une petite surprise - shane

Alizée avait travaillé toute la nuit. Elle était entrée à l'hôpital hier à quatre heures de l'après-midi et elle était rentrée chez elle à cinq heures ce matin. Elle était donc vidée de toute énergie et une fois vis-à-vis de son lit, elle s'y laissa tomber, et ce, sans même prendre le temps de se changer ou de se démaquiller. Elle dormit presque neuve heures durant. La jeune femme se croyait encore en salle d'opérations lorsqu'elle se réveilla en sursaut. Incapable de se rendormir, elle sortit de son lit et étira les rideaux de sa chambre. Une clarté comme elle n'en avait pas vue depuis une semaine l'éblouit alors : le soleil était enfin de retour. Le sourire aux lèvres, elle se dirigea sans plus tarder vers la salle de bain où elle y brossa ses dents et y prit une douche. Un quart d'heure plus tard, Alizée était de nouveau dans sa chambre. Elle prit le temps de lisser ses cheveux, de se maquiller légèrement et de se vêtir d'une robe d'été aux teints bleus. Une fois prête à quitter son appartement, elle partit à la marche en direction du lycée André Malraux, l'endroit de travail de son petit ami. Elle espérait qu'il n'ait pas quitté les lieux trop tôt, car elle voulait l'inviter à manger dans un restaurant en bord de plage. Le temps était resplendissant et la brune profitait de chacun de ses pas pour respirer l'air frais. Cette semaine, elle avait remplacé une de ses collègues et elle s'était épuisée au travail. Elle était bien heureuse d'avoir enfin deux belles journées de congé devant elle. Alizée arriva à destination en moins de dix minutes. Elle poussa les grandes portes d'entrée et parcourut les allées des grands corridors. Quelques souvenir de ses années au lycée lui revinrent alors à l'esprit, mais elle les chassa aussitôt. Son adolescence n'avait, après tout, rien de tellement joyeux. Elle était perdue lorsqu'elle se fit bousculer par une lycéenne aux longs cheveux châtains. L'infirmière lui dit de faire attention et eut en guise de réponse un regard qui voulait en dire long. Insultée, elle fit pourtant semblant de rien et s'informa de son chemin au premier professeur qu'elle vit. Une fois devant la porte de classe de Shane, elle cogna trois coups avant d'y entrer et d’y apercevoir la lycéenne qui venait de la bousculer et de la dévisager. Alizée n'en crut pas ses yeux lorsqu'elle la vit en train de draguer de toute sa poitrine son petit ami. Mal à l'aise, elle recula et se cogna la tête contre le ciment. Elle se racla ensuite la gorge et dit à Shane :  « Je voulais te faire une surprise, mais je vois que tu es occupé. Je vais m'en aller ! » Sur ce, Alizée tourna les talons et prit la direction de la sortie.

