(Anam) A propos d'un refus...

Le bar 228, l’un de mes bars favoris, certainement pour le décor. C’est chaud, ça réchauffe, même en hiver. C’est grand et ce n’est pas ici que l’on trouvera des ivrognes à cette heure du soir, si tardive, alors que dans d’autres, les petits bars bien plus accessibles, il y a déjà des altercations. Ca fait bien longtemps que j’ai arrêté d’aller voir ce qui s’y passait à l’intérieur dans l’ambiance ne me met pas à l’aise. Trop de tension, trop d’abus, trop d’histoires qui se terminent mal, sur des coups violents et ce n’est pas fait pour m’attirer. Vingt-trois heures sonne à ma montre lorsque je pousse les portes du bar où il n’y a quasi-personne. Pas étonnant : ils sont sur la fermeture. Un couple finit d’ailleurs de payer l’addition et s’en va. Je m’accoude au bar et c’est avec un large sourire que m’accueille le barman. « Monsieur Lezcano. » « Bonsoir. Votre patron est-il là ? » Il acquiesce d’un signe de tête et me fait part qu’il part le contacter. Il l’appelle d’un téléphone, souffle quelques mots qui suffisent à son interlocuteur pour descendre les escaliers en colimaçon. Depuis le temps que nous nous connaissons... A une époque, ce bar était tellement peu fréquenté que la fermeture était envisagée. Je n’ai pu m’y résoudre, ai mis la main la patte et depuis, il figure dans les bars les mieux classés, avec des prix qui sont un peu plus élevés que la normale, mais qui reste tout de même accessibles. C’est un bar très sélectif, les petits gars avec des casquettes sur la tête, des jeans troués, peuvent au moins s’estimer heureux de pouvoir toucher du bout du pied le tapis à l’extérieur. Je salue l’homme d’une poignée de main, avec un sourire qui fait son apparition. Faible, mais sincère. « Peux-tu prolonger les horaires d’ouverture pour deux personnes, exceptionnellement. » Sans hésiter, il acquiesce d’un signe de tête, s’approche du comptoir pour se renseigner auprès de son barman s’il est pressé de partir ou s’il peut rester le temps qu’il faudra. Il sera payé en conséquence. Je me charge des dépenses occasionnées par ma demande et il saute évidemment sur l’occasion. « Qui donc invites-tu pour me demander une pareille chose ? Elle doit être exceptionnelle. C’est une femme, n’est-ce pas ? » « Un rendez-vous professionnel uniquement. Ca n’a rien de très personnel. » C’est une belle femme, je ne peux le nier, mais c’est purement professionnel. Il n’a aucune raison de s’imaginer des choses farfelues. Les détails réglés, je passe une première commande. Un thé vert, une boisson dont je ne pourrais me passer et apporte la tasse sur une table où je m’installe. Dans ma sacoche que je pose contre le pied de ma chaise se trouve le dossier de son agence, le contrat aussi, mais mon objectif premier est de répondre à ses appréhensions. La porte s’ouvre et je relève les yeux vers cette femme que je dévisage, détaille furtivement de haut en bas, avant de me lever. « Mademoiselle, bonsoir. » dis-je, en me rapprochant d’elle pour la saluer, les yeux plantés dans les siens. Elle a ce don de me fixer, là où d’autres baisseraient les yeux. « Que souhaitez-vous boire ? » Je pose ma main sur son dos, la guide vers la table que je désigne. « Il semblerait que vous ayez quelques inquiétudes. Laissez-moi y répondre. » Avant de refuser définitivement cette offre.

