keep your smile (elaia)

journée banale. quoique. tu vas devoir te rendre à l'hôpital. pas que t'es malade ... ou quelque chose comme ça. tu te prépares, lentement, parce que t'as pas envie d'aller là-bas, t'as pas envie d'aller faire tes séances de rééducation parce que tu sais qu'ensuite tu vas souffrir le martyre, parce que tu sais qu'ensuite, tu ne vas pas pouvoir marcher. tu vas devoir attendre à l'hôpital jusqu'à ce que tu retrouves l'usage de ta jambe. tu détestes cette situation. tu pourrais simplement appeler quelqu'un, qu'il vienne te chercher, mais non, toi t'es trop indépendant, toi, tu ne veux pas dépendre des autres, toi, tu veux juste ne pas déranger les autres, tu veux les laisser tranquille et souffrir en silence ... ou simplement souffrir tout seul. alors tu passes les portes automatiques, tu regardes à droite, à gauche. tu pourrais faire demi-tour, mais tu sais que le médecin t'appellerait immédiatement. t'en as pas envie. puis il paraît que c'est plutôt une bonne chose, que ça ne peut te faire que du bien. t'en aies pas certain, c'est ton corps qui est en faillite, et ton moral qui est au plus bas. tu entres et tu vas directement dans la salle d'attente. tu attends, patiemment.

tic tac

voilà, tu as mal, tu es tétanisé, tu peux à peine marcher. le médecin te demande s'il doit appeler quelqu'un pour toi. tu le toises pendant qu'il t'aide à t'asseoir sur une chaise de la salle d'attente. maintenant, tu dois attendre, attendre que la douleur passe. ta tête fond dans tes mains, tes coudes sur tes genoux et t'es juste au bout du rouleau. t'as juste envie de disparaître, t'as juste envie que cette douleur te lâche, te laisse tranquille, une bonne fois pour toute. c'est pas possible ...

Ce cirque dure depuis six moi. Ce n’est pas tous les jours, mais presque. Quand je marche, ma jambe réagit à peine. Si je n’ai pas ma béquille, je suis incapable de marcher. J’ai l’impression d’avoir un bout de bois à la place de mes muscles. J’en ai marre. Je veux pouvoir courir jusqu’à ne plus respirer, sauter comme une dingue juste parce que j’ai trop bu, danser dans les bras d’un bel inconnu.

Je regarde l’heure. Eh merde, je suis en retard. En fait, je suis souvent en retard pour ce rendez-vous. C’est simplement parce que je n’ai pas envie d’y aller. J’ai toujours l’espoir de me lever un matin avec une jambe normale, comme il y a six mois. J’arrive à reculons. Je m’assois à côté des autres, dans la salle d’attente. Tous des problèmes différents. Et moi, comme une conne, je me suis infligé ça tout seule. Le kiné arrive. Il me fait travailler ma jambe droite, comme d’habitude. J’ai envie d’hurler tellement la douleur est forte. Mais non, je me retiens. Je ne dois pas flancher. Je souffre en silence, comme on dit.

L’heure est passée. Une heure. Il m’a fait souffrir une heure. J’aurais tellement envie de lui faire ressentir cette douleur qu’il fait surgir. Mais je dois me calmer. Il est là pour me soigner, pour m’aider à réparer ma connerie. Je m’assois. Je retiens les larmes qui montent. Je remarque un homme à côté de moi. Il semble souffrir, lui aussi. C’est quand même dingue ! On est jeune, on a toute la vie devant nous et pourtant, on souffre le martyr en espérant que tout s’arrange. Le monde est cruel. Le monde est injuste. Je me risque à lui parler. Qu’il réponde ou non, qu’importe. Je ne lui en voudrais pas. Je pose ma main sur son épaule. « Est-ce que ça va ? »