Un autre jour au lycée, et une nouvelle fois un élan de satisfaction de voir certains élèves progresser à allure folle. Il n’a pourtant pas l’impression de faire grand-chose, mais la plupart des lycéens ont l’air content de se rendre dans sa classe. Certains lui donnent même du travail en plus en lui demandant de corriger ce qu’ils écrivent chez eux pour leur compte personnel. Ca le rend fier. Shane n’aurait jamais cru apprécier à un tel point son boulot et pourtant, il n’est en rien en relation avec le rugby. Quoi qu’il en soit, il avait une nouvelle fois rendu des copies aux élèves de seconde, et s’était amusé à lire les pires fautes de chacune des rédactions, faisant participer les élèves en leur promettant un demi-point en plus pour leur devoir s’ils trouvaient la faute. Evidemment, il avait gardé l’anonymat des copies pour éviter de mettre les élèves dans l’embarras. La séance s’était bien déroulée et dix minutes avant la fin du cours, il avait voulu tester les connaissances des élèves en leur proposant des parties d’hymnes anglophones pour déterminer à quels pays ils appartenaient. Aussi drôle que cela puisse paraitre, ils avaient tout de suite deviné l’hymne irlandais sur ‘Together, standing tall.’ Et puis la sonnerie avait retenti et ils avaient tous ramassé leurs affaires quittant la salle alors que Shane essuyait le tableau. Il croyait être seul quand il détourna le regard, trouvant une élève d’une autre seconde qu’il avait eue un peu plus tôt dans la matinée. Cette fille, elle le suivait comme son ombre, elle lui faisait des avances, et si ça le gênait, il refusait de s’embarquer dans une embrouille qui pourrait lui faire perdre son job, alors il restait courtois. La jeune fille qui au passage avait pris soin de se remettre en valeur depuis son heure de cours, avait sa copie à la main et demandait au professeur d’anglais s’il ne s’était pas trompé en corrigeant sa copie. Surpris parce qu’il savait bien qu’il était irréprochable puisqu’il relisait à chaque fois les copies trois fois avant de mettre une note finale, il l’invita quand même à s’approcher, ce qui était bien trop beau pour elle. Posant la copie sur la table, il se pencha dessus pour la lire tandis que la jeune femme se penchait également, non pas pour regarder sa copie mais pour offrir une vue plus appréciable à Shane, pourtant trop occupé à relire la copie. Arrivé au bout, il ne voyait toujours pas d’erreur, et il prit le temps de l’expliquer à l’élève : « Non, j’ai bien relu et il n’y a aucune erreur. » Mais maintenant que son regard était posé sur elle, elle minauda encore en lui demandant s’il était sûr. C’est alors qu’une voix féminine se racla la gorge et la voix outrée d’Alizée résonna dans la pièce. Ouvrant la bouche pris de court, il laissa en plan la copie et la lycéenne, lui expliquant qu’ils verraient ça au début du cours prochain, rattrapant Alizée en courant dans le couloir. « Ali’ ! Je vérifiais juste une copie, l’élève m’assurait que j’avais fait une erreur… » Lui saisissant la main doucement, il l’attira contre lui et la regarda tendrement : « Je suis content que tu sois là ! Comment s’est passée ta garde ? » Il avait beau être entouré de monde, il se fichait bien de s’afficher, parce qu’elle le rendait heureux et il était hors de question qu’elle croit un instant qu’il y en avait une autre dans sa vie. « Tu boudes ? » demanda-t-il dans une moue à moitié amusée, à moitié triste. Il ne la laisserait pas lui en vouloir bien longtemps.

La vie n'offrait pas les mêmes chances à tout le monde et Alizée avait grandi dans une famille non seulement pauvre mais aussi peu aimante. Il est parfois difficile de se rendre compte à quel point les événements du passé influencent sur les comportements de l'avenir, mais dans le cas de la jeune femme, il était évident que le manque d'affection avait engendré un manque de confiance en soi. L'infirmière avait beau dégager une forte personnalité, au fond, elle doutait constamment d'elle. Alizée avait senti ses joues devenir d'un rouge vif en quittant la classe de Shane. Son cœur s'était serré à la vue de cette jeune et séduisante étudiante et la peur soudaine de perdre son petit ami l'avait giflée en plein visage. Il fallait qu'elle se calme, mais il n'y parvenait pas et les pensées négatives surgissaient en quantité industrielle dans son esprit. Tout en mordillant sa lèvre inférieure, elle se remémora le départ de son père et celui de son frère. Le souvenir de son premier amour la trompant avec sa meilleure amie vint ensuite la hanter, suivit de son ancien petit ami violent. Comment faire confiance à quelqu'un après tous ces abandons, toutes ces trahisons, toutes ces mauvaises intentions ? Tout doucement, elle sentit son corps se tourner vers l'arrière : Shane, en lui prenait la main, l'avait rapprochée de lui. Alizée sortit du tourbillon d'anxiété dans lequel elle se trouvait et reprit contact avec la réalité. « Cette fille voulait surtout te montrer sa poitrine, pas sa copie ! » Le ton un peu trop fort, elle se fit regarder de travers par un monsieur âgé. Elle baissa le ton de sa voix d'un cran, car même frustrée, elle ne voulait pas attirer d'ennuis à Shane. « J'étais une terrible lycéenne, mais jamais je n'aurai osé de draguer un professeur. Il y a des limites quand même ! À quoi elle s'attend ? Que tu lui sautes dessus ? Je vais lui sauter dessus, moi, tu vas voir ! » La brune poussa un soupire et obligea tous les membres de son corps à se détendre. Elle faisait un gros plat pour rien et elle le savait, mais c'était plus fort qu'elle. Aussi elle ne répondit pas à petit ami lorsque celui-ci tenta de changer de sujet. « Je ne boude pas. » Elle boudait, et pas qu'un peu. Elle était terriblement déçue, car tout son plan pour le surprendre et l'inviter manger dans un endroit romantique était tombé à l'eau.  

