(Maona) Des explications ?

« Tu crois que je suis excessif ? » Gaël relève les yeux de notre maquette que nous sommes en train de finaliser pour les poser sur moi. Il entrouvre la bouche, semble chercher ses mots. Je le suis, il en a conscience, certainement trop, moi aussi je ne le nie pas. J’aimerais juste son avis sur certaines choses que je lui ai confié il y a de ça quelques semaines, quand tout ne tournait pas rond, quand je ne savais pas quoi faire, quand j’étais perdu. « Oui tu l’es. Tout dépend du sujet, mais tu l’es. Tes réactions sont parfois disproportionnées. Tu t’emportes vite, mais… c’est ton caractère. » Tente-t-il d’adoucir ses propos ? Ca ne me vexe pourtant pas. Je le remarque moi aussi, après quelques jours dans le calme. Je repense à ce que j’ai pu dire, ou faire et il m’arrive de regretter. « Tu fais parfois peur aux employés. » Il a un sourire qui vient se loger sur le coin de ses lèvres. Je m’appuie contre la table, hausse une épaule. Au fond, je n’en suis pas étonné. Je suis tellement exigeant avec tout le monde, je n’accepte pas les grosses erreurs, le manque de respect face aux clients, ou qu’on prenne une voiture de fonction dans un but purement personnel. Les fautes sont sanctionnées. Je ne suis pas laxiste, je suis carré et je ne mets pas tout le monde à l’aise, même si ça s’arrange lorsqu’ils travaillent personnellement avec moi. Ca a été le cas avec Line qui, au début, n’osait pas me regarder dans les yeux. « Tu es imposant. Tu laisses que très peu de choses passer. Tu sais qu’ils vérifient des tonnes de fois ce qu’ils ont terminé avant de te les apporter, de peur de faire une bourde ? » « Il faut bien un méchant et un gentil. » dis-je, dans un sourire. Gaël est le gentil. Cela étant dit, je serai prêt à les défendre s’il y avait besoin. Je ne laisserai pas tomber s’ils avaient un problème. « Pourquoi cette question ? » Je me penche vers la maquette, vérifie que tout est en place, que tout concorde bien avec notre plan. « J’ai eu une dispute avec Mao. » « Pour ne pas changer. » « Hm. » C’en est devenu banal, à ce point ? Je sais ce que Gaël en pense. Il apprécie Maona, mais il ne comprend pas que je me sois marié avec elle après ce qui s’est passé et en connaissant mon aversion pour les infidélités. Il ne comprend pas que je puisse m’aventurer là-dedans et forcément, il s’inquiète de me revoir dans cet état minable dans lequel il m’a vu il n’y a pas si longtemps. A quelque chose près, son discours ressemble à celui de Sebastian, en moins violent. Je ne lui en veux pas de ne pas y croire, de me demander ce qui a bien pu me prendre. Gaël m’offre son soutien, quelque part. Je sais que peu importe ce qui se passe, il sera derrière moi pour me tenir par les épaules si jamais je rechutais. « Tu crois que ça ira ? » « Je ne sais pas. Il y a comme un truc qui cloche. » Je ne sais pas quoi, mais il y a quelque chose qui ne va pas dans cette maquette. On l’observe sous toutes les coutures, sans arriver à déchiffrer quoi. Je prends des photos, puis range mon portable dans ma poche. « Au fait, à ce qu’il paraît tu as un imprévu ? » Il acquiesce d’un signe de tête, me confirme ce que Line m’a dit ce midi. Gaël ne peut pas venir vendredi, rien de grave, juste une amie qui l’a contacté de Paris pour lui demander s’il ne pouvait pas la recevoir. Un sourire se glisse sur mon visage, sourire qui ne passe pas inaperçu, qui est communicatif. Gaël fait de même et c’est dans le silence que nous nous comprenons : ça va se terminer dans les bras l’un de l’autre. Il est comme ça, il profite, il est libre. C’est ce qui a de l’importance à ses yeux, sa liberté. C’est peut-être pour ça que mon mariage si soudain lui échappe. Il est 19 heures 45 lorsque nous sortons de la boîte, en prenant chacun un chemin différent. Je prends ma voiture, me gare en bas du bâtiment et monte jusqu’à l’appartement que j’ouvre de l’extérieur, en y mettant le temps avec les nombreux verrous qu’il y a. « Bonsoir. » dis-je, en posant un dossier sur l’îlot. « Comment s’est passée ta journée ? » Je passe derrière l’îlot, prends un verre d’eau. Je lui en veux, comme elle doit m’en vouloir de lui ressortir toujours les mêmes choses. Je me sens en tort dans plein de choses dans notre couple, mais je la tiens responsable de ce que je deviens. Je peux présenter mes excuses à Oihana concernant mes réactions, je ne ferai pas de même avec Maona.

