GROUPE - Maggie, Donovan, Liam

Les visiteurs sont peu nombreux aujourd'hui, il doit sans doute faire trop beau pour s'enfermer ici, ils préfèrent se balader sur la plage... Pas grave. Donovan termine d'entasser des jouets fluorescents et trempés dans une caisse située à l'arrière d'un aquarium. L'odeur qui s'y colle s'apparente à celle de sardines déchiquetées. C'est ce que le public n'a pas la chance de voir, l'envers pas si enviable du décor. Il marche le long d'un couloir réservé au personnel et débouche sur une pièce unique. Il claque un peu bruyamment la porte et s'avance. Il y a deux personnes, une femme et un homme, devant l'aquarium de quatre requins-renard à gros yeux. Ceux-là lui font penser au film Big Eyes, comme les portraits, ils ont l'air tellement triste avec leur petite gueule à l'expression déçue et leurs yeux tombants... Comme si le poids de l'Océan Pacifique reposait sur leurs petites nageoires... Enfin y a de quoi s'en faire pour eux, au rythme auquel on retrouve leurs cadavres, ils seront bientôt considérés comme étant en voie de disparition. Don s'est rapproché, le visage enjoué. « Bonjour, moi c'est Donovan! Il tapote sur son badge bleu où il y a bel et bien écrit "Donovan". Il continue son speech en agitant les bras, comme pour mimer ses propos. Ils vous plaisent? On les appelle aussi les renards de mer à gros yeux! Alors ce qui est intéressant avec ces requins-là, c'est que dans certaines régions, on peut en rencontrer dès le premier mètre de profondeur et... » Il laisse sa phrase en suspens. Alarme! Alarme! Une sonnerie vient leur broyer les tympans! Argh! C'est quoi ça?! Plus de lumière non plus. Avalée? Oui, mais par qui? « Euh... Vous êtes toujours là? » L'obscurité soudaine le fait cligner des yeux. Les néons censés éclairer les bassins sont aussi éteints. Donovan hésite entre deux réactions : paniquer ou tenter de garder un calme aussi olympien que professionnel. Sauf qu'on ne l'a jamais, mais alors jamais, formé à ce type de situation. Il marmonne un petit : « Je ne vais pas vous proposer de... suivre le guide... Les portes se sont sûrement verrouillées avec la sonnerie... » Puis une grosse voix s'élève, elle provient des quatre haut-parleurs de la salle.

t'es là, t'es devant le bâtiment. tu le regardes, quelques instants. t'es pas décidé à entrer encore, les endroits remplis de gens comme cela t'aimes pas, tu détestes ça. tous ces insectes à forme humaine, tous ces enfants qui pleurent et râlent... non, t'aimes pas ça. mais tu sais qu'elle est là, elle doit être là. tu te rappelles de son nom, maggie. tu l'as suivie presque toute la matinée, et maintenant elle est là. t'as plus trop envie, mais tu n'as pas encore vu son visage de près, peut-être que c'est la bonne qui sait? non, il sait que ce ne sera pas la bonne, tu l'as vu marcher, t'aimes pas sa démarche. un détail aussi simple que celui-là peut tout changer pour toi. mais t'es pas du genre à t'arrêter au milieu de quelque chose quand tu t'es mis en tête de le faire. alors tu te mets en marche, finalement, et tu passes les portes automatiques, payes un ticket, et commence à visiter - ou plutôt rechercher ta proie. cette proie que t'as vue hier dans l'après-midi, apparaître sur ta page d'accueil flirtual. tu te trimbales entre les différente pièce et tu la trouves enfin. avant même que t'es pu t'approcher, un autre homme fait irruption dans la pièce et commence à parler. un membre du personnel. il commence des explications sur les requins du bassin en face d'eux. bientôt coupées par une alarme stridente qui te vrille les tympans. puis une voix qui s'élève des hauts parleurs, lourdes et graves, les procédures. « c'est possible de minimiser la conversation? » t'as dit ça tout naturellement, tout en t'approchant des deux autres, regardant autour de toi l'état de la pièce - comme l'avait dit l'autre, les portes s'étaient fermées automatiquement. tu reprends. « c'est pas que je veux être méchant mais ta voix m'énerve déjà et je sens qu'on va être coincé ici pendant un petit bout de temps, merci. » pas que je veux être méchant, hein.