Il peut comprendre qu’Alizée ait des craintes. Shane, il sait qu’elle a souffert par le passé et il ne veut en rien la blesser. C’est pour ça qu’il a pris son temps avec elle. C’est pour ça qu’il a multiplié les sorties, pendant de longs mois, sans jamais lui dire quoi que ce soit sur la teneur de ses sentiments. Pendant de longues semaines, il avait hésité à lui dire qu’il voulait franchir un cap, qu’il l’appréciait, qu’il l’aimait. Jusqu’à ce fameux soir où finalement il l’avait embrassée. Avec Alizée, il se sentait bien, il n’y avait aucune prise de tête. Il aimait sa fragilité parce qu’il pouvait la protéger. Il aimait son sourire, parce qu’il avait l’impression de la rendre heureuse. Il aimait ses doutes parce que cela prouvait qu’elle tenait à lui. Elle faisait partie de son bonheur, elle lui était indispensable. La voir se torturer parce qu’elle pensait qu’il puisse être intéressé par une autre. Mais il ne voyait qu’elle, elle occupait tout son espace vital, elle était sa bouffée d’oxygène. Comment pouvait-elle penser qu’il avait quelque chose à faire d’une mineure, aussi bien foutue soit-elle ? Calmement, il voulut la rassurer en se justifiant. « Et je n’étais intéressé que par sa copie ! » C’était vrai. Pas une fois son regard n’avait bifurqué de la copie ou du visage de l’élève. Shane n’avait jamais été de ceux qui trompent, abusent de la confiance de la femme qui partage sa vie. C’était Deirdre qui avait mis fin à leur relation quand il lui avait fait part de son départ pour la France. Avec Rebeka, ils s’étaient séparés d’un commun accord. Et puis il y avait eu Alizée, le renouveau, le bonheur, le vrai. Prenant le visage de sa petite-amie entre ses mains, approchant son visage du sien. Caressant du bout des doigts les joues de la petite Française, il lui souffle : « Pourquoi tu t’inquiètes ? J’ai déjà une femme merveilleuse dans ma vie.  » Une jolie infirmière loin de l’enfant terrible qu’elle avait été, qui s’occupait brillamment de ses patients en soins intensifs. Elle avait beau faire la tête, ça la rendait encore plus adorable, attendrissante. Lui souriant de plus belle, s’amusant de sa jalousie, il la regardait tendrement : « T’es sûre ? Moi je crois que si… » Shane l’aimait. Il n’avait pas de problème avec son passé, il ne la rejetterait jamais pour ce qu’elle avait été. Il avait envie de la voir sourire, sous le beau soleil de Biarritz en cette belle journée. « Tu viens, on va passer une belle journée ensemble ? » Pourquoi pas aller manger au soleil pour ensuite marcher longuement sur la plage, peut-être même plonger leurs pieds dans l’eau fraiche de la côte à admirer les vagues sous la brise des Landes. Sans le savoir, il avait un peu brisé sa surprise, mais il était encore temps de rattraper le coup, n’est-ce pas ? D’ailleurs, il avait une suggestion particulière à lui formuler, il attendait juste le bon moment pour en parler.