(Mattie) Une soirée pour se donner des nouvelles

Le livre est terminé, pour la énième fois, mais ils font avec. Le prochain achat que je ferai, pour nous divertir, ce sera un autre livre pour les endormir. Ils aiment ça, ça les borde, même la plus grande, Kaecilia, elle apprécie des moments comme celui-ci. Sloan dort près de Clare qui s’est logée dans mes bras et dort à poings fermés, quant à Kae, elle a sa jambe par-dessus la mienne, sa main posée sur mon torse et ses yeux rivés sur le livre que je viens de poser sur la table de chevet. Elle ne dort pas, elle est préoccupée par quelque chose et je comprends. Ces temps-ci, entre l’absence de maman, le fait qu’elle a failli voir la couleur du sexe du mec de notre mère, sans oublier ce type qu’elle aime bien, mais à qui elle ne parle pas vraiment. Ce n’est pas une vie d’adolescente. J’aimerais que les choses soient plus simples. J’aimerais leur donner tout le bonheur du monde. J’aimerais que la procédure que je vais lancer arrange tout le monde. Evidemment que j’ai conscience que ce sera compliqué, qu’il faudra que je redouble d’efforts, mais… Ca en vaut la peine. Je caresse tendrement les cheveux de Clare, ceux de Kae et je termine sur ceux de Sloan. Ce petit gars, je l’aime, mais tellement. « Tu sais, il veut nager lui aussi. » J’arbore un sourire, faible. La natation… C’est quelque chose d’important, mais je ne vais pas souvent aux entraînements ces temps-ci. C’est la galère. Trop peu de temps pour moi. « Ah ouais ? » « Il m’a dit qu’il voulait être toi. » C’est la surprise. Je ne m’y attendais pas, mais ça me touche, à tel point que mon cœur bat fort, que mes yeux deviennent humides. « La prochaine fois qu’il te confie ça, tu n’auras qu’à lui dire que c’est moi qui souhaite être lui. » Parce qu’il est parfait Sloan. C’est un ange. Plus tard, il deviendra ce qu’il veut. Comme Clare, comme Kae, comme Tristan qui n’a pas abandonné ses études et qui est en appartement avec sa copine. « Allez, go. Demain tu as cours, faut que tu dormes aussi. » dis-je, à l’adresse de Kaecilia qui se redresse. C’est toujours l’avant-dernière qui se couche, avant moi. Elle se redresse avec une petite grimace. « On ne peut pas dormir dans un seul lit, impossible et puis j’ai de la visite ce soir. » « Oh ? » « Mattie. Si tu veux, tu pourras lui dire bonsoir, avant de te coucher. » D’ailleurs, ça frappe à la porte. Je me redresse, emporte Sloan dans sa chambre et le dépose dans son lit, pour le recouvrir d’une couverture, comme je l’ai fait avec Clare il y a même pas une minute. Je m’assure qu’il dort bien, puis me hâte vers la porte que j’ouvre. « Salut. » J’ouvre la porte en grand, la laisse entrer, faire comme chez elle. Elle a l’habitude, elle connait les lieux depuis le temps qu’elle voit cette petite maison, mais c’est mieux rangé que lorsque ma mère est là. « C’est cool que tu sois passée. » J’ai cru comprendre que ça n’allait pas fort, qu’elle allait avoir besoin de parler un peu. « Salut Mattie. » Kaecilia entre et s’approche de Mattie qu’elle serre dans ses bras. « Je passais en coup de vent. Je vais dormir, puisqu’il faut que je dorme et gnagnagna. » Elle traîne des pieds, mais je la retiens et dépose un baiser sur sa tempe. « Bonne nuit et râle pas. » Elle m’adresse un faible sourire, puis s’éclipse. « Je te sers un truc ? »