« Tant mieux. » Si au moins elle peut en apprendre, si le reste de la journée s’est bien déroulée, alors oui, tant mieux. Ma journée ? Si ce n’est notre dispute de ce midi, elle s’est bien déroulée. Le travail, ce n’est jamais une corvée, alors j’acquiesce d’un signe de tête, même si je ne suis pas bien sûr que ça l’intéresse, finalement. « Ca a été. » Je bois mon verre, jette un œil au plat qu’elle est en train de mettre au four et lui sors un couvert. Je lui aurais probablement soufflé que ça avait l’air délicieux, ce qu’elle a préparé, je lui aurais fait un compliment sur sa cuisine qui est loin de celle du début, qui était similaire à la mienne qui n’a pas évolué d’un seul pouce tant je n’ai pas la patience pour la préparation, mais je m’abstiens. L’humeur aux compliments, je ne l’ai pas. « J’ai mangé il y a moins d’une heure, avec Gaël. » dis-je, pour justifier que je ne l’accompagnerai pas. Pendant qu’on finalisait notre maquette, qu’on était en train de revoir certains détails. Je savais que toute façon, je n’avais pas la moindre envie de manger dans le silence le plus total, ou que je n’aurais plus faim si nous remettions le sujet sur le tapis. Est-ce que j’en ai envie ? J’ai bien compris que j’étais trop excessif, que mes réactions n’étaient pas plaisantes. Je m’appuie contre l’îlot, puis me lance : « Est-ce que t’es consciente que je ne changerai pas ? » C’était un reproche, je l’ai pris comme tel. Et je n’ai pas eu les réponses à ce que je pensais que cette pique signifiait. Je suis resté sur le fait que ma réaction avec Nino était trop excessive, que ma jalousie aussi, que mes réactions étaient bien trop démesurées. Elles le sont, mais pas pour tout. Maona est jalouse alors que je n’ai même pas été voir ailleurs… ! Je juge avoir toutes les raisons de réagir dans l’extrême. « Et que je n’ai aucune bonne raison de le faire ? » Maona m’aime. Maona me regarde parfois comme si j’étais l’unique homme dans sa vie, mais ça n’a pas toujours été le cas. « Est-ce que tu es consciente que j’ai pris la décision de vivre avec ton erreur, mais que je ne te la pardonnerai jamais ? Au cas où que tu aurais un espoir. » Que les choses soient claires. Ce n’est pas parce que j’essaie d’avancer à ses côtés que je tire un trait sur ce qui a été fait. Je n’oublie pas. C’est dans un coin de ma tête, ça le sera toujours. Ses mots aussi, le seront toujours. Peu importe ce qu’elle me dit, peu importe ce qu’elle fait pour me rassurer, les faits sont là. « Tu penses de moi que je suis trop excessif, quand moi je pense de toi que tu peux me trahir de nouveau. La vérité, c’est que je balise à chaque fois que je suis ailleurs. Partir à Nice ne me fais pas plus plaisir que ça, par crainte qu’il t’arrive quelque chose, mais aussi parce que j’ai peur de te laisser toute seule, j’ai peur de ce que tu pourrais faire en mon absence. Et crois-moi, il n’y a pas que pour toi que c’est invivable. Ne pas te faire confiance est difficile à gérer, surtout lorsqu’il est question de te laisser seule. » Lorsque je rentrerai de Nice, je me ferai violence pour ne pas l’interroger sur tout, mais je sais très bien que je vais me poser des questions, que je me demanderai qui elle a bien pu voir, ce qu’elle a pu faire, ce qu’elle a dit, aussi. Ne pas agir, ça ne veut pas dire ne pas en avoir envie. Je la sens capable de ça aussi, peut-être aussi à cause de notre différence d’âge. « Crois-moi, je fais des efforts tous les jours pour me contrôler un minimum, mais ne pas fouiller dans tes affaires, ne pas regarder sur ton ordinateur portable, ou encore tous les