(tullio) shopping party

Il a même pas encore lu le message, qui fait vibrer son portable dans sa poche arrière, qu’en voyant le nom qui s’affiche, Tullio sait. On dirait pas trop comme ça, mais il est moins con qu’il en a l’air, même si c’est vrai qu’il le laisse pas voir, ça serait trop facile sinon et puis y aurait pas de surprise s’il arrivait d’emblée, sourire aux lèvres, en récitant le tableau périodique des éléments. Pas que ça serve à grand chose, mais essayer de le faire, alors que votre sang indique probablement plus de trois lites d’alcool. Pensez bien que ça impressionne en soirée. Enfin. Son doigt caresse l’écran, son pouce qui effleure le S de Sohanne alors qu’il lit le message, avant de faire signe à un de ses frères qu’il revient, parce qu’il sait que son pote lui a laissé deux trois affaires en le quittant sur le port. Pour aller se détendre. Mais ça, la demoiselle Calvez n’a pas forcément besoin de le savoir, Tullio préfère jouer les ignorants, pour s’éviter des problèmes et, surtout, se retrouver à se faire accuser de complicité pour un truc dont il est pas responsable. Sa mémoire lui a pas fait défaut, il était persuadé d’avoir vu le portefeuille de l’autre quiche dans le tas de bordel qu’il lui a fais foutre dans le coffre de la voiture avec laquelle son frère l’a emmené sur le bord de mer. Y a des gens qui ont vraiment de la chance que Tullio soit pas aussi malhonnête qu’il veut le faire croire, pas comme Sohanne qui prépare surement déjà sa vengeance pour s’être lâchement faite abandonner par son copain ingrat; ça sent déjà le brûlé alors qu’elle a pas commencé à faire chauffer la carte. Il continue son effort, pour ne pas se tirer comme un voleur, ce qu’il a l’habitude de faire quand il sent qu’il a mieux qui l’attend quelque part. Passé une heure, l’italien finit par s’autoriser à finir plus tôt. « Io ci vado ! » On se retourne pour le dévisager, une main s’agite en l’air, alors que Tullio récupère sa dernière caisse pour la déposer sur le bateau de pêche avant de jeter son tablier, d’échanger ses bottes contre ses converses et de se faire déposer par un habitué du coin qu’il connait à force de travailler au même endroit. Ça lui évite d’avoir à attendre un bus ou de voler le vélo de sa soeur; Tullio est partisan du moindre effort. Il lui faut moins de trente de minutes pour arriver au lieu de rendez-vous, suffisamment pour apercevoir une silhouette qui s’éloigne de sa tortionnaire, parce qu’il va pas à une session shopping pour le plaisir, pas totalement.. C’est juste que Sohanne. Disons qu’elle a ce truc qui ferait rappliquer n’importe quel mec comme un chien vers son maître et, aussi gonflé soit sa fierté, Tullio n’échappe malheureusement pas à la règle. « Pas l’impression que t’aies vraiment besoin d’être sauvée. » L’accent est fort et le regard mauvais, alors qu’il toise le type qui disparaît, plus loin, un bras qui vient se perdre autour des épaules de la jeune fille, qu’il garde à ses côtés, faussement possessif. « Regalo! » Sa main libre dans la poche arrière de son jean, Tullio en sort le portefeuille en question, qu’il lui agite sous le nez en souriant.