Mattie est un ange avec les terreurs. Avec Kaecilia. C’est une fille et parfois, elle a besoin de se sentir comprise par la gent féminine. Je ne peux malheureusement pas répondre à toutes ses inquiétudes sur le moment, mais je me renseigne souvent le lendemain pour lui donner des conseils rapidement. Il me faudrait un manuel entier pour avoir les bonnes réponses et je ne suis même pas sûr que ça suffirait… Je regrette que notre mère soit tombée si bas, elle n’a pas toujours été comme ça. Je regrette qu’ils ne l’aient pas connu rayonnante, parce qu’elle l’a été, lorsqu’elle était avec mon père, lorsqu’il était encore vivant. « Je n’ai pas à le dire, tu t’en charges toi-même. » Et Ariane s’est chargée de ce que je pense aussi, qu’elle doit être prise en charge, mais ça, c’est une autre histoire. Elle refuse et je n’ai pas de quoi la faire changer d’avis. Elle est têtue quand elle veut. Et en même temps, je peux comprendre son point de vue… C’est une part de sa féminité qu’on peut lui retirer. Ca ne veut pas dire que je cautionne pour autant. Je préfère la savoir vivante, en bonne santé, que six pieds sous terre. La mort de quelqu’un qu’on aime, ça détruit. Mais elle semble avoir fait un choix. D’ailleurs… Est-ce qu’on peut parler de choix, vraiment ? Ou d’égoïsme ? De la part de ceux qui veulent qu’elle se soigne, moi, et de la part d’elle-même qui pense avant tout à ce qu’elle souhaite. C’est un peu des deux. Egoïstement, j’aimerais qu’elle pense à ceux qui l’aiment et qu’elle pourrait abandonner. Je m’éclipse dans la cuisine, lui sert un verre de lait et prends une bouteille d’eau dans le frigo. « Tiens. » dis-je, en revenant dans le salon et en posant le verre sur la table. « Tu… Tu veux qu’on en parle ? » De ce qui s’est passé avec Ariane, de ce qui la tracasse. Je suis une bonne oreille, pas toujours avec les meilleurs conseils qui puissent exister et parfois, je ne sais même pas quoi dire, mais peut-être a-t-elle besoin d’en parler. J’ai connu ça, le cancer, même si je ne l’ai pas vécu moi-même, mon père me l’a infligé involontairement. C’est un sujet qui me touche, auquel je repense souvent, surtout lorsque j’ai une clope entre mes doigts, que je l’observe en me disant qu’elle pourrait foutre ma vie en l’air en si peu de temps. Je ne consomme pas beaucoup, mais ça peut être suffisant. Et ça fait peur. Tout comme me priver de petits plaisirs m’effraie. On ne vit plus, si on fait attention à tout, mais dans ma situation, je ne peux pas faire autrement que de faire gaffe. Ce n’est pas comme si personne ne comptait sur moi.

Tu adores les enfants, Mattie, t’es comme ça. T’aurais adoré avoir une famille nombreuse. Un petit garçon d’abord, tu as toujours voulu donné naissance à une fils. Et puis une fille et pourquoi pas des jumeaux, ou des triplées même ! Tu aurais adoré avoir une maison en bordel et un emploi du temps bien trop chargé. Amener l’ainé au rugby, la plus jeune à la danse, et puis les jumeaux à leur cours de musique, tout en jonglant avec les rendez-vous médicaux, et ta vie personnelle. Tu aurais été le genre de maman cool, que tous les enfants adorent. Mais ce n’est qu’un rêve. Parce que jamais tu ne connaitras les joies de la grossesse. Non, jamais. Alor tu offres tout l’amour que tu peux à ta ménagerie, et puis aux petits monstres de ton ami Luka. Quand vous vous retrouvé tous les deux, un silence s’installe. Il n’est cependant pas désagréable, il ne rend pas mal à l’aise. Tu as l’habitude des silences, avec lui. Quand il te tend le verre, tu le prends en le remerciant, avant de prendre une épaisse gorgée de lait. Egoïsme, tu n’es pas bien sûr. Ne serait-ce, au contraire, pas plus égoïste de faire espérer ton entourage en tentant de te soigner, alors qu’au final, ça ne marchera pas, et que ça pourrait même raccourcir encore tes jours. Non, tu ne veux pas qu’ils te voient souffrir au fond d’un lit. Tu veux qu’ils se souviennent de toi, pas de ta maladie. « Je lui ai balancé plein de truc horrible à la gueule. Bien sûr, elle n’a pas bronché et c’est même excusé, tu la connais. Mais je m’en veux terriblement maintenant…Je n’aime pas lui crier dessus, et ce que j’ai dit était injuste…Mais, tu sais, elle continue de croire que je vais guérir. Et je ne veux pas qu’elle espoir. Car il n’y a plus d’espoir… »

