(Eneko) de surprise en surprise

Depuis vendredi, aucun message. Rien. En se levant ce matin, Eneko s’est dit qu’il en aurait un, qu’elle le lui aurait envoyé un peu tardivement, peut-être pour le faire languir, ou parce qu’elle ne trouvait pas les bons mots pour formuler une réponse, mais rien. Toute la matinée, la réunion avec Gaël a occupé son esprit, mais pas seulement. Un beau compte-rendu sur le samedi passé à travailler, avec Maona. Et c’est justement le problème ; elle était là, avec lui et chaque point abordé le ramenait à elle, à son regard qu’il croisait à chaque fois qu’il relevait les yeux sur elle, à son sourire, aux petits mots échangés lorsqu’ils le pouvaient, aux moindres gestes. Ca pouvait être un effleurement de la main, ou une main posée sur son dos. Le tout le faisait frissonner, l’électrisait. Il y a repensé en faisant le point avec Gaël, il était ailleurs. Son ami l’a remarqué, lui aussi, ce n’était pas difficile, mais Eneko lui a gentiment fait comprendre par un regard qu’il ne fallait pas s’attarder là-dessus. Il attrape son portable, espérant avoir reçu un message dont la réception ne s’est pas fait entendre, mais c’est stupide. Ca fait dix minutes qu’il est plongé dans le silence, face à une maquette, qu’il observe cette dernière, sans même savoir ce qu’il doit faire pour l’améliorer. Ca n’a pas d’importance. C’est une première ; lui qui d’habitude fait passer son entreprise avant le reste, pense que cette maquette n’a aucune importance et cette pensée est effrayante, mais il ne cherche pas à l’éloigner. Il a besoin de la voir, de la toucher, de s’assurer qu’elle va bien et il a essayé, à plusieurs reprises aujourd’hui, mais à chaque fois qu’il s’absentait de son bureau pour prendre un chocolat, boisson qu’il ne boit jamais en temps normal, mais une bonne excuse pour se déplacer, plutôt que d’utiliser sa cafetière, Maona n’était pas dans la salle de pause. Il place ses mains sur son visage, le frotte, comme si ça pouvait l’aider à se réveiller un peu et finit par se lever de son fauteuil, emportant avec lui quelques pièces de monnaie. Il est quinze heures et il n’a pas avalé un morceau de la journée. Son ventre noué ne le permettait pas et il ne lui permet toujours pas de le faire, mais il sent qu’il en a besoin. Eneko pousse la porte de la salle, tombant nez à nez avec Elle. Maona. Cette femme qu’il a essayé de croiser à plusieurs reprises dans la journée, cette femme qu’il s’en veut d’avoir délaissé, cette femme avec qui il souhaite parler, pour mettre les choses à plat, pour se rattraper aussi, de l’avoir délaissé ce dimanche où il devait la raccompagner. Ca aurait dû bien se terminer. Ca y est, elle aussi, elle l’a vu. Eneko referme derrière eux, range sa monnaie dans sa poche, parce qu’il sent qu’il ne va pas avoir besoin d’une pause grignotage, finalement. Son cœur se resserre trop et son estomac lui fait bien trop mal pour qu’il puisse avaler quelque chose. « Bonjour. » Il fait un pas vers elle, ne tourne pas autour du pot. « J’ai attendu votre message. Il faut qu’on se parle, Mao. Il faut qu’on… » Sa main est tendue vers son bras, mais Eneko n’a pas le temps de finir. La porte s’ouvre. Une femme entre. Anna. C’est Anna, qui est là, tout sourire, avec un sac dans les mains. « Anna ? » Ca tombe franchement mal. « Gaël m’a dit que je te trouverai sûrement là. » Lui ne comprend pas ce qu’elle vient faire là. Elle se contente de sourire, de le dévisager, puis d’observer la jeune femme près de lui. Anna ne manque pas de l’observer de haut en bas, furtivement, avant de reposer son attention sur lui. « Il m’a aussi dit que tu n’avais rien mangé de la journée. Maman s’étant absentée pour se rendre à la plage, acheter quelques souvenirs, j’ai sauté sur l’occasion pour venir te rejoindre. » C’est l’incompréhension la plus totale. Anna ne fait jamais ça. Il fronce les sourcils, sans savoir quoi répondre à ça, le cœur battant à cent à l’heure. « Tu aurais pu prévenir. » Lui dit-il, sèchement. « Je voulais te faire une surprise. » Du coin de l’œil, il observe Maona, se sentant mal pour elle. Il s’apprête d’ailleurs à lui dire qu’ils remettront la discussion à plus tard, quand Anna remarque le pauvre sandwich qu’elle tient entre ses mains. « C’est tout ce que vous allez manger ? Venez vous joindre à nous, plutôt. J’ai de quoi rassasier une armée entière ! » Elle lui prend la main avec entrain et la tire jusqu’à l’extérieur de la pièce. « Dans ton bureau, c’est mieux, non ? C’est plus spacieux. » Et elle enchaîne, avant même qu’il ne réponde : « Vous êtes bien sa stagiaire ? Gaël m’a parlé de vous. En bien. » Gaël. Encore.