un bar vraiment ? à cette heure tardive de la nuit ? tu vas réellement te rendre dans u bar ? tu n'en as tellement pas l'habitude que tu ne sais pas comment réagir, que tu ne sais pas comment faire alors tu finis par accepter. tu te regardes un instant dans le miroir. tu viens de sortir de la douche, t'es entièrement démaquillée et tu es déjà en pyjama. bref, il faut que tu te dépêches, tu as une petite heure pour te rendre au bar 228. lui ou un autre, tu n'en connais pas, sur biarritz, tu ne sors pas, jamais, c'est pas ton truc tu préfères rester chez toi, et travailler, par exemple. mais il est convainquant, ou plutôt tenace, t'as comme l'impression qu'il ne lâchera pas l'affaire aussi facilement alors il faut que tu y ailles, pour mettre les choses au clair. tu te dépêches, tu te maquilles, tu t'apprêtes, cette fois, tu enfiles une robe, mi-genoux. ça devrait faire l'affaire, tu passes ton trench par dessus tes épaules et tu t'en vas déjà en bas de la rue pour appeler un taxi. rapidement, tu arrives du côté de la plage. tu ne pensais pas qu'il y avait un bar ici. quand tu entres à l'intérieur, tu remarques que c'est pas un bar ... bar, mais un bar plutôt chic, plutôt trop chic. heureusement que tu as mis une robe. tu es soulagée de ne pas avoir enfilé un jean, simplement. tu vois rapidement ton futur interlocuteur qui s'approche. tu ne le perds pas du regard, pas à un seul moment. il t'impressionne, c'est vrai, mais tu ne lui montreras pas, tu as vécu bien pire dans ta vie, dans ta jeunesse, ce n'est pas un homme d'affaire dans son genre qui te fera perdre tes moyens. « Mademoiselle, bonsoir. » qu'il dit, rapidement en s'approchant de toi. « bonsoir » que tu réponds, simplement. « Que souhaitez-vous boire ? Il semblerait que vous ayez quelques inquiétudes. Laissez-moi y répondre. » il t'emmène déjà vers la table, tu te laisses faire, tu te laisses guider alors qu'il pose sa main dans ton dos. c'est ce que font les hommes, oui, quand ils ont l'impression de contrôler la situation. tu restes de marbre et tu viens prendre place. « un whisky, pur, avec deux glaçons. » que tu demandes, simplement. l'alcool fort ne t'a jamais rien fait. t'es une battante. quand tu vivais dans la rue, c'est ce qui te réchauffait l'hiver, et là, t'en as besoin, parce que tu vas affronter un nouveau défi. « vous êtes tenace. » que tu commentes, pour commencer. « cette entreprise, c'est tout ce que j'ai, comprenez que la vendre aussi facilement n'est pas envisageable. » que tu lui annonces, de but en blanc, ça ne sert à rien de tourner autour du pot.

« Choix intéressant. » dis-je, en la laissant s’installer. J’ai vu de tout. Je côtoie des femmes qui prennent des cocktails, beaucoup qui se contentent d’un simple thé, ou du vin, mais du whisky, c’est une première. J’affiche un sourire en hochant la tête, confirmant sa remarque. « Très. Je n’aime pas que l’on me refuse. » L’échec, je n’aime pas. Je ne me suis jamais habitué à perdre ce que j’entreprenais et je ne m’autorise pas à laisser échapper cette affaire de mes doigts. « Je vous abandonne une minute. » Je la délaisse pour me rendre au comptoir, commander sa boisson et reviens avec son verre que je pose doucement sur la table. Je garde un instant le silence, en prenant place en face de cette femme peu rassurée par la vente de son entreprise, cherchant les mots pour la mettre à l’aise. Elle craint que son agence lui échappe des mains, qu’elle n’ait plus aucun contrôle sur la suite des évènements, sans doute. « Cette agence est tout ce que vous avez et vous l’aurez toujours. Cette histoire de pourcentage vous dérange. » Les soixante-dix pour cent, les trente, la marge de manœuvre, ce qu’elle pourra faire, ne plus faire. « Il ne faut pas me considérer comme un homme à abattre, mais plutôt comme un investisseur, un partenaire qui vous aidera à financer votre projet, à mettre en œuvre plus rapidement toutes ces petites choses qui vous font envie pour votre agence de rencontres. » dis-je, calmement, en plaçant mes mains autour de ma tasse encore chaude. « Il faut me prendre comme un associé qui vous aidera à faire évoluer votre affaire. J’en tire certainement des bénéfices, mais vous en tirerez deux fois plus que ce