voir ahava, c'est aller voir papa et maman. et keren, elle n'arrive pas.
la jumelle se recule, lui fait signe d'entrer.
- tu tombes bien, j'avais tellement pas envie de rester seule putain...
y'a des goûtes de pluie dans ses prunelles assombries. elle sait pas pourquoi mais elle a tellement envie de pleurer... c'est pitoyable. et les étoiles qui ne sont pas là. et le soleil qui brille haut dans le ciel, l'empêchant de trouver son salut.
- tu veux boire quelque chose ?
elle demande, alors que ses prunelles supplient ahava de l'épauler, de la consoler, de la pousser à faire quelque chose plutôt que de demeurer déprimée dans un appartement trop vide. elle aurait pu appeler bendo mais elle n'avait pas envie qu'il la voit dans cet état.
manquerait plus qu'il ne se foute d'elle et elle sauterait par la fenêtre.
et demain, elle se maudira pour avoir été inutile pendant ces quelques jours. et demain, elle n'en reviendra pas d'avoir été si triste.
vivement demain.