C’est peut être qu’au final Sohanne c’est un peu ses pires côtés exacerbés, le tout bien rangé dans un corps dont les formes ne le laissent pas indifférent, parce qu’il a l’honnêteté d’admettre que c’est une jolie fille. C’est pas un canon, parce que ceux sont des mots qu’il utilise peu, surtout parce qu’à son sens ça n’en a pas tellement justement - quand on lui parle de canons, lui il pense aux armes, pas aux nanas. Puis aussi parce que même s’il n’est pas le type le plus respectueux, de la gente féminine le plus souvent, il trouve ça un peu dégueulasse de complimenter une fille en la comparant à un objet. Non, la Calvez elle est franchement belle. Elle entre complètement dans ses critères de beautés et même si c’est un sujet de discorde, même de violente bagarre, avec le petit copain de cette-dernière, Tullio il peut pas s’empêcher de le dire ou de le montrer, qu’elle lui plaît. Pas forcément qu’il essaiera quoique ce soit, bien qu’avec lui rien ne soit jamais définitif, mais il a pas honte d’admettre qu’il est complètement sous sa coupe et pas seulement parce qu’il adore traîner avec elle juste pour l’entendre râler ou s’extasier sur une paires de chaussure. C’est un peu un mélange; elle a un caractère qui la démarque des autres, une attitude qui rappelle la sienne en peut être plus vulgaire la plupart du temps et ça lui suffit pour accepter de se faire utiliser comme elle le fait. « Ça t’aurais fait une paire de chaussures d’avance, c’est idiot. » Il sourit et ses lèvres se posent doucement sur le sommet du crâne de Sohanne, quand elle vient poser sa tête contre son épaule. Tullio est tactile, quelque chose qui gène la plupart des gens, mais pas elle, ça l’arrange bien d’ailleurs, il faut le dire. Aux regards de quelques passants, il devient aisément que les gens se méprennent sur la relation qui les unit qui, d’ailleurs, n’a pas vraiment de définition mais ça l’arrange pas mal; les étiquettes sont bonnes pour les conserves et les produits vendus à des prix défiants toute concurrence, pas pour lui. « Un cadeau? » Sourcils froncés, ses doigts, légèrement tachés de peinture de la veille, dont il n’arrive pas à se débarrasser, agrippent le papier qu’il lit d’un air mauvais avant de rire un peu. « C’est pas mon genre de mec. Puis quand je m’ennuie, je sais très bien m’occuper tout seul, tu sais. » Ses doigts lui pincent légèrement la clavicule, son bras toujours autour de ses épaules comme pour s’assurer qu’elle est un peu à lui, aujourd’hui. Encore un truc qui risque de lui valoir une engueulade avec son pote, mais pour ce que Tullio en a à faire; il gère ses amitiés comme ses relations amoureuses, la seule différence c’est que ses amis restent, eux. Les masochistes. « De toute façon, je suis pas sa femme. On est pas comme vous, les filles, on se dit pas tout. » Il tire un peu la langue et jette un regard intéressé à la vitrine de lingerie, avant de sentir une bourrasque; Sohanne s’est aventurée dans une boutique, déjà et Tullio la suit, sans trop râler, les mains qu’il glisse dans les poches. Son regard s’arrête sur les prix, ses sourcils qui sursautent un peu, l’air de se dire que le jour où il pourra payer un truc comme pareil.. C’est pas bien excitant comme style, mais ça a le mérite de taper dans l’oeil, plus pour y laisser un coquard - surement de la part du banquier, si le client y dépense une somme pareille - plus qu’autre chose. « Il a quoi de spécial ce chemisier, il a été cousu par des femmes aveugles au fin fond d’un temple bouddhiste ? » Sa main s’est arrêtée sur un cintre et il sent déjà le regard d’une vendeuse, affolée, qui se pose sur lui. Faut dire qu’il a pas vraiment l’allure du type qui vient souvent traîner dans ce genre de lieu.