tu sens une main se poser sur ton épaule, tu lèves doucement le regard qui tombe dans celui d'une brune. « Est-ce que ça va ? » qu'elle te demande. tu plonges ton regard dans le sien. elle a les yeux brillants, les yeux brillants de tristesse, certainement le reflet de toi-même. alors tu restes quelques instants sans rien dire, ne sachant quoi répondre. par habitude, tu aurais tendance à répondre que oui, tout va bien dans le meilleur des mondes, sauf que là ... la douleur est trop intense pour dire oui. t'es trop faible pour garder la tête haute. je .. euh ... je non pas vraiment. que tu commences par dire simplement sans la lâcher du regard. tu poses ta main sur ta jambe, celle qui est douloureuse, la droite et tu hausses les épaules. je supporte ... que vous non plus je ... je ne suis pas de très bonne compagnie quand je sors de la rééducation, je suis désolé. non, t'es pas très bavard, t'es même plutôt triste et .. et tu t'en rends compte, c'est déjà ça non ? de s'en rendre compte que t'es pas de bonne compagnie, de te rendre compte que tu retombes doucement dans ces vieux travers qui étaient une habitude quand tu allais mal. tu pouvais presque devenir méchant, mais là, tu étais bien trop au fond du trou pour avoir une once de méchanceté. tu ressemblais plus à un animal blessé, un petit animal délaissé sur le côté comme une petite chose qui ne mérite aucune attention. c'était toi. et vous ? parce que je suppose, mais je n'en ai pas vraiment le droit ... vous êtes là pour quoi vous ? peut-être que te confier avec quelqu'un qui vit la même pourrait être de bonne augure pour toi.

Sa sincérité est telle que j’ai mal. Je n’ai pas mal pour moi. J’ai mal pour lui. Pourtant, je ne le connais pas. Je ne sais pas si on vit la même douleur. Mais on vit tous les deux avec une putain de douleur qui nous ronge. Je ne pense plus à moi. Je suis d’une grande compassion. Et parfois, j’en oublie ma propre vie, ma propre blessure. J’esquisse un sourire. T’en fais pas, tu peux m’envoyer me promener si tu veux, je ne t’en voudrais pas. Non, lui dire ça ne serait pas l’aider. Parce que oui, j’ai envie de l’aider. Enfin c’est un bien grand mot. J’ai surtout envie de lui tenir compagnie, de l’accompagner avec cette douleur qui m’est familière. Est-ce que c’est mal ? Je ne sais pas. Mais pour ma part, j’aimerais qu’il y ait quelqu’un pour me réconforter chaque fois que je souffre. Pas n’importe qui. Quelqu’un qui puisse comprendre. J’aurais envie de le prendre dans mes bras. Je me retiens. Il va me prendre pour une folle. Et puis, j’ai un minimum de self-control. « Je sais ce que c’est. Je ne sais pas si j’ai la même douleur, mais je comprends ce que vous vivez. On souffre le martyr, dans l’espoir de voir des améliorations. » Je ne le lâche pas du regard. « Nous ne devons pas devenir esclaves de nos putains de douleurs ! » C’est le cœur qui parle. Le désespoir aussi. Mais l’espoir également. C’est tout à la fois, en fait.

Je regarde sa main se poser sur sa jambe droite. C’est après ce qu’il me demande ce qui m’amène ici. « La même jambe que vous. J’ai pris une balle. C’était il y a six mois. » Cette fois, mon regard se perd dans le vide. Les images de la guerre défilent dans ma tête. Les images de ce jour où j’ai complètement craqué. Je sens une larme couler sur ma joue. Puis une deuxième. Je dois me ressaisir. Je prends quelques secondes pour reprendre mes esprits. Les jours de rééducation sont compliqués tant physiquement que mentalement. Je suis obligée de revivre cette journée. La douleur me ramène à cette journée. Je le regarde à nouveau. « Et vous ? »