Elle sait pas trop ce qu’elle est venue foutre là, pour être honnête. Faut dire qu’entre le moment où elle est descendue de son bus et celui où elle a passé les portes de l’Aquarium, son regard a été happé par un vendeur ambulant. Le genre qui vous chante les louanges d’une bonne dose de sucre, ou une connerie du genre et Magali elle résiste mal à tout ce qu’on met du coeur à lui vendre. C’est pas forcément bon pour elle, son frère dit constamment qu’elle doit éviter la surdose, déjà qu’elle a un taux de concentration qui frôle le négatif, là elle risque clairement d’atteindre le noyau terrestre à force de se paumer continuellement. Démarche légère, un peu sautillante, Maggie se hasarde n’importe où, s’entête à marcher dans le sens inverse de la foule, à coller son nez aux parois de verre, ou d’elle ne sait quelle matière, qui la sépare des animaux qu’elle fixe d’un air hébété. Y a pas de sirènes. Ça, pour le coup, c’est bien dommage, mais la petite rousse se démonte pas et continue pour aller se perdre dans une salle qui se vide. Tant mieux, elle aime pas trop quand y a trop de monde, ça l’empêche de se focaliser sur la bête qui défile comme une top model devant elle. Ses gros yeux lui font plisser les siens et ça la fait marrer deux minutes, parce que la bête à l’air tellement idiote comme ça; un peu comme Maggie qui s’amuse à l’imiter. « Dônôvant » qu’elle répète en relisant l’étiquette, pas trop sûre de la prononciation, ni même si le type a pas été appelé comme ça à cause d’un plat. Genre « vol-au-vent » mais « dos-au-vent ». Voyez le genre. Et pendant qu’il parle, elle se penche sur la question existentielle de l’origine du prénom quand l’alarme retentit, même si elle met bien cinq minutes à comprendre ce que c’est qui siffle et puis la lumière qui s’éteint, comme ça. « Ça fait parti du spectacle? » Qu’elle trouve juste à dire, un sourire niais qui se dessine et qu’heureusement personne ne voit. « Moi j’aime bien ta voix, tu devrais faire de la pub, ou alors genre voix de bande-annonce.. qu’elle balance dans le vide, à l’attention du « méchant pas méchant ». Pourquoi on bloque les portes quand ça sonne.. C’est pas comme si Grozyeux allait casser la vitre pour s’en aller par là… non ? Si ? » Et sa main se colle à la vitre, parce qu’elle a pas bougé, des fois que.

Donovan tourne la tête en direction de l'homme mécontent. « Excusez-moi. », déclare-t-il d'un ton sincèrement désolé. On ne lui a pas souvent fait cette remarque - pas d'une façon aussi crue, à vrai dire -, et derrière son sourire ennuyé, il est touché. Le client est roi, c'est ce qu'ils disent par ici, et il l'applique sans trop comprendre pourquoi. « Pas d'animation dans cette salle en général. ...Pas à ma connaissance, et pas de ce type-là. » Donovan tique un peu sur la prononciation de la jeune femme, ce n'est pas la première fois qu'on écorche son prénom, mais au point où ils en sont... Il s'apprête à lui expliquer que non, ce n'est pas « Dônôvant » mais plutôt « Dann-aa-vahn », que c'est irlandais, que lui est Écossais, mais il se ravise; l'autre a dit que ça l'embêtait. Alors il reporte son attention sur l'aquarium obscur, sans y voir quoique ce soit. Vous me direz, quelle idée de se préoccuper de requins en bocal. Lui vous répondra que c'est un réflexe comme un autre. Il essaie de deviner leurs allées et venues, mais la voix enregistrée l'empêche de se concentrer. Bien sûr que non, ils ne craignent rien des requins, les vitres sont si épaisses qu'ils n'ont sans doute pas entendu la sonnerie. Mais c'est possible qu'ils sentent les vibrations, qui sait? « Aucune idée, on ne m'a pas expliqué tout le protocole en cas de... je ne sais pas. » Pourtant, des trois, c'est bien lui qui devrait comprendre ce qui se passe. Hébété, il lui vient l'idée se comparer à une étoile de mer, qui n'a ni tête ni cervelle. C'est ce que doit penser l'autre homme de lui... Ne pas paniquer, ne pas paniquer... Ce n'est pas si évident. Éclair de génie, ou presque. De naïveté. Il s'écrie: « Un de vous deux peut-il utiliser son téléphone pour nous éclairer? Il y a peut-être un interrupteur quelque part? » tout en essayant de couvrir l'annonce crachée par les enceintes. Un peu de lumière ne serait pas de refus. Il s'éloigne de quelques pas, pose sa main contre un mur et avance à tâtons, à la recherche d'un bouton, d'un clavier pour ouvrir les portes même s'il en ignore le code. c'est vraiment que dans les films qu'on se sort d'une telle histoire avec un peu de hasard.