Toute la scène se défile sous ses yeux, comme s’il n’était que spectateur de la scène et qu’il n’y pouvait rien. Anna est spontanée. Anna est obstinée. Anna, quand elle a une idée en tête, personne ne peut la contredire, personne ne peut la faire changer d’avis, même son ton sec n’y fait pas. Elle est habituée, depuis deux ans, à ce qu’il se montre dur avec elle, à tel point qu’elle n’y fait plus attention. Tout ce qui l’intéresse, c’est de manger avec lui, de lui remplir le ventre. A elle aussi. Maona. Il aurait aimé qu’elle ne parle pas tout de suite à sa stagiaire pour qu’il puisse avoir le temps de lui dire que son bureau était, certes, spacieux, mais qu’il n’avait pas très faim, que Maona avait du travail, sauf qu’elle est bien déterminée et… Et que Gaël s’ajoute au repas. Derrière eux, encore une fois, il voit la scène se faire, entend les mots d’Anna avec un train de retard. Gaël se joint à eux, ne cherche même pas à partir. Il est bien, avec eux, avec Anna qu’il apprécie, avec Maona pour qui il en pince. Cette idée qu’il passe du temps en leur compagnie, qu’il observe Maona, qu’il la dévisage, sous ses yeux… Ca l’agace d’avance. Il aimerait lui demander de partir tout de suite, de les laisser, mais ça pourrait être suspect, alors il se contente de suivre le mouvement, en réfléchissant et en se demandant comment ils en sont arrivés là. Comment est-ce possible ? Il a l’impression d’être dans un film comique à la française. La porte du bureau s’ouvre, le même bureau où Maona a terminé nue. Anna n’a pas idée de ce qui s’est passé dans ce bureau pour s’y engouffrer avec un large sourire et heureusement. Une petite voix dans sa tête aimerait que Gaël soit au courant, par contre, pour qu’il évite de tourner autour de celle qui lui fait tourner la tête. Il n’a même pas pu lui parler. Anna pose son sac sur la table et en sort plusieurs verrines, quelques boîtes Tupperware, ainsi que des assiettes en carton, des couverts et le nécessaire, tandis que lui, n’a d’yeux que pour Maona qui se rapproche de Gaël. Ce dernier sourit, l’interroge sur son week-end, pose même la main sur son dos pour l’inciter à s’asseoir. Sa mâchoire se resserre, ses mains se crispent, son regard se pose sur le saladier d’Anna pour éviter de voir ce spectacle qui s’offre à lui et qu’il ne peut empêcher, pas devant tout ce monde. Il ne sait même pas comment faire pour gérer une telle situation, mais ce qu’il sait, c’est qu’il n’est pas question que Gaël se retrouve seul avec Maona. « Non. » Qu’il dit, brusquement. Les regards se posent sur lui, celui d’Anna qui est surprise du ton qu’il prend, mais il s’empresse de rectifier le tir : « Vous avez beaucoup travaillé aujourd’hui, il faut que vous mangiez un peu. Je ne tiens pas à vous ramasser à la petite cuillère lorsque vous tomberez dans les pommes. D’autant plus que Gaël adore les plats d’Anna. Elle cuisine très bien, ça fait partie de l’une de ses nombreuses qualités. » Anna qui était surprise jusque-là, a un sourire qui s’étire jusqu’aux oreilles, alors qu’elle pose sa main sur son bras, se place sur la pointe des pieds pour atteindre sa joue et y déposer un baiser. Lui n’a fait que se servir d’arguments pour ses propres intérêts… En même temps que d’appuyer sur le fait qu’Anna était une femme charmante, pour se venger de cette proximité avec Gaël, d’avoir pensé qu’elle allait pouvoir s’échapper avec lui. Ca aurait pu être une bonne solution, mais rien que quelques minutes, c’est trop, Eneko peine à le supporter. C’est de la jalousie : Gaël est célibataire, charmant, il a de quoi la charmer, elle qui ne pense pas pouvoir tenir, qui ne répond pas à ses messages, qui l’évite. Peut-être veut-elle passer à autre chose, mais il est incapable de la laisser filer. « Vous allez goûter, vous comprendrez pourquoi je ne résiste pas à chaque fois. » Gaël semble enthousiaste. Eneko ne l’est pas du tout. Chacun se retrouve avec une verrine d’avocat et de crevettes. « Alors Maona, vous vous plaisez ici ? Vous vous faites à l’environnement ? Et à Eneko ? Il peut se montrer un peu dur, parfois. » « Anna. » Lâche-t-il, sèchement, mais Anna le prend avec sourire. « Excuse-moi, mais c’est vrai. Il ne vous a pas fait mauvaise impression, j’espère. » Si elle savait. Eneko se saisit de la fourchette, la serre entre ses doigts, en fixant les petites crevettes à l’intérieur. Qu’est-ce que ça ne lui donne pas envie.

