(Sebastian) Fais-moi entrer Bonifazio

Cette devanture n’a tellement rien à voir avec la voiture qui lui sert de toit. Il en serait presque gêné. A côté de Sebastian, il se sent minable, pas à la hauteur de ce qu’il est, de ce qu’il a et il n’a pas la moindre envie que son client préféré pense qu’il profite un peu trop de la situation, mais on dirait qu’il a suffisamment confiance en lui pour lui faire découvrir une partie de son univers. Il a toujours considéré qu’on pouvait en savoir énormément sur la personne en visualisant l’endroit où elle vit. Déjà, ce qui saute aux yeux, c’est le rangement. Judd a une image d’un Sebastian ordonné, mais peut-être qu’il se trompe, peut-être qu’il est soigné que sur lui-même et qu’il manque d’organisation chez lui, mais il en doute. Et puis la décoration, l’emplacement de certains objets. Des photos, aussi. Dans son ancien chez lui, il n’en avait aucune, parce que s’il a l’impression d’avoir une famille, il n’en a pas réellement une qu’il peut appeler « maman », « papa ». Il s’appuie avec son épaule contre l’encadrement de la porte, en observant son client chercher ses clés, se demandant ce qui l’attend à l’intérieur. Il a du charme Sebastian, il l’attire vraiment. Judd se mord la lèvre, tourne la tête vers les alentours. Il est bien trop tard pour qu’il y ait un chat dehors et les lumières sont toutes éteintes. « Je repensais à ce que tu me disais au bar. » A ses parents qui souhaitaient qu’il se marie rapidement avec une demoiselle. Judd imagine qu’ils auraient aimé qu’elle soit bien éduquée elle aussi, peut-être du même milieu qu’eux, mais qui ne soit pas décalée, avec des cheveux bleus, des piercings, un peu trop de tatouages sur le corps, mais plutôt une qui ressemble à une belle poupée en porcelaine, une qui a du caractère, mais qui peut bien s’entendre avec les parents. S’ils savaient ce qu’est en train de faire leur fils, ils feraient certainement une syncope. « Ils savent ? » Qu’importe la réponse, les deux lui conviennent. Il n’est pas de ceux qui assument publiquement, pour une raison qui lui semblait être justifiée, autrefois. Si ce n’est Timéo et quelques types avec qui il a flirté, personne n’est au courant pour lui, alors il peut comprendre et ça ne lui pose aucun problème en soi. Une dernière fois, il jette un œil autour d’eux, puis se redresse, se positionne derrière Sebastian et le cœur battant, pose ses lèvres sur son cou où il dépose quelques baisers. Son odeur est enivrante, sa peau sous ses lèvres, c’est une sensation agréable et sentir son corps si proche du sien, d’autant plus. Judd ne peut pas faire semblant et maintenant qu’il n’a plus aucun doute de la réciprocité, il ne se gêne pas pour le lui faire comprendre, pour prendre les devants. « Tu me plais. » Il n’avait pas ressenti ça depuis son ex. Des aventures, après elle, il en a eu, mais ce n’est pas la même chose. C’était pour passer le temps, pour satisfaire ses besoins, mais il n’avait pas envie de les découvrir, comme il souhaite le découvrir lui. « Dépêche-toi d’ouvrir, Poséidon… » murmure-t-il, dans un sourire amusé. Ces prénoms qu’il ne porte pas, il les portera tout de même à quelques reprises, lorsqu’il aura envie de le charrier, ou de l’entendre rire. S’il s’écoutait, il continuerait ici, mais l’idée que quelqu’un puisse sortir de chez lui, même pas à cette heure si tardive, l’arrête. Il respecte Sebastian et n’a pas envie de le mettre dans une situation qu’il pourrait penser délicate. Ca ne l’empêche pas de le regarder de haut en bas, de faire plaisir ses yeux gourmands.

Judd rit à son tour, en se rappelant au whisky et rit d’autant plus en pensant au nombre de verres qu’il a pris. Deux. « Il va vraiment falloir que je t’apprenne à mieux tenir l’alcool. » dit-il, en posant son attention sur l’endroit où il vit. Rien que l’entrée où il attend impatiemment, en goûtant à la peau de Sebastian, est grande. Il ne se rappelle pas être entré dans un endroit aussi grand de toute sa vie et alors qu’il s’apprête à pencher la tête une fois la porte ouverte, pour visualiser l’intérieur, il n’en a pas le temps qu’il sent ses lèvres être happées. Son cœur bat plus fort, ses mains se placent sur les bras de celui qui l’emprisonne et il oublie tout ce qu’il y a autour. Le rugby, la blessure à sa jambe, l’immense demeure qui le rend encore plus petit qu’il ne l’est, son mode de vie qui est parfois contraignant, le fait qu’il se sent souvent seul. Il entre, se laisse guider, sans regarder autour. Plus rien ne compte à part le baiser qu’ils sont en train d’échanger, ce baiser qui se termine, qui était intense, mais trop court à son goût. « En quelques secondes, tu viens de balayer le souvenir de tous les cons qui sont passés au bar aujourd’hui. » dit-il, avec un large sourire. Il reprend son souffle, tente de se remettre et c’est sa remarque qui l’aide à reposer les deux pieds sur terre. « Tu as peur ? » Peur de ce qui pourrait lui faire ? Peur de ce qui peut se passer ? Judd essaie de comprendre, de lire entre les lignes et il n’est pas de ceux qui gardent ses pensées indéfiniment pour lui. Est-ce parce qu’il est un homme ? Il n’a pas renouvelé son interrogation précédemment, mais c’est le bon moment de le faire : « Tes proches savent pour ton attirance envers les hommes ? » Et il ajoute, pour le mettre à l’aise : « Les miens n’en savent rien. » Si c’est le même cas pour Sebastian, Judd aimerait lui faire comprendre qu’il ne le juge pas, qu’ils peuvent même en parler ensemble. Il leur a caché certainement pour une raison différente de la sienne, mais le résultat est le même. Et s’il est sur la mauvaise route, s’il a déjà assumé depuis longtemps ce qu’il est, Judd reprend : « J’assume ce que je suis et je me fiche bien de ce qu’on peut penser de moi, maintenant. A l’époque, je faisais partie d’une équipe de rugby, c’était plus délicat de m’affirmer en tant que tel. » Bisexuel. Avec certains gars qui n’auraient pas hésité à lui prendre la tête, l’éviter, parce qu’après tout, ils partageaient les vestiaires ensemble, même s’il trouve ça bien stupide. Il n’aurait jamais sauté sur ses partenaires, ils ne l’intéressaient même pas. A présent qu’il ne joue plus, ça lui est égal. Judd fait glisser ses mains sur ses bras, puis jette enfin un œil à ce qui l’entoure. Il frôle Sebastian, dépose un baiser sur son épaule et fait le tour de la pièce, s’approche de la baie vitrée. C’est beau, ça s’accorde avec tout le reste. C’est du Sebastian, ça a de la classe. Il continue son chemin, observe ce qui se présente sous ses yeux, puis s’arrête face à des toiles sur les murs. « Ce serait trop facile si elles étaient de toi. Elles sont de qui ? » Il se penche vers une petite signature en bas de la toile, mais il ne la reconnait pas. Il connait quelques artistes, mais celui-ci ne lui dit rien et il est très loin d’être calé en art.