que vous gagnez aujourd’hui. Vous y gagnerez beaucoup plus que si vous restez en retrait. » Je porte la tasse jusqu’à mes lèvres, en bois une gorgée et reprends : « Je vous donne l’occasion d’assurer votre avenir, celui de vos employés. Les inconvénients se font rares, à bien y penser. Nous serons deux à prendre certaines décisions. » Je m’exprime lentement, avec beaucoup d’assurance, mais je fais l’effort de choisir les bons mots pour ne pas la perdre, pour ne pas lui donner un trop plein d’informations, comme elle avait eu la sensation d’avoir il y a quelques jours. « Je vous offre un œil neuf, expérimenté et évidemment, je serai à l’écoute de tout ce qui vous passera par la tête. Quant à ce qui ne vous conviendra pas, je ne prendrai aucune décision sans vous avoir consulté avant. » Je ne dis pas qu’elle devra forcément donner son accord, je bifurque, donne de bons arguments, tente au mieux de l’apaiser. « Mes intentions ne sont pas mauvaises. » Si peu. Lui faire part du contraire de but en blanc la ferait fuir. Autant s’abstenir de lui annoncer la simple vérité qui n’est pas bonne à entendre. Je suis pourtant un homme de parole et tout ce que je lui ai soufflé précédemment est bien réel. « Prenez mon intervention comme une aide à prendre. Voyez-moi comme un appui. » terminé-je, sans la quitter des yeux. Je n’ai jamais eu à convaincre une personne de cette manière, ni à me rendre disponible à cette heure du soir pour en rassurer une.

« Très. Je n’aime pas que l’on me refuse. » qu'il annonce, sûr de lui, il ne doit pas avoir l'habitude du non. apparemment, il n'a pas été habitué, d'où ce rendez-vous improvisé. il s'excuse, pour aller au comptoir et récupère ta boisson qu'il vient déposer devant ton. « Cette agence est tout ce que vous avez et vous l’aurez toujours. Cette histoire de pourcentage vous dérange. Il ne faut pas me considérer comme un homme à abattre, mais plutôt comme un investisseur, un partenaire qui vous aidera à financer votre projet, à mettre en œuvre plus rapidement toutes ces petites choses qui vous font envie pour votre agence de rencontres. » certes, c'est comme ça, que tu le voyais au début, puis petit à petit, tu t'es rendus compte que c'était risqué d'accepter. « Il faut me prendre comme un associé qui vous aidera à faire évoluer votre affaire. J’en tire certainement des bénéfices, mais vous en tirerez deux fois plus que ce que vous gagnez aujourd’hui. Vous y gagnerez beaucoup plus que si vous restez en retrait. Je vous donne l’occasion d’assurer votre avenir, celui de vos employés. Les inconvénients se font rares, à bien y penser. Nous serons deux à prendre certaines décisions. Je vous offre un œil neuf, expérimenté et évidemment, je serai à l’écoute de tout ce qui vous passera par la tête. Quant à ce qui ne vous conviendra pas, je ne prendrai aucune décision sans vous avoir consulté avant. » vraiment aucune ? sans te consulter ? mais est-ce que tu es prête à passer par quelqu'un, sans arrêt pour travailler, pour gérer ton bébé ? t'en sais trop rien. ne serait-ce pas une perte de temps pour toi et tes affaires ? « Mes intentions ne sont pas mauvaises. Prenez mon intervention comme une aide à prendre. Voyez-moi comme un appui. » tu hoches la tête, alors qu'il te fixe toujours, avec autant d'intensité dont il est capable, et tu lui renvoies le même regard, la même intensité. tu prends ton verre entre tes mains, tu le portes à tes lèvres et t'en bois une légère gorgée. ça t'éveille doucement. toi, qui normalement à cette heure est paisiblement dans son canapé. « j'aimerai beaucoup vous voir uniquement comme un appui, et c'est un dilemme qui se joint à cette idée. je comprends, qu'il vous faut une marge de manœuvre, vous ne pouvez décemment pas investir sans avoir une partie pour vous, ça serait comme jeter son argent par la fenêtre. » bien sûr, que tu comprends cette part qu'il veut garder, c'est son droit et dans un autre cas, ça aurait pu être une pourcentage beaucoup plus élevé. « j'espère ne pas me brûler les ailes » que tu souffles finalement, tu bois une nouvelle gorgée. « j'imagine que vous devez avoir le contrat avec vous. » dans le cas contraire, ça serait étonnant de sa part, comme si tu l'avais déjà cerné.