Il est nature, Tulio, il agit comme il en a envie sans vraiment se soucier des regards qui se posent, qui scrutent leur allure discordante. Sohanne elle est jolie, elle a la démarche de ces filles qui savent ce qu’elles valent et qui en joue et, à côté d’elle, c’est vrai que l’italien a pas vraiment l’air de coller à son image. Son jean est légèrement troué au genou, sa veste en cuir est un peu abimé par le sel marin, parce qu’il trouve jamais le courage de se séparer de son blouson même quand il bosse. Y a sa gueule aussi, qui revient pas vraiment aux gens, aux adultes en général, parce qu’il a toujours l’air de froncer les sourcils et de chercher les embrouilles, alors quand il rit, un peu fort, que c’est un son léger et presque enfantin qui s’échappe de ses lèvres rosies par un mâchouillage constant, on s’étonne. « Parce que j’étais pas là pour t’y faire penser. Tu te ramolli, So’. » Son bras quitte ses épaules quelques minutes, le temps de lui chatouiller la hanche, sans arrière-pensée, juste parce que Tullio il aime le contact, toujours. On le critique toujours, en trouvant à ses mots et son attitude des sens cachés qui n’existent probablement que parce que ceux sont les autres, ceux qui ne comprennent pas, qui les cherchent et, fatalement, les trouvent. Certes, il en joue un peu quand même. « Rien qu’aucun mec n’a pas déjà fais.. Cette fois le message quelque peu graveleux est évident et il sourit à moitié, le regard qui glisse sur Sohanne, celui qui lui vaut parfois de se prendre des tartes de la part d’autres. Je te montrerais si tu veux. » Il éclate d’un rire moqueur alors qu’il l’attrape par la taille et se place derrière elle, son menton sur son épaule en regardant la vitrine, comprenant à peine l’absurdité des vendeurs et des stylistes en général, pour une silhouette plate, trop fine qui n’a rien de bien agréable. Ça le rend malade, c’est peut être d’ailleurs un des rares trucs qu’il reproche à son Italie natale, cette culture du corps maigre, des os saillants; ça explique sans doute qu’il trouve que sa mère est l’une des plus belles femmes du monde, avec ses rondeurs tendres et son sourire chaud. Ses mains qui retrouvent la chaleur de ses poches, alors qu’il se balade d’un air hasardeux dans l’entrée du magasin, le regard qui chatouille le tissu sans comprendre la différence entre le coton et la laine, ou la couleur « saumon » et « rose ». « On va dans la baignoire, pour partager nos secrets. Généralement avec de la mousse et des bulles, le bain. » Un clin d’oeil envoyé et il s’arrête un peu brutalement, dans sa fouille archéologique, la vendeuse qui se plante près de lui, à le toiser comme s’il s’apprêtait à fuir avec sa collection. Sourcil arqué, il sourit de toutes ses dents quand Sohanne intervient, jouant d’un air supérieur qu’il imite en regardant son amie qui se pavane, le déhanché en plus qu’il mime à l’exagération. « Vous dites ça parce que je suis noir, c’est mal le racisme! » Son accent plus fort, Tullio toise la vendeuse qui le dévisage d’un air profondément ahurie, sans doute partagée entre l’envie de le jeter dehors ou de simplement se focaliser sur l’argent qui pourrait finir en caisse si elle la boucle. Surement que le culot de l’italien lui a frisé la moustache, mais elle n’en montre rien et tourne les talons, le grand brun qui éclate de rire avant de se couper parce que Sohanne vient de trouver son bonheur, du moins ce qui y ressemble. « C’est ma couleur, c’sûr moi qu’elle irait mieux, sans doute. » Et il attrape le même modèle, quelques tailles au-dessus, pour suivre Calvez vers les cabines, sans aucune gène. « Y a de la place pour deux? » il tire un rideau pour regarder l’habitacle, un sourire aguicheur sur les lèvres.