messages qu’on t’envoie sur ton téléphone est déjà énorme. C'est tout ce que je peux faire. Je suis incapable de faire plus que ça et ça me ronge. » Je lui avoue, je n’ai plus à lui cacher. C’est une torture de ne pas savoir ce qu’elle raconte à ses amis, mais je me tiens éloigné de tout ça. « Alors peut-être que j’abuse avec toi et je suis désolé si ça te blesse, mais tu as tout fait pour que je sois comme ça avec toi. » Elle savait comment je réagissais, elle savait que ça avait créé un gouffre entre Anna et moi, elle savait que ce n’était pas une chose que je tolérais et ça ne l'a pas empêché de foncer droit dans le mur. Au fond d'elle, c’était peut-être une façon de m’éloigner d'elle, parce qu'elle ne pouvait pas le faire d'elle-même. Elle avait besoin de se sentir « propre », mais c’était peut-être une raison de mettre un terme à ce que nous avions, de détruire notre relation qui était autrefois malsaine. Ca n’a pas suffit, mais ça a bien cassé quelque chose que je ne peux pas réparer : ce qu'il y a en moi. Alors voilà ce qu'elle obtient en réponse. Mon caractère excessif.

Son téléphone, son ordinateur, son sac, les objets de la tentation sont à portée de main, mais je tente de résister. Si je commence comme ça, à vérifier les moindres faits et gestes, je suis complètement foutu. Il me sera impossible de faire marche arrière. Ce sera comme une addiction. Pourtant, je prends son téléphone et fais défiler ses messages, ceux qu’elle a envoyés à un Jonny. Et aussi un Florent qui lui demande sa phobie. Est-il sérieux ? Mais principalement la conversation avec Nino. Je ne vais pas au bout de celle-ci, laisse le téléphone de côté, ne supporte plus de lire ce qui se trouve dans ce petit appareil. Evidemment que ça fait mal. Evidemment que c’est épuisant de toujours être sur ses gardes, d’être méfiant de tout ce qu’elle envoie, de tout ce qu’elle peut dire. C’est dur de faire face à une vie que je ne concevais pas. Dans mon esprit, la vie de couple était bien plus simple, plus sereine, pas malsaine, comme elle l’est lorsque j’épie ce qu’elle fait, comme à l’instant. Ca ne m’aidera en rien à me sentir plus en sécurité. « Je ne l’ai pas pris comme tel. J’y ai lu un message caché, quelque chose comme ça. Mais tu as raison, je suis excessif. Je n’ai pas toujours été comme ça. » Pas à ce point. J’étais tout le contraire avec Anna, à nos débuts, peut-être trop dans l’extrême aussi, à la laisser faire tout ce qu’elle voulait, à la délaisser, mais j’avais confiance. Maintenant, ce n’est plus du tout le cas. Je repense à ce que j’ai pu dire à Elise, lorsqu’elle s’est réveillée, lorsqu’elle m’a avoué être amoureuse de moi. Je me rappelle lui avoir dit que j’aurais aimé tomber sous son charme, je me souviens avoir pensé que les choses auraient été plus simples et il m’arrive de le penser lorsque des conversations comme celles-ci reviennent. Parfois, j’aimerais que les choses soient plus simples, ne pas avoir à me torturer l’esprit, ne pas avoir à repenser à tout ça. J’aimerais pouvoir oublier. Je ne fais que tout étouffer pour remplir pleinement cette décision prise. Celle d’avancer. « Je ne t’en parlerai plus. » Je me contenterai de garder les choses pour moi. De toute façon, elle sait ce que j’en pense, elle sait maintenant que je lui tiendrai toujours rigueur de ce qui a été fait. Ce ne sera jamais anodin à mes yeux. Maona, je l’aime, je n’arrive pas à m’en passer, c’est certain, mais elle a perdu le statut de ma personne idéale et c’est peut-être tout ce à quoi j’ai droit, au final. Si une personne comme elle, si charmante, si