« En effet. » L’hésitation s’estompe. J’attends, patiemment et je comprends alors que c’est gagné, qu’elle souhaite se lancer, qu’elle est moins réticente au point de vouloir signer. J’acquiesce, me penche vers ma sacoche et en sors le dossier la concernant, où il y a le contrat, ainsi qu’un stylo que je pose sur le papier. « Tout va bien se passer. » dis-je, d’une voix qui se veut rassurante, en glissant le contrat vers elle. Il suffit qu’elle appose sa signature pour que les choses se lancent. Ca ne lui plaira pas des masses, mais c’est un inconvénient parmi tous les avantages que ce partenariat peut lui offrir, ça finira par passer crème au fil du temps. « Vous faites le bon choix. » Je bois une autre gorgée, dans l’attente, détourne mes yeux un instant afin de lui donner moins de pression. « J’aimerais pouvoir rencontrer vos employés, avoir une visite guidée de votre agence, savoir exactement avec qui je travaille. » Si ce n’est elle. Ce sera mon principal contact et je ne mettrais sans doute que très rarement les pieds dans ce bâtiment qui lui appartient, mais il me faut une douce approche pour amener le sujet principal qui me pousse à lui proposer une association. « Il va falloir me donner certains détails, notamment votre façon de gérer votre affaire, de travailler. D’après ce que j’ai entendu, il s’agit d’une ambiance plutôt familiale ? Vous souhaitez la garder, n’est-ce pas ? » Me connaissant, j’aurais transformé du tout au tout cette façon de faire. J’aurais jeté un coup d’œil aux dossiers de ses employés, aurais licencié ceux qui n’étaient pas sérieux, qui passaient un peu trop de temps à se divertir, les remplacer par d’autres qui veulent vraiment travailler. J’aurais tout simplement rendu l’ambiance professionnelle, j’aurais fait de cet endroit des bureaux où l’on vient pour gagner sa vie le plus sérieusement du monde. Je ne connais pas autre chose. C’est dans ma façon d’être et jusque-là, ça ne m’a jamais fait défaut, alors il va falloir que j’apprenne à ne pas être extrême dans mes choix, la laisser tout simplement gérer au mieux, en gardant un œil sur tout ce qui se passe, éviter que tout se casse la gueule. Honnêtement, j’ai moi-même du mal à savoir où je vais, avec cette entreprise. « Pourquoi une agence de rencontres ? Pourquoi ce domaine ? » Je suis un adepte de la technologie, mais en ce qui concerne les rencontres, je n’ai jamais vraiment compris l’intérêt de se parler par écran interposé, de s’écrire, d’apprendre à se connaître. Personne n’est à l’abri des mensonges. C’est tellement facile de s’inventer une nouvelle vie. Les regards ne mentent pas, eux.