La réflexion de Sohanne l’étonne à peine, pour ne pas dire qu’elle ne le surprend pas, parce qu’elle a toujours l’audace de lui répondre, de surenchérir dans sa bêtise ou, mieux, dans son flirt un peu malsain, un peu décalé. C’est un pas un connard, Tullio, mais c’est pas forcément un mec bien non plus, en témoigne sa réaction vis-à-vis de sa meilleure amie et de la bombe qu’elle a lui balancé à la gueule, sans parler du coup de pied qui va avec. Tournis. Il sent le vertige et c’est la main de Sohanne, sur son épaule, qui l’empêche de tomber dans un mode de réflexion qui lui ressemble pas, qui le ferait trop adulte, ce qu’il aime pas. Il répond pas. Il dit rien. Parce que ça serait trop prévisible de relancer le sujet, de vulgariser une proposition un peu salace qui, bien que subtil, reste quand même clair, alors il sourit. Juste ce demi-sourire et ce regard qui invite, comme d’habitude, à aller toujours plus loin. Des mots, tout le temps, mais jamais des actes. C’est con, parce que concrètement c’est pas son amitié avec le cadet des Faure qui le retient, c’est déjà pas ça qui l’empêche de mater sa copine quand il est là, alors .. Il est loyal, Tullio, mais pas fidèle et c’est la toute la subtilité de la chose. Enfin si on veut. « Il a une petite baignoire, on serait un peu à l’étroit. » C’est le genre de blague qui le fait marrer, ce type de sous-entendus, mais pas avec tout le monde. Le mauvais côté de l’italien attaché à sa fierté et quelque peu homophobe; pas que Tullio irait cracher sur les autres, de vivre un truc qui le rebute, mais disons que c’est pas non plus le mec le plus à l’aise avec ces choses-là.. Sauf pour en rire. Chercher l’erreur. Un peu paradoxal le type, mais si y avait que ça qui allait de travers dans sa personnalité, ça serait bien. Et c’est la pauvre vendeuse qui fait les frais de sa connerie notoire, de son humour douteux et de sa gueule un peu grande, à tel point qu’il menace de se décrocher la mâchoire à force de la ramener. Il sait que son look dérange certain, c’est un peu pour ça qu’il ment à sa mère sur le nombre de ses tatouages, parce que tout le monde comprend pas ce besoin de s’afficher en public avec des dessins sur la peau. Son côté artiste se voit pas, faut dire, y a qu’en usant de son corps comme d’une page blanche qu’il l’exprime. Le reste, il s’en fout. Les Parietti lui ont appris ces choses basiques de la vie, que s’il est bien comme il est, tant pis si ça dérange, il peut au moins dire qu’il se sent à sa place, dans cette peau qu’il abîme avec une aiguille et du rouge, du bleu, du vert, du noir. Son but ultime c’est peut être de finir afficher au Louvre, près d’un Picasso, qui sait. « Si j’avais été blond et blanc ça aurait été différent, hein ! » Dernier regard, dernière agression envers la pauvre vendeuse, dépitée, avant de se faire entrainer dans la cabine, manquant de se casser la gueule, parce qu’il s’attendait pas à se faire tirer comme ça. Abruti qu’il est, emmerdeur surtout, il penche la tête en-dehors du rideau, tout sourire, fait signe à la pauvre âme de s’éloigner et referme le rideau, avant que les places s’échangent et qu’il se retrouve contre le mur. Il a le regard qui se balade, sans gène et il croise les bras, dans une pause de pseudo critique d’art ou une connerie du genre. « Elle aurait pas osé, la vue de la carte l’a calmé, je crois. Encore una donna vénale. » Tullio tire légèrement la langue visant, sans se cacher, Sohanne qu’il regarde se déshabiller sans sourciller. Faut se dire qu’il est pas seulement un mec, même si clairement elle le laisse pas indifférent, mais aussi un artiste et le corps de la jeune femme est une oeuvre qu’il oserait même pas essayer de reproduire sur papier, de peur de pas lui rendre hommage. « Me gêner ? Il laisse échapper ce rire contagieux qui le quitte jamais et retire son propre t-shirt. C’est moi qui voudrait pas que tu sois gênée, je participe. » Un regard au-dessus de la tête de Sohanne et Tullio lui fait un clin d’oie avant de jeter son haut par-dessus le rideau, surement pour que la vendeuse s’arrache les cheveux. « C’pas mon genre de faire ça, mais j’peux t’aider à enfiler ta robe.. Même si franchement.. c’dommage hein. »