innocente, arrive à me blesser en sachant très bien que ça va m’atteindre, c’est que je ne mérite pas mieux. « Excuse-moi pour le repas, j’aurais dû te prévenir. Je le ferai la prochaine fois. » dis-je, en rangeant les ustensiles sales dans le lave-vaisselle. « Je ferai attention à mes réactions, aussi. » Imploser, je sais faire. Un couple qui ne se parle pas, qui ne communique pas, qui fait en sorte que les choses se passent bien sans passer par le conflit, c’est un couple qui se ment. Et alors ? Nous n’avons jamais été le couple le plus parfait du monde. « Qu’est-ce que tu as fait avec Jeremy cet après-midi ? » Je n’ai pas la moindre envie de parler travail, de parler tout court, mais je noie le poisson, je passe à autre chose.

Je vais pour lui répondre, continuer sur ce même sujet, le travail qu’ils réalisent, quand je la vois s’approcher. Ses mains sur mon visage, je plante mes yeux dans les siens et secoue la tête. « Tu n’as pas à t’excuser, j’ai réagi au quart de tour. » Comme toujours. Je ne réfléchis pas, je fonce dedans. Je suis impulsif, attrape la première chose qui me fait réagir pour exprimer ce que je ressens sur le moment. J’ai conscience que pour que le « nous » que nous formons puisse fonctionner, qu’il va falloir que je me calme, que je passe outre ce qui s’est passé, que j’enfouis tout ça dans un coin de ma tête, que je n’en parle plus, mais c’est compliqué. Pour être déjà passé par là, pour avoir choisi cette solution avec Anna, je sais que ce n’est pas à faire, que c’est jouer sur les apparences, montrer que tout va bien, alors qu’en réalité, il y a des tonnes de choses qui clochent, mais c’est pourtant ce que je vais faire. Je n’ai aucune idée de comment gérer les choses autrement. « Non, c’est bon. Ca ne règlera rien de t’épier. Les choses sont telles quelles sont, à moi de l’accepter, c’est tout. » C’est comme ça. Qu’est-ce que je peux bien y faire ? Je pose ma main sur la sienne et la repousse doucement, m’avance ensuite vers mon dossier que j’ouvre pour y jeter un œil. « Je n’aurais pas dû m’énerver, je n’aurais pas dû rabâcher ce qui s’est passé. Ca nous fait du mal à chaque fois. » dis-je, en avouant mes torts aussi. Je n’aurais tout simplement pas dû me bloquer sur cette petite phrase. « Ecoute, ça va. Il va se passer une nuit et une journée entière avant que je parte. Les choses vont se calmer. Elles se calment déjà. » Je relâche le dossier, me rapproche de Maona et dépose un baiser sur le coin de ses lèvres, peut-être pour la rassurer, pour ne prolonger ce froid que je sens toujours en moi. Ce sera toujours comme ça. Des hauts, des bas, peut-être plus de bas que de haut. Je n’en sais rien. Je n’ai pas la moindre envie d’y réfléchir. « Je sais que tu fais ce qu’il faut pour que les choses s’apaisent entre nous, que tu fais ce que tu peux pour que les choses s’arrangent. » Je fais glisser mes mains sur ses épaules, puis sur ses bras et j’en pose une sur son ventre. Il faut que je me calme, vraiment, pour lui qui est en train de grandir en elle. Ce petit être qui ne veut pas voir ses parents se déchirer, mais qui souhaite plutôt deux personnes unies. « Je t’aime, mais c’est souvent très dur. Ca va se calmer. » dis-je, pourtant pas convaincu. Pour que ça s’arrange, il faudrait que je lui pardonne, mais ce serait lui donner tellement plus que ce que je me sens capable de faire. Ce serait la récompenser d’avoir fait ce qu’elle a fait. Ce serait admettre qu’elle a finalement eu raison, que de toute façon, elle ne perdait absolument rien dans l’histoire et qu’elle peut recommencer à tout moment. Je