« Tout va bien se passer. Vous faites le bon choix. » qu'il t'assure, t'espères, tu espères vraiment, tu verras bien, sur le terrain n'est-ce pas ? tu prends le contrat et tu le signes, sagement, voilà, c'est fait. certainement une immense tournure, tu verras bien ce qu'il en est, tu espères ne pas te tromper. « J’aimerais pouvoir rencontrer vos employés, avoir une visite guidée de votre agence, savoir exactement avec qui je travaille. Il va falloir me donner certains détails, notamment votre façon de gérer votre affaire, de travailler. D’après ce que j’ai entendu, il s’agit d’une ambiance plutôt familiale ? Vous souhaitez la garder, n’est-ce pas ? » qu'il commence rapidement à te questionner, tu reprends une bonne gorgée de ton verre, de ton alcool fort avant de reposer le verre. « je m'occuperai de vous présenter l'entreprise, mes employés, aucun soucis. vous n'aurez qu'à me prévenir quand est-ce que vous voudriez faire ça. » tu lui annonces, simplement. tu seras disponible. « je ne dirai pas une ambiance familiale, mais plutôt une bonne ambiance. il y a énormément de respect, et oui, c'est quelque chose que je souhaiterai garder, en effet. » oui, il y a une bonne ambiance, les employés ne débarquent pas avec le peur au ventre non, ils sont là et viennent avec du baume au coeur, ils n'ont pas peur de toi. « Pourquoi une agence de rencontres ? Pourquoi ce domaine ? qu'il te questionne finalement, et tu souris, doucement, est-ce qu'il mérite que tu lui racontes toutes cette histoire ? c'est assez personnel après tout. « un jour, un homme a obtenu tout mon respect, cet homme a changé ma vie. » que tu commences, tu reprends une gorgée en repensant à lui. c'était un type bien, il t'a sorti de la rue. il t'a sauvé la vie à son tour. « mais il était seul, terriblement seul. il aurait voulu de la compagnie, mais de celle où l'on parle seulement, plutôt de celle que l'on rencontre, avec un vrai partage. c'est pour lui, que j'ai fais ça. » que tu lui avoues finalement, tu ne rentres pas dans les détails.

Mes doigts agrippent le contrat que je range soigneusement dans le dossier, avec le stylo qui va avec. Le tout disparaît dans cette sacoche qui sera à présent le plus gros trésor : celui de mon père, de l’ami de ce dernier. « Bien. Nous ferons en sorte que les choses restent ainsi. » Ca va être difficile, mais je prends en compte son souhait. « Je vous ferai part de mes disponibilités assez rapidement. Ce ne sont que des formalités, mais elles sont nécessaires. » J’obtiens la réponse à mes questions, une réponse vague, qui m’intrigue. Une réponse à laquelle je ne m’attendais pas. C’est humain. Ce n’est pas sur un coup de tête, ou pour son propre intérêt, c’est pour une autre personne qu’elle. « C’est honorable de votre part. Surprenant. J’imaginais bien d’autres raisons, pas celle-ci. » C’est une femme qui a de bonnes intentions dans ce qu’elle entreprend, une femme qui a des buts qui lui tiennent à cœur. Elle a la malchance d’avoir embauché un garçon qui a un père réputé avec des relations un peu trop immenses. Tout ça la dépasse un peu trop. Je termine mon thé, repose ma tasse vide sur la petite coupole. « Cet homme a-t-il eu ce dont il avait besoin ? Et vous ? Quel est votre objectif final ? Nous avons abordé les points essentiels de ce contrat, ce que je pourrais vous apporter, mais je n’ai pas encore eu vent de vos souhaits. Dans quelle direction aimeriez-vous orienter cette évolution ? » Le contrat est signé, je pourrais ne plus m’attarder. Nos boissons respectives sont elles aussi terminées, peuvent mettre fin à notre entrevue. C’est bien ce qu’elle m’a dit. Le temps d’un café uniquement, pas plus. « Souhaitez-vous autre chose ? Un café ? » Je me surprends pourtant moi-même à prolonger ce rendez-vous nocturne et totalement improvisé, un rendez-vous auquel elle pourrait mettre fin si elle le désire.