Tullio est rarement clair, que ça soit sur ses intentions ou bien des trucs moins intimes que le fond de sa pensée, dont le fil est perdu depuis des années. On a arrêté de chercher un raisonnement quelconque sous sa caboche brune, mal coiffée, à partir du jour où on a compris, malheureusement, qu’il avait rien d’un génie et que sa connerie et son comportement difficile ne seraient jamais expliqués autrement que par le fait que, Tullio, il aime juste mettre le bazar. Il foutait déjà le bordel dans les affaires de sa soeur, alors qu’elle marchait à peine, alors en grandissant il se contente plus de ça, il fait pire. Il embrouille les gens, il malmène des inconnus quand il le fait pas à ses potes et il creuse sa propre tombe en se foutant dans des merdes dont il finit toujours par voir le bout, même si des fois le tunnel est long. L’ennui c’est que c’est pas le pire type du coin, seulement il en a physiquement l’air alors à côté de lui, le pire des enfoirés passe forcément pour un ange. « La seule différence c’est qu’elles t’arrivent pas à la cheville! » Il sourit, cache ses lèvres derrière son pouce dont il mâchouille un peu l’ongle, le regard qui glisse sur sa silhouette, admirant ses courbes comme son copain devrait normalement le fait, s’il était là. C’est peut être ça, aussi, que Tullio a du mal à piger. Pas qu’il soit un sain lui aussi, parce qu’il peut pas dire qu’il est le mec le plus fidèle qui soit quand il a une gonzesse, mais s’il avait une nana comme Sohanne, il en prendrait peut être un peu plus soin. Ou pas. Il peut pas trop juger, il est pas dans ce cas de figure, il essaie peut être simplement de se donner un meilleur profil que celui de son pote. « P’tain que t’es belle, quand même. » Le compliment lui glisse comme ça, à mi-mots, alors qu’il sourit de toutes ses dents, se glissant les mains sur le visage parce que même s’il à l’habitude de ce genre de situations, quelques peu étranges ou plutôt ambigües, avec Sohanne, il lui faut toujours se concentrer un maximum pour pas franchir la limite. Celle qui foutrait certainement un sacré bordel dans une relation à trois déjà salement entamée. Le t-shirt qu’il jette, par-dessus le rideau de la cabine, alerte sans doute la pauvre vendeuse, parce qu’il entend des pas sur la moquette qui font des aller-retour et il éclate de rire, se mordant la lèvre en baissant les yeux vers la jolie métis qui se tourne vers lui. Sa main gauche glisse légèrement sur son épaule, parce qu’il est comme ça Tullio, il aime bien toucher ce qui est beau à ses yeux. Il recule un peu, bien obligé et la fraîcheur du miroir, contre la peau nue de son dos, lui arrache un frisson et l’oblige à ferme un oeil en grimaçant. Avant de se reprendre, un peu. « Hmmm.. Qu’il répond simplement avant de pencher la tête pour la rapprocher de la sienne, taquin, ses doigts qui se referment sur la main qu’elle pose sur son torse. Me dis pas que ça te gêne, maintenant, que je flirte avec toi.. » Et puis elle le surprend. Elle est comme ça et ça l’amuse, beaucoup, peut être trop. Au premier gémissement qu’elle pousse, Tullio lève les yeux au plafond avant d’éclater de rire et de se plaquer le dos de sa main sur les lèvres pour étouffer son fou rire, avant de secouer la tête pour essayer de reprendre un minimum de sérieux. Il retire ses converses, dans lesquelles il donne un léger coup pour qu’elle quitte la cabine et rejoigne le t-shirt qui traîne dans le hall des cabines. Bien qu’à moitié hilare, Tullio rentre dans son jeu en grognant, ou imitant un grognement animal, tapant un peu dans le rideau, du bout du pied, un clin d’oeil pour Sohanne, parce qu’il entend de l’agitation de l’autre côté. Il a pas de compassion pour la vendeuse, elle a que ce qu’elle mérite, d’après lui.

