rencontre improbable (Maïa)

Elle s'était habillée avec un jean vert et un pull en laine géant vert sapin. Chaussé ses chaussures. Elle était sortie. Dans la rue. Sous un soleil de plomb. Elle avait eu envie de prendre quelque chose avoir, car elle avait la gorge extrêmement sèche. Elle était donc sortie, en pull, sous le soleil, puis s'était dirigée vers les cents marches, un bar, dans le quartier où habitait Auxence.

Maïa avait pensé aller à l'Opéra boire un verre, mais elle n'avait pas la force de se rendre dans le restaurant. Elle avait donc opté pour un autre endroit. Les cents marches, donc, un petit bar prisé par toutes sortes de gens. La jeune femme n'avait rien à faire de son après-midi. Jour de congé. Rare, mais quand il arrive, vous ne trouvez rien à faire. Enfin, pour Maïa, du moins. Quand elle était arrivée au bar, devant cet endroit souvent bondé, toujours bondé, elle avait eu un haut le cœur, parce que ça sentait la fumée, le tabac. A l'Opéra, on ne tolérait pas que les fumeurs fument juste devant l'entrée, il y avait un espace réservé pour les fumeurs, d'ailleurs confortable. Cet espace était spécial, parce qu'on avait l'impression d'être ailleurs. C'était plutôt étrange, d'ailleurs. Très étrange.

La tromboniste s'était assise près du comptoir, à côté d'un vieil homme à la barbe mal rasée, aux yeux cernés et aux dents jaunies, buvant une vodka extrêmement forte, et d'un jeune homme soigné, qui buvait une bière en jetant des regards autour de lui. Elle n'observa pas ses voisins plus que cela et commanda un verre de jus d'orange, sans glaçon, avec une paille. Le barman lui pria de bien vouloir l'excuser, car le téléphone sonnait. Pendant ce temps, elle sortit son porte monnaie et le lâcha maladroitement par terre. Les pièces roulèrent autour d'elle, se dispersant tout autour de son haut tabouret, entre les tables et les chaises.

Le jeune homme qui se trouvait près d'elle s'était agenouillé, et l'avait aidé ramassé les pièces qui s'étaient un peu éparpillées autour du comptoir. Gentil, cet homme. Aidant et aimable, un fin sourire sur les lèvres, l'air un peu distrait. Un simple « Voilà », un haussement d'épaules, une main tendue. « Merci beaucoup ! » dit-elle, un peu émue, d'être aidée par quelqu'un en cette journée ensoleillée. Les gens du bar s'étaient remis à parler, de tout et de rien, d'ailleurs, et le serveur souriait à pleine dents à Maïa. Cette dernière fît attention à ne rien laisser tomber une seconde fois, et elle remit l'argent qu'elle devait au barman et englouti la moitié de son verre, sans trop se préoccuper de la paille qu'elle avait demandé au personnel du restaurant. Une sonnerie de téléphone retenti à l'intérieur du bar. Elle ressemblait fortement à celle qu'elle avait avant sur le sien. A côté d'elle, une femme tapotait frénétiquement sur les touches de son portable, et les cliquetis incessants qui en résultaient étaient assez troublants, voire gênants.

Comme il ne se passait rien de très prenant dans ce bar, la musicienne s'engagea dans une conversation avec son sauveur. « Merci de m'avoir aidée, tout à l'heure. » commença-t-elle. Elle était un peu gauche, mais elle n'avait jamais pensé en arriver jusque là. C'était un peu honteux, et elle espérait ne jamais revivre cette scène une seconde fois. La femme continuait de frapper l'écran avec ses pouces, et lorsque ça devînt franchement agaçant, un homme de la table d'à côté s'énerva, mais rien de très grave. « Je suis désolée de vous avoir dérangé. ». Maïs s'excusait ? C'était nouveau. Elle rebut une gorgée de son jus d'orange, cette fois-ci avec une paille, et jeta un coup d’œil à l'horloge.