Il range ce contrat et ça y est, tu viens de mettre ton avenir entre ses mains. tu as presque un peu trop chaud d'un seul coup et tu sais que ce n'est pas l'alcool. « Bien. Nous ferons en sorte que les choses restent ainsi. Je vous ferai part de mes disponibilités assez rapidement. Ce ne sont que des formalités, mais elles sont nécessaires. »  « aucun soucis, vous avez mon numéro, n'hésitez pas à me contacter. » tu te montres disponible, si vous devez être dans le même bateau, il vaut mieux que vous vous entendiez bien non? « C’est honorable de votre part. Surprenant. J’imaginais bien d’autres raisons, pas celle-ci. » tu laisses un fin sourire se dessiner sur tes lèvres, discret mais bien présent. « et vous imaginiez quoi ? » tu oses demander, t'as pas peur de sa réponse, ni même de lui poser des questions, tu pourrais peut-être, si vous étiez dans son bureau. ce n'est pas le cas là, vous êtes dans un bar, ça rend les choses moins officielles. « Cet homme a-t-il eu ce dont il avait besoin ? Et vous ? Quel est votre objectif final ? Nous avons abordé les points essentiels de ce contrat, ce que je pourrais vous apporter, mais je n’ai pas encore eu vent de vos souhaits. Dans quelle direction aimeriez-vous orienter cette évolution ? » tu finis finalement ton verre que tu reposes simplement sur la table. tu joints doucement tes mains, tu entremêles tes doigts. « il n'est plus parmi nous depuis un certain temps. » que tu lui confies finalement. t'as sa mort qui traverse tes iris, rapidement, le temps d'un léger voile, et tu reviens dans la conversation. « actuellement, je suis sur un nouveau projet. l'objectif serait d'ouvrir des comptes plus spécifiques, des comptes vip. je suis actuellement en train de voir avec un brillant mathématicien pour le concept. » tu lui avoues. « mon objectif, c'est d'être le numéro 1 » t'es ambitieuse, évidemment. « je vise la lune, au pire, j'atterrais dans les étoiles. » que tu lui sors finalement. « Souhaitez-vous autre chose ? Un café ? » qu'il te propose finalement. tu regardes ton verre, tu ferais mieux de t'en aller, tu n'as pas l'habitude d'être dehors aussi tard et pourtant, tu n'as pas envie de partir, cette conversation t'intéresse. « je vous avez dis un café, pas plus, comme je suis une femme de parole, il va me falloir un café avant de partir. » tu joues sur les mots, doucement.

« Des clichés, évidemment. » Je m’appuie doucement contre le dossier de ma chaise, croise les bras. Depuis le début, je me trompe sur sa personne. J’ai une mauvaise image des agences de rencontres, je les trouve peu sérieux, sans doute à cause des personnes qui les fréquente et qui n’aident pas à me rendre plus objectif. Un jugement négatif. « Une femme n’ayant pas trouvé l’homme qui lui fallait et qui se lance dans une affaire comme celle-ci sur un coup de tête. Ou alors je vous imaginais les fréquenter, ces sites, sans trouver les bons critères dans leurs offres. Des clichés, vous voyez. » Ca s’éloigne vraiment de la raison pour laquelle elle s’est lancée dans cette aventure. « Je vous imaginais tout droit sortie de vos études. Quelques années en dessous, encore. Ou tout le contraire, bien plus âgée, plus expérimentée, pas l’entre deux. » Je garde le silence lorsque l’annonce du décès de cet homme tombe, c’est la meilleure chose que je puisse faire. Aucun mot n’est bon à placé, d’autant que je ne le connaissais pas. « Des comptes VIP. Et vous leur offrirez quoi de plus pour les inciter à souscrire ? » demandé-je, curieux d’en savoir plus à ce sujet, de savoir comment elle souhaite mener sa barque, mais ce qui m’interpelle le plus, c’est cet esprit vif, cette ambition qui me décoche un fin sourire. « Vous n’aurez pas seulement la lune, vous aurez les étoiles compris. C’est bien ce que vous souhaitez, être numéro un. Alors partez en vous disant que vous atterrirez dans le mille. » Avec satisfaction, je lève la main, fais signe au barman qui hoche la tête en me voyant. Il s’approche, se tient bien droit et adresse un sourire à la jeune femme. « Que puis-je pour vous ? » « Un café pour Mademoiselle et un thé noir pour moi, merci. » Il prend la commande, s’éloigne ensuite, nous laisse seuls de nouveau. « J’apprécie votre façon de pensée, de voir les choses. Votre ambition. Vous en voulez. » Ca me plait, ça me ressemble. Elle n’est pas là en simple touriste, à diriger sa boîte sans savoir quoi en faire. Elle se projette et elle se donne les moyens d’y arriver, notamment en analysant, étudiant ce qui lui est proposé. « Comment êtes-vous venue jusqu’ici ? » Jusqu’à ce bar. « Vous avez votre permis de conduire ? » Question banale.