Elle rendrait le type le plus sain complètement fou, c’est un fait et si Tullio le sait, c’est parce qu’il est assez timbré pour reconnaître les gens qui ont un grain, comme lui, ou pire. Et Sohanne elle un problème, un sérieux, du genre qu’on croise rarement chez une fille de ce genre; elle a conscience de son corps, du regard des gens, des mecs surtout et ça, c’est dangereux. Pas forcément pour elle, parce que pour l’instant la seule personne pour qui ça paraît terriblement risqué c’est l’italien, qui sait pas trop d’où il sort cette volonté de pas franchir le pas de trop. Il s’est jamais caché de ses intentions, dès le début, tout le monde le sait, peut être même ses voisins sont au courant, surtout le premier concerne; le petit ami. Faut dire que c’est avec lui qu’il a repéré Sohanne la première fois, que c’est à lui que Tullio a déversé des vers digne d’une poésie de bas étage, réunie dans un recueil tout juste bon à empêcher un meuble d’être bancal. Parce que si Tullio il a le coup de crayon talentueux, il a pas la langue d’un Rimbaud, mais les copains ont bien compris ce qu’il voulait. Fallait juste être plus rapide. Ça c’est probablement joué à quelques secondes d’inattention de la part de Tullio, mais ça a été suffisant pour qu’il se fasse coiffer au poteau. « Non, c’juste que ça me fout un coup chaque fois.. » Il se mordille la lèvre inférieur, lève les yeux au ciel et son coeur s’emballe, dans son estomac, alors qu’elle est tout proche. Chaque fois qu’elle est trop près, surtout. C’est un putain de sentimental, même si la plupart du temps ses sentiments vont pas plus haut que sa boucle de ceinture, mais il y peut rien et ça serait franchement mentir de dire qu’elle lui fait aucun effet. On se fait une raison, de tout façon, quand on est Tullio; il a pas le compte en banque qui va bien, pour l’avoir. Pas qu’il a pas eu espoir, mais il pourrait certainement pas lui payer la moitié de ce que son mec lui offre, pour se faire pardonner; et comme Tullio est du même bois, le genre à devoir souvent s’excuser, c’est sûr que ça lui couterait une blinde à chaque fois. C’est malsain à souhait. Mais si Parietti était du genre à se mettre dans des histoires lisses et simples, il s’ennuierait probablement. Ça serait trop facile que la vie se résume à des actes simplistes, Tullio il a besoin qu’on le tienne en haleine si on veut pas qu’il se las; la malédiction des artistes, l’insatisfaction éternelle. C’est peut être pour ça qu’il s’accroche autant à cette relation étrange avec Sohanne, parce qu’elle arrive à garder son attention, pour ça qu’il l’ignore jamais quand elle vient le chercher. Ça fait un peu chien-chien à se maîtresse, mais c’est ça au fond et ça a pas l’air de tellement le déranger.
Ses paupières se ferment, trou noir. La voix du vigile vient lui casser son délire et, ça, l’italien apprécie peu. Il attend que Sohanne soit sorti pour rester quelques minutes tout seul, son index qui vient se poser sur le coin de ses lèvres, alors qu’il se tapote la tête contre le miroir dans un « quelle emmerdeuse » à peine soufflé entre ses lèvres pincées, alors qu’il essaie de se détendre, pour finalement tirer le rideau dans un geste théâtral. « che cos'è? » Il sourit, de cet air arrogant qui en agace plus d’un, alors qu’il récupère son t-shirt que la vendeuse lui tend d’un air outré et sur le point de fondre en larmes, probablement. Ses chaussures qu’il enfile, à leur tour, il fixe le vigile d’un air mauvais avant de retourner dans la cabine pour tendre la robe au type. « Elle me va pas, tu auras peut être plus de chance. » Et sans lui demander son avis Tullio attrape Sohanne, par les épaules, en fixant l’armoire à glace, tout sourire. « Prochain arrêt ? » Qu’il lance, en invitant la jeune femme à quitter la boutique, surement pour traumatiser d’autres vendeurs aussi cons que celle-là.

