Raph | D'aventure en aventure.

Je me promène dans les rues, appuyée sur ma béquille pour soutenir ma jambe. Je m’habitue à vivre comme ça. Je ne l’accepte pas, mais je n’ai pas d’autre choix que de faire avec. Il fait plutôt beau, malgré un vent frais. Alors je marche, pour ne pas tourner en rond dans mon appartement. J’ai besoin de ça. J’ai besoin de prendre l’air en permanence, d’apprécier la vie dans la ville que j’aime le plus au monde. Je ne sais pas où je vais. Je sais que je ne tourne pas en rond, c’est déjà ça. Je connais cette comme ma poche, si ce n’est mieux. Le jour où j’arriverais à m’y perdre, c’est que j’aurai un sérieux problème. Je me pose dans un bar, histoire de me rafraichir avec un verre d’eau. Je profiterais de la soirée pour boire quelques bières dans les rues animées de Biarritz. Je reconnais que repose ma jambe un moment ne me fait pas de mal. C’est comme si un bout de bois prenait la place de mes muscles. C’est une sensation très étrange.

Je suis prête à repartir. Alors je marche. Je marche encore. Je tombe nez à nez sur la caserne des pompiers. Je me demande pourquoi je suis venue ici. Certes, ce métier m’a toujours fascinée. C’est d’ailleurs entre devenir pompier ou militaire que j’hésitais. L’armée a eu raison de moi. Si ça se trouve, ma jambe aurait brûlé dans un incendie si j’avais rejoint cette caserne. Avec des « si », on peut refaire le monde. Je m’avance. Plutôt, je m’aventure. Je n’ai rien à perdre. Je ne vois personne. Ils doivent être dans un bureau ou je ne sais où. J’en profite pour faire le tour des camions. Je préfère les voir ici que les croiser sur la route. Quand j’en aperçois un en circulation, comme une ambulance ou une voiture de police, je ne peux pas m’empêcher de stresser ne serait-ce que légèrement. C’est mon esprit de compassion, certainement.

Les minutes passent. Le silence est roi. Il n’y a pas un chat. J’entends seulement les voitures, au loin. Je ne fais pas attention à ce qu’il y a autour. Je lis les différents panneaux d’affichage. La curiosité est un vilain défaut, c’est vrai. Mais s’intéresser à tout ce qui m’intéresse, ce n’est certainement pas de la curiosité mal placée. Je laisse échapper un petit cri quand j’entends une voix derrière moi, et que je sens une main sur mon épaule. Je me retourne, en souriant, gênée.

La voix grave derrière moi me ramène à la réalité. Je regarde cet homme. Ce pompier pour être plus précise. C’est vrai que c’est bizarre de croiser un pompier dans une caserne. Bon, trêves de plaisanteries. « Je suis désolée, je n’ai rien à faire ici. Je vous dérange. » Je le regarde. Il n’a pas l’air pressé. Pourquoi ne pas en profiter pour discuter ? J’hésite. D’un côté, lors de la période où j’aimais mon métier, j’aurais pu en vanter les mérites pendant des heures. Et puis, le temps est passé. « En fait, je me passionne depuis longtemps pour votre métier. Mais soyons honnête. Je serais un boulet avec ma putain de jambe. » Je lâche son regard. Elaia, surveille ton langage voyons ! En fait, je ne me suis pas rendue compte de l’agitation autour de moi. Comme quoi, quand je suis dans ma bulle je pars vraiment, vraiment loin. J’entends des hommes rires, des hommes marcher, des hommes fouiller dans les camions. J’aime l’ambiance qui se dégage de cette caserne. Cet esprit d’équipe, ce relâchement. Pourtant, ce sont des hommes qui peuvent, d’un moment à l’autre, partir sauver des vies. C’est presque fascinant. En fait, c’est dans cette voie que j’aurais du m’engager. Si seulement j’avais su. Non, je ne dois pas me dire ça. Avec des si, on refait le monde. Sauf que ce n’est tout simplement pas possible, de refaire le monde. Je me sens bête. Ma vie aurait été tellement différente. Voilà qui m’apprendra à ne pas réfléchir avant de prendre des décisions. Je le regarde. De nouveau, je plonge mes yeux au fond des siens. « Vous avez toujours voulu faire ce métier ? » Est-ce que c’est une vocation pour lui ? Est-ce que c’est un simple hasard de la vie ? Je veux savoir. J’ai besoin de savoir. Alors maintenant, j’espère fortement qu’il va accepter de prendre le temps de me répondre. Un beau sourire et ça devrait passer.