Mattie est intraitable lorsqu’il s’agit de parler de sa maladie. Elle est pessimiste, parce qu’elle est en plein dedans, parce que c’est elle qui le vit. Je mords ma lèvre inférieure pour m’empêcher de parler, mais je ne peux pas faire autrement que de l’ouvrir, que de prendre la défense d’Ariane. Je suis son amie, à Mattie, mais les amis ne sont pas toujours là pour dire ce que l’on veut entendre. Il faut savoir accepter qu’on ne peut pas toujours être en accord avec chacun et c’est souvent difficile. « Je la comprends. Mattie, écoute… C’est compliqué pour les gens qui t’aiment. Tu sais, quand mon père a eu son cancer, il s’est battu tellement longtemps, s’est laissé faire par la médecine, pour au final partir… Nous, on ne pouvait rien faire. A part le soutenir, à part espérer chaque jour qui passe que le prochain il sera encore là. Et lui aussi, avait envie d’être là. » Ca me fait mal au cœur d’en parler. Je ne lui en ai jamais parlé ouvertement de la sorte. La mort de mon père, c’est difficile. Je ne sais pas si le deuil est vraiment fait. J’essaie de ne pas trop y penser, parce qu’il me manque, parce qu’il me rend faible, quand j’ai une pensée pour lui. Son absence me fait souffrir. J’ai souvent envie qu’il me prenne dans ses bras, qu’il me dise que tout va bien se passer, qu’il est là pour gérer, mais il n’est plus là. « Je sais très bien que ce que je vais te dire ne va pas te faire plaisir et crois-moi, ce n’est pas pour te faire changer d’avis ou quoi, mais quand on a une chance à tenter, quand on a une opération qui peut nous sauver… Je comprends qu’Ariane puisse faire des pieds et des mains pour que tu y ailles. Parce qu’elle tient à toi, parce qu’elle ne veut pas que tu t’en ailles, parce qu’elle te voit souffrir et ça fait mal. Et surtout parce que tu as une chance, là où d’autres n’en ont pas eu. » C’est son choix, il est un brin égoïste et quelque part, je lui en veux de ne pas la saisir. D’autres ont rêvé d’avoir une chance de survivre.

Peu de personne sont au courant, pour ta maladie. Ariane, bien évidemment, et puis Aramis, depuis peu. Et il y a Luka. Parce qu’il y a 4 ans, quand tu es sortie de chez le gynéco, avec cette nouvelle horrible, il était là. Il était également là après ton accident, après « ta mort » quand tu as appris cette fois ci que la maladie était bien plus grave que tu ne le pensais. Luka, il a toujours été là dans les moments importants de ta vie. C’est un de tes piliers, c’est pour ça que tu aimes tant être avec lui. Mais quand il se met à parler, tu te crispes, immédiatement. Et ça se voit. Tes doigts se resserres autours de ton verre, ta mâchoire sur contracte et ton corps semble complètement figé. Tu souris néanmoins, un sourire forcé, qui ne sied pas à ton joli visage. « Tu penses que moi, je n’ai pas envie d’être là ? Que je n’ai pas envie de vivre, de me marier, d’avoir des enfants ? De pouvoir finir vielle fille dans ma maison de retraite, avec Ariane ? Que je n’ai pas envie de pouvoir conseiller Kae, quand elle se mariera, sur le choix de sa robe, parce que tu n’as aucun goût ? Tu crois que j’ai envie de mourir ? Tu crois que je ne me bats pas ? Que ce n’est pas un calvaire de me lever tous les matins, de faire comme si tout allait bien, pour ne pas vous inquiéter ? Tu crois que je ne me bats pas pour rester en vie ? Tu penses sincèrement que je serais mieux au fond d’un lit, branché à une série de machine, réduit à l’état d’un putain de légume, juste pour montrer à la terre entière que je me bats ? Ce n’est pas ça, se battre, Luka. Se battre, c’est réussir à s’endormir le soir, malgré la douleur, c’est continuer à manger, pour ne pas perdre trop de poids. C’est ce dire qu’il n’y aurait peut-être pas de lendemain, mais sourire quand même. Cette opération, tu crois vraiment qu’elle va me sauver ? Il y a combien de chance que je me réveille, hein ? Une sur dix, Luka, une sur dix ! Tu crois qu’une chance sur dix, c’est « ne pas saisir la chance que les autres n’ont pas eu ? » tu crois vraiment que je ne me serais pas faite opérer si j’étais sûr de pouvoir me réveiller ? Je n’ai pas envie de finir au fond d’un lit, incapable de bouger ou respirer par moi-même. C’est la dernière image que tu veux de moi, Luka ? C’est de ça que tu veux te souvenir ? Putain, tu te rends compte que ça fait presque 5 ans qu’on se connait. Et pourtant, on dirait vraiment que tu me connais mal. Je me bats. Luka, Et chaque jours, me réveiller et me dire, je suis encore là, je vais encore pouvoir voir le sourire d’Ariane, je vais encore sentir la chaleur du soleil sur la peau, la douceur du vent dans mes cheveux, et ben c’est une victoire, pour moi. Alors oui, peut être que ton père, lui, il s’est battu jusqu’au bout parce qu’il a accepté sans bronché de se faire charcuter par un putain de médecin qui n’est même pas sûr de ce qu’il fait, mais moi aussi je me bats, d’accord, je me bats… » Tu trembles, Mattie, et tu ne contrôles plus les larmes qui coulent maintenant le long de tes joues. Pourquoi réagis-tu comme ça ? Peut-être parce qu’au fond, tu sais qu’il a peut-être un peu raison, ou bien parce que tu as peur, tout simplement. Tu es morte de trouille, Mattie. Parce que chaque matin, tu te lèves et tu sens que cette maladie de pèse un peu plus.