Elle est là, à côté de toi, et tu aurais presque envie de lui raconter, tu aurais presque envie qu'elle prenne soin de toi, qu'elle t'écoute sans rechigner. qu'elle t'écoute et te comprenne surtout puisque elle aussi ... si elle se retrouve ici c'est ce ce n'est pas pour rien. ce n'est pas pour une petite entorse ou quelque chose de ce genre. tu le sais. tu le sens. tu peux même le lire dans ses yeux. « Je sais ce que c’est. Je ne sais pas si j’ai la même douleur, mais je comprends ce que vous vivez. On souffre le martyr, dans l’espoir de voir des améliorations. Nous ne devons pas devenir esclaves de nos putains de douleurs ! » l'espoir, c'est ce qui te manque à toi, l'espoir de voir des améliorations parce que c'est juste de pire en pire. la douleur est de plus en plus intense et t'as l'impression de régresser, de jours en jours jusqu'à ce que le jour arrive, ce jour que tu redoutes tant ce jour où plus rien ne fonctionnera, ce jour où tu pourras juste plier facile sans rien dire. sans contester parce que tu n'en auras pas le choix. « La même jambe que vous. J’ai pris une balle. C’était il y a six mois. » qu'elle te dit alors. tu restes quelques secondes sans rien dire. elle a vécu un truc traumatisant elle. « Et vous ? » tu tournes doucement le regard vers elle, tu la scrutes, ça n'a rien de si traumatisant comparé à elle. ce n'est pas si .. .si grave, quoique tu aurais pu y laisser la vie. finalement. tu aurais pu mourir là-bas. je ... j'ai été trop sûr de moi. je surfais, je me suis fait emporté sur les rochers et ... et voilà. que tu conclus en enlevant ta main de cette jambe pourrie, de cette jambe qui t'empêche de vivre comme tu l'entends, de cette jambe que tu as juste envie d'arracher de temps en temps. tu ne peux rien y faire. tu ne peux rien faire avec elle. je suis paralysé, de temps en temps ... et ... enfin, ça ne doit pas être aussi horrible que vous. une balle quand même ... la guerre ? que tu finis par demander, plutôt curieux.

Un accident de surf. J’ai le sentiment d’être touchée encore plus. Je surfais, moi aussi. Avant. Avant de m’enlever moi-même l’usage de ma jambe. Je ne me suis jamais rendue compte du danger de ce sport. C’est bizarre, mais la peur m’envahie après qu’il me dise ça. Je n’ai pourtant jamais eu peur sur les vagues. J’ai peur d’y retourner, et de me blesser davantage. Non, je ne dois pas penser à ça. De toute façon, ce n’est pas demain la veille que je vais retourner sur une planche, surfant sur les vagues. Je ne peux pas m’empêcher d’attraper sa main. Je suis quelqu’un de plutôt tactile, et je ne contrôle pas les gestes d’attention comme celui-ci. Je ne pense même pas que ça puisse le gêner, je ne pense pas à retirer ma main. Je veux le soutenir. Et au fond, j’espère qu’il me soutienne aussi.

J’esquive son regard quand il prononce le mot « guerre ». Les larmes montent. Je les sens couler sur mes joues. « La guerre détruit tout sur son passage. » Je relève la tête pour croiser son regard. La guerre, c’est un quotidien pour un militaire. Et pourtant, après plusieurs années de service, je ne m’y suis jamais habituée. J’en fais encore des cauchemars, toutes les nuits. Sur le terrain, on doit toujours avoir une arme à côté de nous. La nuit, on dort d’un seul œil. On doit prendre des forces et se reposer. On est obligés de se faire confiance, de se fier à ceux qui montent la garde. Je frissonne en repensant à tout ça. Je prends une grande inspiration. Mes yeux sont toujours plongés dans les siens. « Je me suis tirée dans la jambe. » Le barrage entre mon cerveau et ma bouche doit être complètement détruit pour que je dise ça à un inconnu. « Personne ne le sait. Vous devez garder mon secret ! » Les yeux pleins de larmes, je ne cesse de le regarder. Je me sens mal, mais aussi soulagée d’avoir dit ça.