ta désillusion se fait de plus en plus grande. une seule voix nasillarde te suffisait, pourtant la fille que tu avais gaspillé la matinée et le début d'après-midi à suivre elle aussi avait ce même timbre agaçant. tu roules longuement des yeux. t'as hâte de sortir d'ici, déjà, au bout de deux minutes. t'as déjà cette sensation tout à fait imaginaire que ton cerveau a coulé de tes oreilles et est parti en vacances loin d'ici tellement tu en as marre. et en plus la rousse est un peu - beaucoup - niaise et tout simplement annoying. tu laisses ta tête tomber contre la vitre au requin, dans un acte de désespoir mesuré. l'employé de l'aquarium semble aussi incapable que la rousse et toi de dire comment sortir de là ou comment réagir à la grosse voix qui criait des informations diverses à travers les hauts-parleurs. tu sors ton portable de ta poche et allume la fonction lampe torche. « tiens la voilà ta lampe. » tu t'approches là où il est pour diriger la lumière là où il regarde à chaque fois qu'il tourne la tête. « par contre va falloir m'expliquer comment on sort d'ici parce que j'ai autre chose à faire que de rester là toute la journée. » il doit bien avoir un moyen d'évacuer dans ces situations non? en même temps c'est stupide de juste verrouiller les portes comme ça, et si la menace venait de l'intérieur? et si c'était un explosif? non, ça se passerait pas comme ça. tu bouges la lampe un peu partout mais bientôt ton portable s'éteint, la batterie à plat. t'aurais pas pensé avoir besoin de le recharger ce matin et t'avais oublié que la lampe torche pompait beaucoup de la batterie. tant pis, ce qui est fait est fait. « bon, doit y avoir un truc pour qu'on puisse sortir ici quand même. » tes yeux commencent à s'habituer à l'obscurité et tu vois l'employé pas très loin de toi. tu te tournes vers lui et lui adresse tes prochaines paroles. « toi. tu bosses ici non? tu dois savoir comment on fait dans ces cas là, c'est ton boulot, pas vrai? » t'espérais sincèrement qu'il puisse faire quelque chose maintenant. « ah et je t'en voudrais pas si tu me réponds même si je maintiens que ta voix est énervante. »

L’échange entre les deux garçons, peu cordial, la laisse de marbre, parce que Magali, même si elle a la capacité de toujours se mêler de tout, plus parce qu’elle n’a pas notion de l’intimité qu’autre chose, s’occupe déjà à tourner en rond dans la salle. Ses doigts effleurent la vitre de l’aquarium, s’éloignant des deux hommes dont la discussion ne l’atteint déjà plus, parce que sa capacité de concentration l’empêche d’y porter plus d’attention que ça, le regard qui scrute, yeux plissés, le moindre détail intéressant. Une poubelle, presque pleine. A part s’y planquer et cohabiter quelques secondes avec des peaux de bananes et des sodas vides, Maggie n’y voit pas vraiment de solution pour leur problème, même si l’idée de partir à la chasse aux trésor en fouillant les déchets d’une journée entière paraît assez alléchante. Un banc, tout près, vissé au sol. Rien de particulier. Pourtant elle s’y allonge, le temps de fixer l’obscurité et la lueur un peu psychédélique, dans son esprit, de la lumière du téléphone sur qui se réverbère sur la vitre. La petite rousse se redresse, recommence son inspection et s’arrête finalement devant ce qui lui paraît le plus fascinant et, probablement l’idée la plus stupide. Un cadre sur un poteau, en bois, une imitation d’un poisson qui sert de décoration, c’est de mauvais goût. Elle pourrait taper sur l’interphone avec, ça couperait déjà le son et ça lui calmerait les tympans agressés, mais elle préfère laisser aux hommes le soin de se bouffer le nez pour trouver une solution. Alors maggie revient vers le banc et s’y rallonge, bras croisés sous la nuque, avant de lâcher, légèrement. « Si y avait un extincteur, on pourrait défoncer la porte avec.. J’ai vu ça dans un film l’autre fois. » Dont le titre lui revient pas et qui l’occupe un moment, à fouiller sa mémoire pour essayer d’en tirer quelque chose, même si ça leur servira pas forcément à grand chose; l’important, c’est de participer, non?