lui ai dit que je ne l’abandonnerai pas, que je souhaitais être à ses côtés, mais il y a des jours comme aujourd’hui où tout me revient en pleine figure et où je doute de tout, sans pour autant le dire. Il ne faut pas, je n’en ai pas le droit. « Ca va aller, Mao, ça va aller. Ce n’est qu’une dispute. » Je dépose un baiser sur son front et repars vers mon dossier. « Je rentre samedi matin. J’aurais aimé revenir plus tôt, mais le vol retour est prévu pour 10 heures. Nous n’en aurons pour pas plus d’une heure. Je devrais être là vers 11 heures. Est-ce que tu as besoin de quelque chose avant mon départ ? » Elle n'est pas rassurée pour Line, mais elle n'a aucun souci à se faire. C'est strictement professionnel, pour moi, pour Line.

« Très bien. Si tu as un problème pour le travail… Gaël sera là, jusqu’à à peu près dix-sept heures. » Il reçoit une amie peu après. J’ai cru comprendre qu’elle arrivait à dix-huit heures, mais qu’il lui fallait un peu de temps pour se refaire une santé, être présentable face à la femme qu’il va recevoir chez lui pendant quelques jours. Le connaissant, il va bien profiter de son week-end qui va arriver pour être auprès d’elle. « Je n’en doute pas. C’est moi où tu prends goût à la cuisine ? » Il n’en reste plus une seule miette à chaque fois et ce n’est pas étonnant, ce qu’elle prépare, c’est bon. J’acquiesce d’un signe de tête à sa question. J’ai besoin de me poser devant, d’étudier ce que j’ai apporté. Je ne comptais pourtant pas le faire, mais ça me fait du bien à chaque fois. C’est probablement l’une des rares choses qui m’apaise en claquant des doigts. Ca et le dessin, sans objectif principal. C’est ce qui m’a sauvé lorsque j’étais adolescent, c’est ce qui me sauve encore aujourd’hui. Sans ça, je ne serai rien. « J’ai quelques petites choses à revoir, je vais profiter que tu prennes ta douche pour m’y mettre. Je la prendrai après toi. » Je m’approche du canapé sur lequel je m’installe, pose le dossier dessus et sors le crayon de bois que j’ai toujours sur moi pour commencer à y mettre quelques annotations. L’eau commence à couler et finalement, je me lève, retire mes chaussures et entre dans la salle de bain. Je défais les boutons de ma chemise, la fais tomber par terre et retire le reste de mes vêtements pour enfin la rejoindre. Mon torse se colle contre son dos, mes bras l’encerclent, mes doigts effleurent son petit ventre. Je dépose un baiser sur son épaule, un autre au creux de son cou. « Je te demande pardon. Ce n’est pas que je prends un malin plaisir à être distant avec toi, ce n’est pas du tout le cas… C’est juste que… » Je lève les yeux sur le plafond, lâche un soupir et garde le silence. Je ne sais pas comment lui parler, ni comment me comporter quand je suis dans cet état. Je me renferme, je ne dis plus rien, c’est la seule attitude que j’adopte à la perfection, jusqu’à ce que je me calme, jusqu’à ce que je ne ressente plus cette petite boule au creux de mon estomac. « Je ne sais pas. Je suis instable quand il s’agit de nous deux. Je m’emporte vite, trop vite. Je ne réfléchis pas. » J’embrasse sa joue devenue encore plus douce avec l’eau qui coule sur son corps. « Je sais que tu y mets du tien, que tu fais tout ce que tu peux. Je vais prendre sur moi. Je ne veux pas qu’on l’accueille comme ça. » Je ne sais pas encore comment je vais me débrouiller, mais il ne faut pas que je continue à réagir de cette façon. « Pour lui, je vais prendre sur moi. » Il ne mérite pas autre chose. Je ne souhaite pas qu’il me voie comme un mauvais père, comme un homme effrayant qui s’emporte constamment.