Spoiler:

« Je… » Voilà tout ce qui sort de ma bouche après ce discours. Elle a dit tellement de choses que je peine à bien me souvenir de chaque mot, mais plus elle parlait, plus ça me prenait en plein cœur. Je n’aime pas les conflits, surtout avec mes amis, surtout avec Mattie et je me retrouve à ne pas savoir quoi lui dire. J’ai bien conscience que tout ce qu’elle vit est difficile. Je ne suis pas elle, je n’ai pas sa maladie, mais je le vois, je l’ai vécu au quotidien en voyant mon père se lever, avoir un peu plus de mal chaque jour, alors je le comprends, je le conçois très bien. « Je suis désolé, je ne voulais pas te mettre dans cet état. » Je ne voulais pas la voir pleurer, lui faire mal, ce n’était pas du tout ce que je souhaitais, alors je me tais, parce que je n’ai plus rien à dire, ou peut-être bien que si, mais ce serait trop dur de lui dire le fond de ma pensée maintenant. C’est juste que… Oui, c’est une chance sur dix et… Et peut-être bien qu’elle ne s’en sortira pas, peut-être que l’opération aura raison d’elle et j’aimerais croire que non, j’aimerais garder espoir pour elle s’il le faut, mais elle l’aura saisit, cette chance. Du jour au lendemain, avec son cancer qui prend un peu plus possession d’elle, elle peut ne plus se réveiller. Et c’est là que je pourrais regretter de ne pas avoir insisté pour qu’elle tente le tout pour le tout, au lieu de se laisser mourir comme elle le fait, en faisant ce qu’elle peut pour croire qu’elle vit encore un peu. Je me mords les lèvres, baisser les yeux par terre, gêné et rebondis sur une phrase qu’elle a prononcé, pour la détendre : « J’ai très bon goût. Kae n’en a pas conscience, mais elle me remerciera un jour, lorsqu’elle gagnera la coupe du meilleur sac à patates. » Pour les miens, pas de problème, je sais m’habiller, mais j’ai un peu de mal avec mon adolescente de frangine. Les robes, je les trouve au top sur les autres, mais trop courtes sur elle. Mon rôle de grand-frère, certainement. Il me pousse à toujours lui conseiller de s’habiller avec des robes lui arrivant jusqu’aux genoux, ou un peu plus haut, mais pas plus. Maintenant, on trouve de tout. J’ai parfois l’impression qu’il s’agit de pull, d’une tunique, mais là encore, c’est parce que j’ai une vision de frère, plutôt que d’homme. Je veux la protéger ma sœur, comme j’aimerais protéger Mattie de ses propres choix. « Est-ce que tu veux quelque chose d’autre… ? On pourrait se mater un film, simplement ? » Tout ce que j’essaie de faire, c’est de lui changer les idées, passer le cap sur la discussion et surtout ne pas me confronter un peu plus. J’ai comme l’impression que c’est perdu d’avance et qu’elle ne comprendra pas mon point de vue.