« La guerre détruit tout sur son passage. » tu vois ses larmes, couler lentement sur son visage. tu vois les précieuses s'échapper de leur tanière pour défiler le long de son doux visage. elles ne s'arrêtent pas, elles s'écoulent avant de finalement suivre les traits de son visage. t'as envie de la consoler, mais tu ne sais pas comment t'y prendre, tu ne sais pas comment faire. tu ne peux pas comprendre ce qu'elle a vécu alors tu bouges simplement ta main. elle vient doucement se poser sur la jambe de la demoiselle pour lui montrer que tu es là. pour lui prouver qu'elle est là, elle aussi, qu'elle n'est plus là-bas. « Je me suis tirée dans la jambe. » son regard dans le tien, tu ne t'attendais pas à une telle révélation, tu ne t'attendais pas à ce qu'elle te délivre tout ça, qu'elle te l'annonce ainsi, de but en blanc. tu l'observes, tu ne sais pas quoi penser de cette révélation. « Personne ne le sait. Vous devez garder mon secret ! » tu hoches doucement la tête, de haut en bas pour lui confirmer que tu ne diras rien. je ne dirai rien, ne vous inquiétez pas, je n'irai pas le révéler ... je ... j'imagine que vous avez fait ça pour vous sortir de l'horreur et je comprends. je comprends vos motivations, ce doit être encore plus douloureux d'être aussi responsable je ... je suis désolé. que tu finis par souffler en pressant un peu sa jambe entre ses doigts. je peux vous dire mon secret, mais il n'est définitivement pas à la hauteur du votre ... je suis interdit de surf, je suis interdit de montrer sur une planche, et je continue. je mens à mon entourage sur mon état de santé, parce que je ne veux pas les inquiéter. ils n'ont pas besoin de subir tout ça. que tu te confies à ton tour. ça fait du bien, de parler, de parler avec quelqu'un qui peut vous comprendre. simplement.

Je le regarde. Nos yeux humides ne se lâchent pas. Et ce qui est tellement agréable, c’est qu’on n’a aucune pitié l’un envers l’autre. On parle juste, on partage. On partage sur cette douleur qu’on ne doit pas laisser nous détruire. J’ai du mal à vivre le regard des gens que je peux croiser n’importe où. Ces gens qui me voient boiter, et qui se demandent comment je me suis fait ça, si je marcherais normalement un jour. Alors quand je croise le regard de ces gens, je fuis presque aussitôt. Et parfois, je rencontre des gens qui sont incapables de me juger, ou qui ne le peuvent pas. C’est seulement à ceux-là que j’accepte de dire ce qui m’est arrivé. Evidemment, rares sont ceux qui savent que je me suis moi-même infligé cette souffrance. Ce n’est qu’un détail, sans importance.

Je prends sa main. Je sers ses doigts entre les miens. Je suis surfeuse, moi aussi. Alors je comprends son besoin de ne pas lâcher. Pourtant, je l’ai fait. Je ne suis pas retourner sur les vagues depuis bien longtemps. En même temps, ça faisait un long moment que je n’étais pas rentrée. Et il faut dire que mon retour ne s’est pas fait dans les circonstances idéales pour aller surfer. « Je vous comprends. C’est un besoin vital. » Je m’arrête de parler pour esquisser un sourire. « Je n’ai pas encore osé retourner dans l’eau. J’ai peur. Mais je ne sais pas de quoi. » Je lâche son regard, pour la première fois depuis quelques minutes. « C’est vraiment ridicule ! » Je ne pensais pas le dire tout haut mais trop tard, c’est dit. Je me replonge dans mes souvenirs. Le surf a toujours été un moyen de partir vers un autre monde. Et c’est sans aucun doute les meilleurs souvenirs que je garde avec mon père. On pouvait surfer chacun à un bout de la plage, j’ai toujours su qu’il gardait un œil sur moi. C’était la belle époque. L’époque où j’étais insouciante et naïve.