Avec Gaël. Gaël qui affiche un sourire dès qu’il est cité. Gaël qu’il a envie de remettre à sa place. Eneko ferme une seconde les yeux, pour tenter de se calmer, mais c’est peine perdu. Son regard tente de croiser le sien qui est suppliant. Elle s’attend à ce qu’il fasse quelque chose ? Parce qu’il n’en a pas envie et il ne fait rien. Pourquoi lui demande-t-elle ? Après tout, il y a Gaël. Il est là, juste à côté d’elle et le connaissant, il serait prêt à faire n’importe quoi pour qu’elle se sente à l’aise, mais ignorant la situation dans laquelle ils se trouvent, il n’en fera rien. Pendant que Gaël se fait un plaisir de manger et demande à Anna de ses nouvelles, celle-ci annonce qu’elle est en train de préparer leur anniversaire de mariage, en posant sa main sur sa cuisse où il pose la sienne, pour la serrer, mais pas tendrement, non. Elle joue au couple parfait, comme s’il l’était, comme s’il y avait encore quelque chose à sauver. Elle n’ouvre pas les yeux, elle se contente de vivre leur vie, comme si rien n’avait eu lieu. Gaël n’est pas au courant, il ne lui en a pas parlé, il n’a pas souhaité l’embêter avec ça, étant donné qu’il a connu Anna en même temps que lui et que le courant passe bien. Eneko ne souhaitait pas qu’il ait une mauvaise image d’elle, préférant préserver l’amitié qu’ils ont, mais peut-être aurait-il dû, finalement. Et c’est là qu’elle se lève, Maona et sort dans la précipitation. Gaël est surpris, a les yeux ronds, s’apprête même à se lever. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » demande Anna, alors qu’Eneko stoppe Gaël dans sa lancée. « C’est bon, je m’en charge. » Anna le regarde se lever, interdite. « Je vais voir ce qui se passe. » « Je pourrais aller la voir, plutôt, peut-être que c’est dû à la nourriture, je ne sais pas. » Elle observe sa verrine, embarrassée, mais lui, ce n’est pas ce qui le dérange le plus. Il pose sa main sur la table et plante son regard dans le sien. « A quoi tu joues Anna ? Tu ne pouvais pas t’en empêcher, hein, de jouer à la petite femme parfaite. » Cette fois-ci, il sent que ça la touchée. Il aurait dû lui dire ça plus tôt, peut-être. Sans un mot de plus, sans un regard, il disparaît du bureau, se dirige vers celui de Maona qui est vide, puis vers les toilettes, en se permettant de regarder quelques bureaux vides au passage, pour voir si elle ne s’est pas cachée dedans, mais rien, personne. Dans les toilettes, Eneko la voit enfin. Du moins, ses pieds d’abord. Il referme la porte principale, espérant ne pas être dérangé, mais au fond, tout ce qui l’intéresse, c’est de pouvoir lui parler, même si ce n’est pas dans de bonnes circonstances, même s’ils vont se disputer. Il ouvre la cabine et attrape doucement ses cheveux qu’il tient en arrière, pour éviter qu’elle vomisse dessus. « A quoi vous vous attendiez ? A ce que je vous laisse partir avec Gaël ? Vous n’êtes pas sérieuse. » Il n’aime pas qu’il lui tourne autour, mais ce n’est peut-être pas ce qu’il aurait dû lui dire. Peut-être qu’il aurait dû se montrer moins possessif, moins autoritaire, qu’il aurait dû la laisser partir avec son acolyte, justement, pour ne pas qu’elle ait à subir les questions d’Anna, son regard sur elle. « Et après votre silence de dimanche, celui d’aujourd’hui… Bon sang, non, je n’aurais pas pu vous laisser avec lui. » Il se fiche bien de parler pendant qu’elle est à genoux, en train de tout rejeter. C’est l’occasion. Il la saisit.

