bang my head. (lou)

les doigts qui s'activent sur le clavier tactile. la lumière blafarde qui éclaire le visage poupin, fait se plisser les prunelles claires. « lou, retrouve-moi à la voie ferrée, j'ai besoin de te parler. stp. »
prunelles désespérées qui fouillent l'écran maintenant en veille. téléphone qui vibre, palpitant qui vrille. impatience qui fait trembler les mains, s'agiter les bras alors que la tête fonctionne à plein régime. sourire qui s'écrit sur les lippes, un « merci. » renvoyé comme réponse.
elle ne devrait pas tarder.
alors opaline attrape ses affaires, se dit qu'elle aurait pu aller retrouver lou directement chez elle après coup ; peut-être que la gamine aux prunelles bleu azur n'aurait pas été dans son appartement. peut-être...
tant pis, c'est fait.
y'a l'esprit d'opaline qui se bat, qui se pose des questions, revient sur ses décisions. y'a besoin de lou pour voir clair, parce que lou n'hésite jamais à dire ses pensées. parce que lou, c'est la famille, la vraie, comme romy. mais opaline, elle a un peu peur aussi de ce que lui dira lou.
et si... si lou lui murmurait qu'il était préférable qu'opaline oublie romy pour se consacrer à la religion ? ce serait étonnant, évidemment, de la part d'une athée. et si, d'un autre côté, elle lui conseillait plutôt de faire une croix sur bendo et d'accepter les sentiments qu'elle garde profondément pour romy depuis deux décades ? saurait-elle seulement sacrifier l'un ou l'autre ?

opaline arrive à la voie ferrée, respire l'air frais. il fait beau aujourd'hui et les fleurs se dressent fièrement pour que le soleil les embrasse de ses rayons chauds. elle aimerait être contemplée comme les fleurs vénèrent le soleil. elle aimerait attirer l’œil comme l'astre aux couleurs chaudes. elle aimerait être plus comme lou. peut-être que si opaline était autrement, romy cesserait de se dire copine. peut-être qu'elle saurait de quelle manière confesser ses sentiments à bendo.
peut-être...
mais voilà qu'opaline réfléchit trop une fois encore.
y'a les rails qui s'étendent à perte d'horizon. opaline est presque tentée d'aller s'y allonger, pour mieux apprécier le danger. y'a ses pensées qui sont floues, désordonnées. elle attend lou, hésite encore à se confier. après tout, n'est-elle pas embêtante avec ses problèmes qui n'en sont pas ?
elle doit faire un choix, c'est un fait... mais elle ne peut s'y résoudre.
y'a lou qui apparaît, toujours aussi belle. pourquoi opaline a commencé à aimer romy et pas lou ?
parce que romy est romy. parce que romy la repousse, la fuit, et qu'opaline est indéniablement tenté de la suivre. elle sait en plus, opaline, que lou aime les filles. lou, elle s'en est jamais caché... et c'est peut-être pour ça qu'elle est la mieux placée pour l'aider.
opaline s'approche de lou, vient graviter autour comme un satellite autour d'une planète. elle lui embrasse les deux joues. elle sent bon lou. elle est belle lou. y'a l'envie qui grignote l'âme d'une opaline qui se condamne d'être aussi faible face aux pêchés capitaux.
- tu vas bien ?
elle demande, toujours aussi polie. elle est câline, opaline. elle a toujours manqué d'amour, alors elle vient ronronner contre son amie.
- j'espère que tu n'étais pas trop occupée... que je ne t'ai pas dérangé.
regard lancé au sol qu'elle préfère fixer plutôt que d'accuser celui, trop pur, trop franc, d'une adorable lou(ve). parce qu'elle s'en veut de lui demander de venir juste pour lui raconter ses histoires de cœur. mais elle se dit aussi que lou aime bien l'embêter, la charrier avec la religion, avec jésus et son inexistence (d'après elle, puisqu'opaline a toujours multiplié les arguments).
- j'ai besoin de tes conseils.
elle relève les yeux, supplie presque. y'a un « désolée » de murmuré. elle se doute, lou, que ça concerne romy et bendo. parce que la vérité, c'est qu'opaline n'a jamais eu que les deux dans son cœur, l'une depuis toujours et l'autre depuis un an.
maelstrom d'émotions qui n'a de fin que la mort, palpitant déchiqueté entre les deux.
et l'amie, sans qui opaline n'aurait jamais grandi. et l'amie, à qui elle ne dira jamais assez merci.