Sa main dans la tienne, ça te rassure, quelque part, ça te fait du bien, de prendre le temps, de te poser, de parler, sans tabou. de partager, sans jugement, c'est inexplicable et pourtant bel et bien présent. tu le sais, tu le sens. c'est une jeune femme courageuse, pour toi, elle est courageuse. Je vous comprends. C’est un besoin vital. Je n’ai pas encore osé retourner dans l’eau. J’ai peur. Mais je ne sais pas de quoi. C’est vraiment ridicule ! » tu lui souris, tendrement en serrant doucement tes doigts contre sa main. si vous voulez, un jour, je pourrai vous y accompagner, vous aider, à remonter sur une planche, même si ce n'est pas pour prendre la vague, même si c'est seulement quelques minutes. ça ne peut pas faire de mal tant que vous ne faites pas comme moi, tant que vous ne surfez pas pour de vrai disons. tu détournes ton regard. oui, tu peux faire ça, oui, tu peux l'aider à dépasser sa peur, parce que tu as réussi, toi, à la dépasser. si ton expérience peut aider, tu ne vas pas cracher dessus, bien au contraire, tu veux la partager et te rendre utile. j'en serai ravi, il y a une époque où je donnais des cours de surf. la belle époque, celle où tout allait bien. celle où tu n'avais pas cette jambe fichue qui gâche absolument toute ta vie. mon médecin veut que je me fasse opérer. mais .. mais j'ai peur de perdre définitivement ma jambe. je préfère qu'elle soit opérationnelle de temps en temps que jamais. que tu finis par confier. c'est vrai, tu as peur de perdre ta jambe, de te retrouver avec une prothèse ou quelque chose de ce genre. parce que tu ne pourras plus faire ce qui te chante, ce que tu veux, ce qui te plait. tu le sais, au fond de toi, que ça ruinerait ta vie, c'est aussi pour ça que tu n'en parles pas autour de toi. Eux, ils te conseilleraient cette opération, parce que d'après le médecin, ce n'est vraiment pas bon ce qui t'arrive.

Je le regarde. « C’est quoi le pire ? La douleur mentale ou la douleur physique ? » Je marque un temps d’arrêt avant de poursuivre. « Moi je pense que c’est la douleur mentale, la plus insupportable. On se bloque, de peur d’avoir mal, et au final, on souffre de ne pas faire ce qui nous plait. » Je tourne la tête. Je me lève. J’ai besoin de marcher un peu, de mettre du poids sur ma jambe. Je n’aime pas être assise, là, en ayant pour le coup l’impression que mes jambes soient vraiment mortes.

Il tourne le regard. Nous sommes deux fugitifs. Nous sommes en fuite contre notre douleur. Je le regarde à nouveau, et lui sourit. « Le surf c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas, non ? » Je laisse échapper un rire léger. Je ris moins en entendant ce qu’il a sur le cœur. Je peux dire que j’ai cette chance, de ne pas risquer de perdre ma jambe. Ma situation ne pourra, selon les médecins, pas être pire qu’elle l’est actuellement. Alors oui, quand je le vois lui, je me dis que je n’ai pas à me plaindre. Je me rassois à ses côtés, en posant ma main sur son épaule. « Je comprends. C’est du 50/50 ? » Je culpabilise. Je me sens égoïste. Ce n’est pas juste. Pour lui, pas pour moi. Lui, il n’a rien demandé. Il se contentait de profiter de la vie, de surfer parce qu’il ne voyait pas sa vie autrement, parce qu’il ne voit pas sa vie autrement. Et moi, comme une idiote, je me suis infligée une balle, au lieu de juste abandonner, de simplement dire j’abandonne ! Ce n’est pas de courage dont j’ai fait preuve, c’est de la lâcheté. Je suis une lâche. Une conne aussi. Parce que pour préférer perdre ma jambe plutôt que de partir à bout de force, j’ai préféré jouer ma vie. Je suis minable.