Eneko la suit des yeux, fait un pas en arrière lorsqu’elle sort de la cabine, attend, patiemment, non, impatiemment, toujours lorsqu’il est question d’eux, d’elle, qu’elle prenne la parole, lui réponde et ça arrive. Maona ne baisse pas les yeux, lui tient tête, comme la dernière fois, dans la chambre d’hôtel, mais cette fois-ci, ce ne sont pas que quelques mots, ce sont des phrases entières, énumérant les points qui la blessent, comme le fait qu’il la garde avec eux, juste pour les avoir sous sa surveillance. C’est ça, en fait, le problème. Son manque de confiance en elle, en lui aussi. Et alors qu’il pense que c’est terminé, qu’il peut répondre quelque chose, Maona reprend. Sa colère, pourtant si dense, retombe un peu, laissant place à la panique. Celle de la voir s’éloigner, de la perdre, tout simplement. De perdre ce qu’ils ont, de devoir laisser derrière eux tout ce qu’ils se sont dit et c’est en train d’arriver, là, sous ses yeux. Elle est épuisée, baisse les bras qu’il aimerait pouvoir relever d’un coup, mais cette fois-ci, il est convaincu que quelques mots et quelques gestes ne suffiront pas pour la revigorer. Il l’écoute, sans broncher, sans la couper une seule fois, même lorsqu’une petite pause survient. Ces derniers mots le font réagir. « Ce sont ses plats tout préparés qui vous font dire que vous ne lui arrivez pas à la cheville ? Enfin, Mao. Je me fiche bien qu’elle sache préparer des plats gastronomiques ! Ca m’est complètement égal. Réfléchissez. Si je pensais ça de vous, je ne vous aurais jamais proposé de vous joindre à moi à Lyon. Je ne vous aurais jamais dit tout ce que je vous ai confié. Je ne m’emporterai pas de la sorte en vous voyant avec un autre, c’est bien parce que je pense que vous en valez la peine. Regardez donc avec qui je suis, là, alors que ma femme est à quelques bureaux de là ! Vous croyez vraiment que j’irai prendre ce risque si mon mariage comptait bien plus ? » Il ne compte plus, mais il peut comprendre, avec tous les hommes mariés qui aiment leur confort et qui n’hésitent pas à aller voir ailleurs, à promettre des choses aux femmes qu’ils côtoient à côté, qu’elle peut douter, d’elle, de lui, de tout finalement. Mais il est évident que c’est avec elle qu’il a envie de recoller les morceaux, mais pour ça, il se doit d’être honnête. « Je ne vous fait pas confiance. » Admet-il. « Je n’ai aucun pouvoir sur vous. Officiellement, Maona, je ne suis rien dans votre vie. Seulement votre patron de stage, que vous ne croisez pas beaucoup, il semblerait. Et j’ai beau vous avoir demandé de m’appartenir, vous avez beau m’avoir répondu que c’était le cas, je ne suis pas à l’abri d’une fuite. C’est ce que vous avez fait, en m’évitant, en ne me répondant pas. » dit-il, en essayant d’être le plus posé possible, pour éviter d’attirer l’attention ici. « Je suis marié, encore. Ma situation est délicate. Quelle garantie je peux avoir ? Gaël est célibataire, il passe du temps en votre compagnie, vous lui plaisez, c’est un séducteur. Qui me dit que vous ne vous réveillerez pas un matin en ouvrant les yeux, en vous disant qu’en effet, vous n’avez pas vu l’homme qui se trouvait juste sous vos yeux ? » Gaël est un homme bon. Intelligent, il est drôle qui plus est. Et il se prend moins la tête que lui, laisse plus de liberté. Certainement qu’il saura donner tout ce qu’attend une femme. « Laissez-moi un peu de temps. Je vous en prie, ne partez pas. » Eneko se risque à s’avancer, prendre l’une de ses mains dans la sienne, un contact pour se raccrocher à quelqu’un qu’il est en train de perdre, il le sent.