Tu essuies ridiculement tes joues, comme une enfant qui, après s’être écorchée le genou, tente d’oublier son gros chagrin. Mais c’est dur, les sanglots te prennent à la gorge. Tu gardes tout, au fond de toi, depuis bien trop longtemps. Et maintenant, tu exploses, devant Luka qui ne t’a rien demandé, devant Luka qui est toujours un amour avec toi. Tu as un peu honte, il ne méritait pas de s’en prendre plein la gueule, comme ça. En plus, ça ne te ressemble pas, les crises d’hystérie. Mais la peur parle pour toi à présent, elle te prend aux tripes, ne te lâche plus. Tu secoues la tête, renifles. « C’est à moi de m’excuser » que tu lui réponds, toujours secouée de sanglots brutaux. « Je ne sais pas ce qu’il me prend, tu es si gentil avec moi, et je t’agresse comme une sauvage… » Tu te mords la lèvre, les yeux fixés sur tes genoux, mais tu lâches vite un pouffement et tu relèves la tête, un brin de malice dans le regard, éclairant ainsi ton visage. « Toi, du goût ? Si elle ne se battait pas contre toi, elle irait en court avec des pulls quechua ! » Tu rétorques, en souriant doucement. Tu peux de nouveau respirer normalement et tu hoches finalement la tête, avec de prendre le verre qu’il t’a tendu, buvant deux longues gorgées. « Un film d’horreur, dans ce cas ! » Tu lui réponds en souriant doucement.

Je me contente de hausser les épaules et lâche un soupir. Tout ça, c’est difficile. Aussi bien pour elle que pour tous les autres qui la voient prendre un choix qui ne leur correspond pas toujours, qui ne me convient pas non plus. Je me mords la lèvre, pour ne pas revenir sur le sujet. Si je le fais, je risque encore de la blesser, de faire face à la tornade Mattie, celle que je ne peux pas faire changer d’avis. Je n’ai pas ce truc qui fera peser la balance, qui la fera changer d’avis et je ne sais même pas qui en est capable, d’ailleurs. « C’est bon, laisse tomber. » dis-je, simplement, un peu contrarié aussi. Parler de mon père, lui avoir fait part de ce détail de ma vie, de sa vie, pour son bien à elle, ça a été une erreur, parce qu’ils ne sont pas les mêmes personnes, qu’ils réagissent différemment et surtout parce qu’en parler avec Mattie, ça fait mal, surtout lorsque je la vois réagir comme ça. « C’est ma sœur… Je ne vais pas l’encourager à s’habiller pour se faire aguicher… » Je suis un peu trop protecteur, je l’admets, mais j’ai tellement peur qu’il leur arrive quelque chose et Kae, elle grandit. Parfois, j’essaie de savoir comment ça avance avec ce garçon qui l’intéresse, qui ne la voit pas et je suis partagé entre un soulagement de ne pas la voir sauter le pas et la peine de la voir si triste. J’aimerais qu’elle soit heureuse, simplement, mais l’appréhension est là. Les garçons ne sont pas toujours tendres. J’acquiesce d’un signe de la tête, m’approche de mon disque dur externe et le branche sur la télévision. « Y’en a un qui t’intéresse ? » demandé-je, en navigant dans le disque dur, dans le bon répertoire, tout en m’installant sur le canapé, près d’elle.

T’es une tête de mule, Mattie, et quand tu prends une décision, aussi difficile soit-elle, tu ne changes pas d’avis. C’est comme ça. Tu es comme ça, et personne ne peut te changer, c’est trop tard, tu es trop bornée, et tu as trop peur, également. Tu ne sais pas ce qui t’est le plus effrayant. Mourir, ou essayer de vivre. C’est là tout le problème. Tu es terrorisée, dans les deux cas. Parce que personne ne t’as jamais dit « ça va bien ce passer. » on te répète sans cesse qu’il faut essayer, malgré le peu de chance. Tu te mords toujours la lèvre, mais tu te calmes doucement, et tu t’autorises même à sourire, lorsqu’il parle de sa sœurette. Il est aussi borné que toi, au final. « C’est ta sœur, mais elle est dans un âge où elle fera toujours le contraire de ce que tu souhaites. Crois-moi, j’ai été une ado, moi aussi. » Et tu continues à l’être, dans un sens. Tu as grandi trop vite, Mattie, et il t’arrive encore, aujourd’hui, de penser comme une enfant. Tu attrapes un coussin, que tu sers contre toi en fixant la télévision. « Celui-ci » tu dis finalement quand le curseur s’arrête sur Esther. Tu adores ce film, parce qu’Oli a pleuré comme une petite fille, quand vous l’avez regardé ensemble, il y a six ans maintenant. « J’adore ce film, il est trop glauque ! »