« Des clichés, évidemment. Une femme n’ayant pas trouvé l’homme qui lui fallait et qui se lance dans une affaire comme celle-ci sur un coup de tête. Ou alors je vous imaginais les fréquenter, ces sites, sans trouver les bons critères dans leurs offres. Des clichés, vous voyez. Je vous imaginais tout droit sortie de vos études. Quelques années en dessous, encore. Ou tout le contraire, bien plus âgée, plus expérimentée, pas l’entre deux. »  tu souris doucement. non, tu n'as jamais trouvé l'homme qu'il te fallait, parce que tu n'as jamais eu la prétention de le chercher, tu n'as jamais couru après l'amour, non, toi tu cours avec autre chose. le plaisir de vivre, simplement, sans avoir de compte à rendre à personne. tu as trop longtemps appartenu à des personnes malveillantes pour te lancer à corps perdu dans quelque chose qui pourrait te faire du mal. tu préfères voir le bonheur des autres. des études ? tu n'en as pas fait, tu n'as aucun diplôme. t'as appris en autodidacte. « des clichés, en effet. » que tu répètes simplement. tu annonces la mort de ton mentor, ton sauveur, avec un calme déconcertant, un calme que tu essaies de garder, coûte que coûte; « Des comptes VIP. Et vous leur offrirez quoi de plus pour les inciter à souscrire ? » tu hoches la tête. « j'aimerai leur offrir un nouveau moyen de recherche, un nouveau concept pour trouver les personnes qui leur correspondent. avec toutes les informations récoltées sur les membres inscrits, il y a moyen de concevoir quelque chose de gros. c'est encore une question au stade de projet. » tu lui décris, brièvement, vous aurez tout le temps de vous pencher dessus à l'occasion, il faudra qu'il rencontre ton mathématicien, Axel Sainz. « Vous n’aurez pas seulement la lune, vous aurez les étoiles compris. C’est bien ce que vous souhaitez, être numéro un. Alors partez en vous disant que vous atterrirez dans le mille. » c'est ce que tu fais, quelque part, tu sais que tu peux y arriver, si tu t'en donnes les moyens, tu te l'es prouvée quand tu regardes d'où tu viens. tu faisais la manche à même pas 5 ans. le barman arrive, prend votre commande, et disparaît aussi vite. « J’apprécie votre façon de penser, de voir les choses. Votre ambition. Vous en voulez. » qu'il constate finalement. « personne ne le fera à ma place. » que tu lui réponds, aussi simplement. non, personne ne le fera à ta place. « Comment êtes-vous venue jusqu’ici ? Vous avez votre permis de conduire ? » qu'il demande, finalement, sa question te déconcerte mais tu as le temps de te reprendre quand votre seconde commande arrive. « oui, j'ai le permis, mais je suis venue en taxi, je n'avais pas envie de chercher l'adresse pendant des heures, c'était préférable. » que tu lui réponds, sincèrement. « pourquoi cette soudaine question ? »

« Bien. Lorsque la présentation de ce projet sera suffisamment avancée, montrez-le-moi. » Je lui dirai exactement ce que j’en pense, comme je ne cesse de le faire depuis le début de cette entrevue. Je ne peux que confirmer ce qu’elle affirme, moi-même je suis bien placé pour savoir que l’on ne doit pas attendre des autres qu’ils réalisent les choses pour nous. « On n’est jamais mieux servi que par soi-même. » Un proverbe auquel j’adhère totalement, même si je fais une exception pour cet homme qui m’a élevé et qui ne mérite pas de faire partie de cette généralité. Je ne plains pas ceux qui sont derrière un bureau et qui se plaignent d’exercer une profession qui ne leur convienne pas. Chacun a des clés entre les mains, il suffit de