« J’ai constamment l’impression que vous allez m’abandonner. » C’est une crainte, c’est plus fort que lui, il n’arrive pas à se mettre en tête qu’elle pourrait rester et même après ça, il n’en est pas soulagé. « Comme vous, sans doute. » Si lui appréhende qu’elle disparaisse avec un homme à qui elle se serait attachée, peut-être en peu de temps, comme avec lui, il a conscience que pour Mao, ça ne doit pas être facile à gérer non plus et elle le confirme avec ses souhaits. Eneko acquiesce d’un signe de la tête, ne trouvant rien à redire à ça. Il comprend. Il aurait dû respecter ça plus tôt, réfléchir, plutôt que de s’emporter. « Je comprends. Je m’arrangerai pour que ça ne se reproduise plus. » Il n’est pas à l’abri de recevoir une visite d’Anna, si elle souhaite venir. Il n’en sait rien. S’il pouvait éviter, ce serait bien. Sa présence ne le met pas à l’aise, lui donne l’impression d’être épié, de ne pas être libre, jusque dans son travail. Anna souhaite bien faire, elle a ses raisons d’agir de la sorte, mais il aimerait que ça se termine. Il entend, écoute de nouveau, sans l’interrompre, notant le moindre de ses mots dans sa tête, touché, encore une fois, par ce qu’elle lui souffle, par ce baiser qu’elle dépose sur sa main, avant de revenir sur ce silence qui l’a inquiété. « C’était tellement… Imprévu. Je ne m’y attendais vraiment pas. Je n’ai pas su comment agir, en la voyant à l’aéroport. » Elle n’était pas censée être là, à l’attendre. Elle ne l’a même pas prévenu qu’elle venait, comme si elle savait, comme si elle se doutait qu’il n’était pas seul et qu’elle souhaitait le prendre sur le fait. Aujourd’hui encore, avec sa visite sans aucun message pour le prévenir. Ca n’arrive jamais, habituellement et là, elle choisit bien ses moments. Les femmes ont une bonne intuition, c’est bien connu, mais il espère que ce n’est pas le cas, que c’est juste dû à la visite de sa mère, peut-être bien. « Je me suis vraiment inquiété. Je culpabilise de vous avoir plantée comme ça. » Il remonte sa main le long de son bras, enroule une mèche de cheveux autour de son index. « C’est fou à quel point je fais tout de travers, avec vous. » Là encore, il l’admet, parce que c’est le cas. « Vous m’apportez beaucoup, Mao. Beaucoup. Je n’ai pas envie de perdre tout ça et quand je vois Gaël s’approcher de vous, c’est plus fort que moi, je me sens en danger. » Il ne devrait pas, avec tout ce qu’elle vient de lui souffler. Eneko devrait lâcher du lest, c’est ce qu’il se dit, lorsqu’il voit dans quel état il la mise. « Je sais que ce que vous avez vu dans le bureau a été douloureux, j’en suis désolé. » Comme si ses gestes pouvaient avoir plus d’impact que ses mots, il tire sur sa main et la ramène contre lui, l’encerclant de ses bras. « Il n’y a plus rien entre elle et moi et il n’y aura plus jamais rien. Je vais lui reparler des papiers du divorce, ce soir. Je vais insister, longuement. » Ce n’est probablement pas le bon moment, avec sa mère dans les coins, mais… S’ils peuvent avoir une vraie conversation ce soir, il ne dirait pas non. Surtout parce qu’il est convaincu que là, ça, ce qu’ils viennent de traverser, c’est la goutte d’eau. « Je tiens vraiment à vous. Je n’ai pas envie de vous perdre, vous comptez vraiment, même si je suis très maladroit pour le montrer, même si je n’agis pas comme il faudrait. Croyez-moi, vous êtes importante à mes yeux. Je ne vous lâcherai pas. » Pourtant, il le doit, là. Ce serait plus judicieux, mais il n’a pas la moindre envie de retourner dans son bureau pour faire face à Anna, pas alors qu’il tient Maona dans ses bras. « Je vous présente mes excuses pour mon comportement. » Une deuxième fois, en peu de temps. Ca aussi, c’est nouveau, de demander pardon, lui qui est si fier, qui laisse les autres revenir, habituellement.