Spoiler:

Ok. Suliac. Elle se promet de retenir ce nom, au cas où. Il est pas mal, le gars, à bien y regarder. Si elle ne rentre pas seule ce soir faudra pas s'étonner, sauf que chez elle y a déjà quelqu'un, et elle n'est pas sûre que ce quelqu'un apprécie un nouvel arrivant, mais bon, si c'est chez monsieur, pourquoi pas ? Non, elle ne peut pas faire ça, ce serait ignoble de sa part. On verra. Maïa commanda un jus d'orange, un autre, regarda le jeune homme replacer une mèche rebelle. Elle aimait ce geste chez les hommes, des fois elle se disait qu'ils étaient plus coquets que les filles. Maïa, elle avait bien remarqué que les gens étaient de plus en plus soigneux avec leur apparence, et elle voyait parfois débouler des gens comme ça dans le restaurant avec un costar et l'autre avec une robe cintrée au bustier plutôt bien décoré. Elle admira une fois de plus les verres au dessus de sa tête et puis répondit de son naturel tranquille « Dans ma vie ? Je suis musicienne à l'Opéra, un café restaurant dans le coin. C'est bien payé et puis la famille qui tient le resto elle est sympa. » Oui c'est vrai, ils sont gentils.

Maïa regarde l'heure. Elle n'avait pas remarqué qu'il était assez tard. Il faudrait qu'elle s'en aille, mais elle a envie de lui parler.

Elle regarde Suliac tourner son verre entre ses mains, ses doigts. Elle voit aussi son regard se promener sur les gens assis sur le bar, ces gens inconnus qui parlent entre eux. Elle voit surtout qu'il regarde les hommes. Des hommes. Puis il lui demande de quel instrument elle joue. Maïa lui répond du trombone, puis à son tour, pose ses questions. Elle a envie d'en savoir plus sur son interlocuteur, apprendre des choses sur lui. Elle qui ne fréquente pas grand monde ces temps-ci, surtout des hommes, parce que Jude lui en empêche. Alors elle fait de nouvelles connaissances. Elle veut connaître beaucoup de gens, qui viennent de partout, n'importe où. Le coin d'une rue, un détour de ruelle, la plage, ou même dans un restaurant, peut-être aussi un sentier de randonnée. Partout, vraiment. Et Suliac a l'air plutôt intéressant, comme gars, bien élevé, tout ce qu'il faut. « Et toi alors ? Tu dois bien avoir quelques passions aussi, des choses que tu aimes ? » Tout le monde en a, et puis, faire connaissance, c'est parler de soi, aussi.

« Qu'est-ce qu'ils font, là-bas ? » elle demande, Maïa, quand elle voit deux gros durs avec des bras énormes surmontés d'une tête à l'allure juste... énorme aussi. « Okay, faut que j'y aille, mais... hem... ils n'ont pas l'air commodes. » La jeune femme descend de son tabouret, et elle glisse sa main vers l'alcoolo et sa bouteille vide. Elle s'en empare. « Suliac. En réalité, on aurait pu faire connaissance... plus pacifiquement, mais peut-être qu'on devrait faire quelque chose pour éviter que le bar ne soit détruit, qu'est-ce que tu en dis ? » Elle s'arrête et se retourne, lançant un sourire ravissant au jeune homme. « Je n'ai peut être pas l'air, mais j'arrive toujours à régler les problèmes. Non, non, ne dis rien. » Maïa slalome entre les tables et les gens qui commencent à paniquer. Elle s'approche, et s'arrête assez loin. On pourrait la croire folle, pourtant, ce n'est pas le mot qui la caractériserait. Plutôt... déterminée à ne pas se laisser faire. Elle veut prouver qu'enfin, une femme comme elle peut faire la différence entre deux hommes qui ne sont pas commodes. D'ailleurs, un des deux à une tête familière.