y'a lou qui arrive, sourire instantané qui fleurit sur les lippes d'une opaline nerveuse. elle triture ses doigts, malmène ses ongles déjà à l'agonie. elle a pas des belles mains opaline, parce qu'elle est toujours trop stressée par la vie. c'est un petit chat apeuré au moindre bruit.
lou, c'est l'amitié pure. lou, c'est l'amour mais pas comme avec romy. avec lou, y'a jamais rien eu d'ambiguë parce que les deux gamines s'adorent mais ne sont pas attirées l'une par l'autre. lou, c'est l'amie sur laquelle opaline peut compter pour apaiser son cœur malmené.
et puis opaline, pour lou, elle essaie de dépasser ses préjugés, d'être celle que lou aimerait qu'elle soit. moins fermée d'esprit vis-à-vis de toutes ces choses que la religion demande, plus libérée, plus rigolote aussi. mais elle a du mal à oublier, opaline, son éducation stricte et les prunelles de maman qui passaient par au dessus de ses lunettes pour lancer un regard glacial de ses iris bleues-grises quand la gamine ramenait une mauvaise note.
elle se souviendra toujours de la réaction de maman quand la marâtre s'est rendue compte des fréquentations de son oisillon. quand elle a vu lou et romy l'accoler, et les trois se marrer. elle s'était tendue à l'extrême (opaline ne l'avait jamais vue aussi droite) et avait dit de sa voix rocailleuse : « opaline, rentre à la maison tout de suite ! » et s'en était suivi une discussion interminable. elle avait argué que ces gamines n'étaient pas assez bien pour la sienne, qu'elles avaient l'air d'être de mauvais genre. ça avait été la première fois qu'opaline avait tapé du poing sur la table.
hors de question que ses amies soient traitées comme ça.
et depuis, elle n'avait pas cessé de les contrarier, surtout en se faisant tatouer une bonne partie du corps.
avec lou comme avec romy, c'était une amitié qui durerait jusqu'à l'infini.
alors quand lou lui demande comment elle va, la brune hausse les épaules, affiche une légère moue.
- ça va... je crois ?
y'a lou qui part un peu plus loin. ça dessine un nouveau sourire sur la bouche d'opaline. elle a toujours aimé ce caillou sur lequel elle s'assoit. elle marche beaucoup par habitudes, lou. puis elle est un peu prévisible parfois aussi. mais elle aime bien opaline, d'avoir quelqu'un qu'elle connaît par cœur.
la brune s'approche de son amie, ne s'assoit pas. elle préfère faire les cent pas. elle sait que lou sera franche et, pour une fois, c'est ce qu'elle recherche. mais y'a une question qui lui brûle les lèvres plutôt que ses tracas :
- dis lou... tu sais s'il y a quelque chose de plus... profond que... que ce qu'il y a déjà entre bendo et romy ?
palpitant qui s'affole autant que l'esprit. et si romy aimait bendo ? et si bendo aimait romy ? qui aimerait opaline du coup, si ce n'est elle-même ? risquerait-elle de se retrouver seule ? de perdre les deux personnes qui se sont emparés d'une partie de son myocarde ?
à force de ne pas savoir qui aimer, risque-t-elle de finir avec douze chats ?
- parce que le truc c'est que... je crois que je suis amoureuse de romy.
elle se mordille la lèvre inférieure. homosexualité avouée, péché et vice qui s'insufflent dans ses veines. saura-t-elle seulement articuler son envie de polygamie ? elle respire un grand coup, se lance.
- et de bendo.
elle dit rapidement, reprend son souffle avant d'ajouter une fois encore :
- j'aime les deux. en même temps. et je sais pas choisir, je veux pas choisir...
elle se laisse mollement tomber sur le sol, n'ayant rien à faire de la saleté qui s'accrochera à son jean. elle laisse tomber son visage contre ses genoux, fixe l'herbe qui plie sous le vent léger. elle aimerait être un petit animal, comme cette musaraigne qui cherche sa nourriture. au moins, elle n'aurait pas tous ces soucis de virginité et d'amour décrié par la religion.