« C’est quoi le pire ? La douleur mentale ou la douleur physique ? Moi je pense que c’est la douleur mentale, la plus insupportable. On se bloque, de peur d’avoir mal, et au final, on souffre de ne pas faire ce qui nous plait. » tu réfléchis, à ce qu'elle dit, ce qu'elle répond, et tu es d'accord avec elle, quelque part. c'est vrai que c'est le mental qui joue beaucoup, c'est une très grosse partie dans cet enjeu. Sans ce mental, tu serais déjà plus bas que terre, tu le sais, tu le sens c'est ainsi que tu es fait. sans le mental, je pense que je resterai cloîtré chez moi, c'est vrai. après, ce qui m'insupporte le plus, c'est d'avoir mal, de souffrir alors qu'on a l'impression qu'elle va bien. quand on regarde, comme ça, à première vu, il n'y a rien de différent, comparé aux autres. elle se lève, tu la regardes faire pendant que tu ne bouges pas de ton siège, tu ne peux pas, pas pour le moment, pas pour l'instant. dans un petit quart d'heure, ça sera bon, tu pourras gentiment rentrer chez toi, mais pour le moment, tu n'as pas vraiment le choix, il faut que tu restes là, sur cette chaise. « Le surf c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas, non ? » tu souris, devant sa phrase, pour toi, c'est un peu ça alors tu hoches la tête en souriant. simplement. « Je comprends. C’est du 50/50 ? » elle pose sa main sur ton épaule en s'asseyant de nouveau. tu fiches d'ailleurs les épaules, machinalement. quelque chose comme ça, peut-être. mon médecin veut que je subisse une opération, il a peur que ça empire, alors vous voyez le délire. j'ai pas envie de finir avec une prothèse moi. ça serait ruiner ma vie, je le sais, je ne le supporterai pas. c'est impossible. tu refuses, catégoriquement.

Je le regarde, en souriant. C’est un sourire de politesse. Non, de réconfort plutôt. Enfin je ne sais pas vraiment. Je reste, parce que ça me fait du bien de discuter avec lui. Il comprend la douleur. Il comprend. Et ça, c’est important. Parce que les autres, ils disent que ça va s’arranger. Ce sont seulement des belles paroles en l’air, pour faire croire qu’ils savent ce que c’est alors que pas du tout. Cette douleur, elle me gâche la vie. Elle nous gâche la vie. Mais je ne peux pas la laisser gagner. Je ne veux pas. « On se contente de souffrir en silence. »

C’est une décision tellement difficile. Et puis, quand on n’y connait rien, c’est un peu du hasard en fait. C’est vrai : soit il ne se fait pas opérer et il risque de perdre sa jambe, soit il se fait opérer et risque de perdre sa jambe. Je ne sais pas quoi lui dire. A sa place, je ne sais pas ce que je ferais. D’un côté, je m’en veux de ne pas pouvoir lui répondre, de ne pas pouvoir l’aider comme je le voudrais. « Mais si ça empire, vous aurez une prothèse aussi, non ? » Je soupire. « Non, ne répondez pas. Je me mêle de ce qui ne me regarde pas. » Je le regarde de nouveau, après ces quelques mots. « La vie continue… C’est ce qu’ils disent tous. Ils n’ont pas tord. Ils n’ont pas raison non plus. » Je reprends mes esprits vers du positif. Je me mine le moral, et ce n’est pas forcément bon pour moi. « Vous voulez qu’on aille boire un verre ? On sera mieux qu’ici, non ? » D’ordinaire, je ne m’attarde pas ici. Plus tôt je quitte cet endroit, mieux je me porte. Et là, clairement, j’ai envie de partir, de partir sous le soleil de Biarritz.