« Une demi-heure ? » Répète-t-il, culpabilisant encore plus. Il imagine la torture que ça a dû être, n’aime pas l’idée qu’elle ait pu attendre aussi longtemps. Et son père. Qu’est-ce qu’il a dû en penser de voir sa fille comme ça ? Eneko secoue la tête, se sentant mal en repensant à ce week-end qui s’est mal clôturé. Un sourire se glisse sur son visage, il est faible, mais il est là. « J’entends Mao, ça ne se reproduira plus. Vous n’aurez pas à endurer ça une deuxième fois, je ne vous ferai pas le coup deux fois. » Sa remarque suivante, sur Gaël, l’amuse, déclenche un rire, le premier de la journée. Elle aussi, a remarqué ce détail chez Gaël. Il a des yeux pour voir, alors il profite de ça pour observer les filles, même si ça ne lui plaît pas toujours, dû au fait qu’il s’attarde sur les fesses de sa petite blonde. « C’est Gaël. A part ça, il est adorable, c’est quelqu’un sur qui vous pouvez compter, il vous répondra. » Ca fait près de quinze ans qu’ils se connaissent, tous les deux, alors ce compliment qu’il lui fait, c’en est même pas un, c’est un fait. Le jour où il finira par apprendre que Maona est chassée gardée, il sait qu’il arrêtera de zieuter constamment sur elle. Par respect pour Eneko, parce qu’ils sont amis, parce que leur amitié compte, mais en attendant, il n’est pas au courant et il va bien falloir qu’il se fasse à l’idée que Gaël puisse lorgner sur celle qui l’attire, chose moins simple à faire. Il a un véritable travail à faire sur lui. Lorsqu’elle lève les yeux vers lui, il ajoute : « Mais oui, vous méritez mieux. » Quelqu’un qui n’en a que pour elle, qui ne voit pas les autres, voilà ce qu’elle mérite. Eneko ne voit qu’elle, mais il est loin d’être parfait. « C’est ça. Elle reste toute la semaine. Une plaie, je vous jure. Enfin elle est gentille, mais c’est difficile de faire comme si tout allait bien. » Anna ne lui a parlé de rien et peut-être que c’est le moment de le faire, il n’en sait trop rien. Il y réfléchit. Peut-être que lorsqu’il en parlera avec Anna, elle saura l’aiguiller un peu. Ou peut-être pas. « Vous avez intérêt à ne pas partir. Je suis convaincu que ça pourrait être intense, ensemble. » Encore bien plus que ce qui se passe déjà là. Sans quelques inconvénients. Avec des avantages en plus, comme pouvoir sentir ses mains sur son visage, comme à l’instant, ailleurs que dans les toilettes pour femmes, dans des endroits où il pourrait y avoir du passage. Plus détendu, il profite du baiser qu’elle lui offre, en veut toujours plus. Ca le soulage, lui retire une épine du pied. Ca lui avait manqué, de ne pas pouvoir se rapprocher d’elle de la sorte. « J’essaierai de m’en souvenir, je vous le promets. » A contre cœur, il se défait de son petit corps, sachant très bien qu’elle a raison, qu’il va falloir y retourner. Il ne lâche pour autant pas sa main et accueille de nouveau ses lèvres, dans un sourire, répondant au sien qu’il préfère voir sur son visage. « C’est difficile à dire. Demain, pendant une pause, on pourrait se voir, déjà et je peux m’arranger pour me libérer un soir, dans la semaine. Je vous tiens au courant de tout ça. Gardez votre portable non loin de vous. Ca peut être un bon moyen de communiquer, en attendant. » Il dépose un dernier baiser sur ses lèvres, puis place sa main sur le bas de son dos, la guidant jusqu’à l’extérieur des toilettes où il tombe nez à nez avec Anna qui s’arrête face à eux, la bouche entrouverte. « Ca va ? On commençait à s’inquiéter. » On, parce qu’il y a Gaël qui arrive derrière Anna. Eneko acquiesce d’un signe de tête. « Maona ne se sent pas très bien, elle va rentrer chez elle. » dit-il, en croisant le regard de Maona. Il sait qu’elle ne peut pas voir Anna, alors il prend cette option qui s’offre à lui, qui est plus facile. « Gaël. Tu peux la raccompagner s’il te plaît et t’assurer que ça aille bien lorsque tu la déposeras chez elle ? » Gaël affiche un sourire et sans hésiter, hoche la tête. Maona a besoin qu’il lui fasse confiance et c’est justement ce qu’il essaie de faire, même si ça lui coûte de demander à son ami. « Prenez soin de vous. On se revoit demain, si vous allez mieux. » Il s’accroche à son dos, le seul contact qu’il a, puis est obligé de retirer sa main de celui-ci, rejoignant Anna qu’il incite à s’éloigner, laissant Gaël avec Maona, l’entendant déjà lui demander comment elle se porte.