Ça le surprend quand même, de trouver le vigile avec un air bien moins mauvais que ce à quoi il s’attendait à la base et il lui faut pas longtemps pour comprendre ce qui le pousse à se radoucir à vue d’oeil. Sohanne. La gueule que Tullio tire, en voyant ça, en dit long sur son sentiment profond, sans qu’on sache vraiment si au final c’est de l’admiration, pour le don de la métis de perturber les gens au point de les rendre abruti à ce point, ou une pointe illégitime de jalousie qui lui arrache une grimace. Parce que c’est Tullio, qu’il aime pas se prendre trop la tête sur ces trucs-là, on dira que c’est de l’étonnement et du respect, ou ce qui s’en rapproche le plus. « C’est au niveau des hanches que ça ira, ça va flotter. » La vendeuse le dévisage, blême et le sicilien s’angoisse pas trop, il risque seulement d’être banni de cette boutique pour le restant de ces jours, pour ce que ça le perturbe le pauvre. Hilare, il peut pas s’empêcher de quitter la boutique dans un lever de bras, la main qu’il agite comme pour saluer les deux comparses qu’ils laissent en arrière, ahuri du duo de malades qui s’en va. Son rire finit par se calmer, ne laissant plus qu’un sourire sur ses lèvres alors qu’il baisse légèrement son regard azur sur la main que Sohanne agrippe. « Je croyais que la ceinture c’était pas pratique. » Et pour marquer ses mots, il fait mine de devoir remonter son jean qui, de toute façon, finit par lui retomber maladroitement sur ses hanches, pour tenir là on ne sait trop comment. « Je peux rien t’offrir dans ces trucs-là, en remerciement, j’ai pas les moyens. » Malgré tout Tullio l’oblige à s’arrêter, d’une légère pression sur son épaule pour lui attraper le menton de sa main libre, lui soulever un peu le visage et déposer un baiser sur sa mâchoire, près de l’oreille. « Fais gaffe, on va finir par penser que t’es généreuse en fait.. » Taquin, il étouffe un petit rire avant de la suivre, le nez en l’air en passant les portes, pour essayer de lire le nom de la boutique sans avoir le temps; elle est bien décidée à jouer avec lui et, pauvre marionnette sans aucune réelle résistance, le sicilien se laisse faire. Son regard s’arrête sur des étiquettes, qui parviennent à lui arracher des yeux ronds et un écarquillent de sourcils assez clair sur ce qu’il pense de tout ça. « Si je te supporte c’est pas pour lui faire plaisir. C’est en parti à cause de lui qu’on m’a retiré le permis, du coup… ouais.. Il me doit bien ça. » C’est une fine partie de la vérité, parce que Tullio reste l’abruti derrière le volant qui a pas pris le temps de s’arrêter, parce qu’il en avait pas envie, principalement, mais bon. Si ça peut alléger son âme d’un petit péché, en se donnant une bonne raison de faire cramer sa carte. Pantin désarticulé, Parietti suit son maître dans le cimetière de fringues hors de prix, un regard un peu méfiant en voyant tout ce qu’elle prend. « T’essaie de me changer de look, c’est ça ? Je vais ressortir en mode petit garçon bien élevé, tu me feras faire la coupe au bol après, avec la raie bien au milieu ? » Bras croisés, il se contente de la suivre, sans rien rajouter, se contentant de lever les yeux au plafond en voyant le calvaire qui l’attend. Et pendant qu’elle sélectionne le tout, Tullio s’installe sur un petit pouffe au niveau des cabines d’essayage, un sourire qu’il échange avec l’une des vendeuse présentes, bien plus sympathique que l’autre et, surtout, plus agréable physiquement. De bonne humeur, il s’offre même le loisir de lui envoyer un petit clin d’oeil dont il a le secret, avant de se pencher en arrière, presque allongé sur son siège, pour voir où en est Sohanne. Des fourmis qui lui grignotent encore le ventre.