« Non. Je t’ai dit que je ne t’en parlerai plus. » Maona est Madame Deribay, ma femme, celle à qui je devrais tout dire, celle pour qui je ne devrais avoir aucun secret, celle en qui je devrais avoir plus confiance que n’importe qui. Tout ça, c’est juste une idéologie que ce sont faits les gens sur l’amour, c’est bien trop utopique, ça ne marche pas avec nous. La vraie solution, celle qui pourrait fonctionner, celle qui pourrait rendre notre couple plus fort, je ne l’ai pas, du moins, elle m’est inaccessible. « Je ne te parlerai plus de mes doutes, ça ne sert à rien. » Ils seront toujours là. Je les ai eu quelques minutes avant de me marier, mon père n’a pas su trouver les mots pour me rassurer. Lui s’est marié avec Solange parce qu’elle était tombée enceinte, parce qu’il pensait l’aimer, parce qu’il fallait qu’il cache son homosexualité, alors en terme d’exemple, il n’est pas le mieux placé pour me conseiller. Et quand bien même il aurait eu les mots justes, je ne les aurais sans doute pas écoutés. « Je sais. Il le sera, heureux. C’est ce qui m’importe le plus. » Je pense à lui avant tout le reste. Il n’est pas encore là que je pense déjà à son bonheur, à lui. Si moi je ne le suis pas entièrement, si ma vie n’est pas faite comme je le désire vraiment, j’aimerais au moins qu’il puisse avoir tout ce qu’il souhaite, de son côté, qu’on ne lui fasse aucun mal par la suite, qu’il puisse vivre avec légèreté. Tout ce que je n’ai pas au quotidien. Le reste, à côté, ça en a moins. Je crois que je serai capable de m’oublier pour qu’il soit bien. Je hausse les épaules, la laisse me laver, me toucher, en la regardant faire. Maona fait tout ce qu’elle peut. Elle essaie de prendre soin de moi. Je m’efforce de sourire à sa remarque, puis sors de la douche une fois que nous sommes tous les deux lavés. Une serviette autour de ma taille, je récupère mes vêtements éparpillés et les met dans la corbeille à linge. « Merci. Je ferai en sorte que ça ne se reproduise plus. » dis-je, en m’éclipsant quelques minutes dans la chambre, pour récupérer des vêtements. J’enfile un boxer, un bas de pyjama et rejoins Maona dans la pièce pour lui tendre ses affaires. « Je vais travailler un peu, maintenant. » Je dépose un baiser sur son front, puis m’éclipse enfin vers le salon où je me pose face à ce que j’ai délaissé il y a peu. J’ai besoin de m’y coller, de penser à autre chose, de me vider la tête, le fait que j’ai parfois l’impression de foutre clairement en l’air une partie de ma vie. Demain, les choses iront mieux. Ce sera différent. La colère sera passée, je serai moins tendue et puis le travail m’aidera à passer à autre chose. Il le faut.