« On se contente de souffrir en silence. » c'est exactement ça, le mot, la phrase. vous souffrez, en silence. tu souffres en silence, chaque minute de chaque jour. tu ne dis rien, tu serres les dents, tu sers les poings, t'essaies de paraître heureux, de paraître bien, de faire bonne figure. mais c'est dur, tous les jours, c'est dur de résister, dur de ne pas craquer, c'est trop dur même, de garder la tête haute. tu sais que tu craques, quand tu te retrouves chez toi, seul. quand tu te poses, quelques secondes et que tu lâches toute la pression, tout ce qui t'entoure, t'empêche de réellement réfléchir. tu te laisses aller, et tu pleurs. simplement, parce que ça fait du bien, de pleurer, parce que tu as mal. tu as atrocement mal. tu l'as dis, au médecin, que tu avais mal, mais tu as diminuer tes mots, tes dires, tu lui as juste dit que tu avais mal, de temps en temps. c'est faux, complètement faux puisque tu as souvent mal, tout le temps mal.

« Mais si ça empire, vous aurez une prothèse aussi, non ? Non, ne répondez pas. Je me mêle de ce qui ne me regarde pas. » qu'elle demande, rapidement, avant de se retenir, de se retirer. c'est rien, ça fait du bien, d'en parler un peu, au lieu de la cacher à tout le monde mais oui .. oui, c'est ce dont mon médecin m'a parlé. t'en veux pas, de ça, t'en veux pas de prothèse, non, toi tu veux ta jambe, rien que ta jambe, uniquement ta jambe, alors oui, t'as peur, peur de perdre ta jambe. « La vie continue… C’est ce qu’ils disent tous. Ils n’ont pas tord. Ils n’ont pas raison non plus. Vous voulez qu’on aille boire un verre ? On sera mieux qu’ici, non ? » tu lui souris, sagement. elle est gentille. réellement. j'aurai bien accepté, mais j'ai mon meilleur pote qui devrait venir me chercher d'ici moins de cinq minutes. vous savez, dans le style boulet qui ne peut pas réellement marcher et qui ne peut encore moins conduire jusqu'à chez lui. tu te lèves, en lui faisant face, tu la dépasses largement, tu ne t'en rendais pas compte, en étant assis. on se recroisera certainement. malheureusement ? en quelques sortes.

La douleur s’estompe peu à peu. Ou alors c’est psychologique. J’ai moins mal, parce que je ne me concentre pas dessus. Ah le mental. Ce putain de mental. On pourrait croire que ça fait tout mais non, ce n’est pas le cas. Et pourtant, ça joue quand même beaucoup. Je n’aime pas le voir comme ça. Je n’aime pas voir les gens dans cet état. Je le suis moi-même la moitié du temps. Un jour je vais bien. Le lendemain, j’ai l’impression d’être en enfer. Oui, c’est comme ça qu’on pourrait m’appeler. Blanc puis noir. Heureuse puis triste. D’un extrême à l’autre, en fait.

Je pose une dernière fois ma main sur la sienne. Une dernière fois avant qu’on retourne chacun à notre petit quotidien. « Prenez soin de vous. » Je le regarde, les yeux pleins de tendresse. Quand il se lève, je suis surprise de sa taille. En fait, je ne l’avais pas imaginé si grand. Alors je ris spontanément. « Vous m’emmènerez sur les vagues ? » J’ai besoin que quelqu’un m’accompagne. J’ai peur. C’est là que je l’envie. Lui, il n’a pas peur. Lui, il continue parce qu’il aime ça. Sa vie, c’est dans les vagues et rien d’autre. Je le regarde toujours, et me rends compte que je ne connais même pas son nom. Je parle avec lui depuis un moment, sans même savoir comment il s’appelle. « Au fait, je m’appelle Elaia. »

» Elias - I'll make you smile! I promise!
» ELAIA + (embrouilles de rue.)
» (M/LIBRE) Patrick Stump ◊ You make me smile and drool
» Girl's night with Elaia
» (absence) louane, elaia, marko, samuel