trouver la bonne pour accéder à la porte des merveilles. Ce n’est pas utopique, c’est une réalité. La chance, on se la provoque soi-même. Je n’ai pas attendu de cueillir un trèfle à quatre feuilles, je l’ai fabriqué de mes propres mains pour trouver ma propre richesse. Ca vaut des sacrifices. Est-ce que je regrette ? Absolument pas. Je ne connais pas autre chose. « Pourquoi pas cette question ? » demandé-je, l’air malicieux, avant de reprendre quelques secondes après : « Par curiosité. » Je réponds, un brin amusé par sa réaction. « Je me demandais par quel moyen vous alliez rentrer. » dis-je, en prenant la petite théière pour verser l’eau dans la tasse. « Si vous me le permettez, je vous raccompagnerai. » Mon véhicule est garé à quelques mètres de là. Ce serait une perte de temps, de gain, de la laisser prendre de nouveau un taxi pour rentrer. Je ne suis pas de ceux qui délaissent une femme à cette heure si tardive. Mon côté italien, très certainement, mon éducation, probablement pas. Moins je côtoyais de femmes, mieux mon père se portait. Il ne m’aurait jamais inculqué des valeurs respectueuses envers celles qui auraient pu m’éloigner du chemin dans lequel il souhaitait que je fasse ma route. « Etes-vous un peu plus rassurée, à présent, Mademoiselle Khiel ? Ou est-ce qu’il y a des zones d’ombre que je pourrais éclaircir ? » Des choses qui l’inquiètent, des questions qui restent sans réponse ?

« Bien. Lorsque la présentation de ce projet sera suffisamment avancée, montrez-le-moi. » tu hoches simplement la tête, évidemment, tu le tiendras au courant, tu lui présenteras ce projet, dès lors qu'il sera bien plus concret, bien plus précis. « On n’est jamais mieux servi que par soi-même. » qu'il finit par ajouter et tu laisses un fin sourire se dessiner sur tes lèvres. « on est d'accord. » que tu lui réponds, simplement. tu es dans la même optique que lui. on n'est jamais mieux servi que par soi-même? « Pourquoi pas cette question ? » tu hausses les épaules devant son air amusé. une première, venant de cet homme qui semble toujours être sous un impeccable contrôle. « Par curiosité. Je me demandais par quel moyen vous alliez rentrer. » c'est tout ? tu peux le concevoir, même si tu te demandes en quoi est-ce ses affaires après tout ? « Si vous me le permettez, je vous raccompagnerai. » qu'il rajoute, immédiatement. tu réfléchis, quelques secondes, à sa proposition. « c'est très aimable, mais ne vous dérangez pas pour moi, je partirai comme je suis venue. » parce que tu restes cette femme indépendante, forte. tu peux rentrer toute seule, même si sa proposition est alléchante. en effet, tu économiserais un peu d'argent et ça serait plus sécurisant. tu n'as pas confiance en certaines personnes, mais lui, c'est purement professionnel, et tu sais que tu le reverras, alors si jamais il fait un pas de travers, tu auras les moyens de le contourner. « Etes-vous un peu plus rassurée, à présent, Mademoiselle Khiel ? Ou est-ce qu’il y a des zones d’ombre que je pourrais éclaircir ? » tu fais mine de réfléchir, tu te caches derrière ta tasse que tu poses sur tes lèvres, tu laisses le café entrer dans ton organisme. une chaleur qui contraste immédiatement avec le whisky. « je pense que le temps fera les choses. je suis un peu plus rassurée, évidemment, sinon, je n'aurai pas signé. alors, je verrai bien, avec le temps, si j'ai bien fait. » tu termines ta tasse, et tu te lèves, simplement. « merci pour le café, on se revoit bientôt. » que tu souffles, simplement, avant de t'en aller.