(Talya) Autour d'un verre

« Tu pourrais venir en fin de semaine, te libérer du temps pour me voir. » Le téléphone collé contre son oreille, Eneko range son projet en cours dans sa sacoche, pour travailler dessus ce soir, jeter un œil avant la réunion de demain. Même s’il connaît le dossier sur le bout des doigts, qu’il a retravaillé bien des fois sur les croquis, les maquettes, il est tellement stressé par l’appel qu’il a en cours que ça lui fera le plus grand bien. Il est même convaincu qu’il sera encore plus exigeant et qu’il trouvera des points négatifs, comme à chaque fois que la tension monte. Il souffle, agacé. Son père insiste. « Cameron serait heureux de te voir. » Il se crispe à l’entente du prénom de son beau-père. Ce samedi, c’est les cinquante ans de son père. Il n’a pas été présent lors de ses quarante ans, avait la bonne excuse d’être à Paris. Maintenant, il n’a plus aucune excuse pour éviter un tel repas, si ce n’est son travail qui lui prend beaucoup de temps. Il pourrait même inventer un déplacement dans une ville éloignée de celle de Biarritz, qui justifierait son absence. Eneko souhaite éviter Cameron. Rien que son nom le dégoûte, le met en colère, fait vibrer sa haine. « Je me doute. » crache-t-il, en sortant de son entreprise, claquant la porte derrière lui. Eneko ne pense pas à faire un signe à l’hôtesse d’accueil, trop concentré sur le son de la voix de son père qui résonne encore dans ses oreilles. Il insiste de nouveau, avec un sourire qui s’entend au bout du fil et dans un soupir, il acquiesce d’un signe de tête, comme s’il pouvait le voir. « Je vais y penser. » « Tu viendras. » Un autre souffle. Il pense un instant à Mao, à lui proposer de venir, même, mais l’idée qu’elle supporte ça lui est insupportable, même s’il aurait bien besoin de quelqu’un pour supporter le regard de son beau-père. Le fait de l’imaginer, poser ses yeux sur elle finit par trancher. Il ne lui dira rien. « Je viendrai. » dit-il. « Je suis occupé, on se recontacte. » qu’il ajoute, en raccrochant, ne lui laissant pas le temps de lui dire au revoir. Ca tombe bien, il arrive juste devant le bar où il a rendez-vous avec Talya. Il pousse la porte, cherche du regard la brune et affiche un sourire en la voyant, assise à une table. C’est ressourçant de voir une tête connue. Il s’approche, pose une main sur l’épaule de son amie et dépose un baiser sur sa joue. « Je suis tellement content de te voir, tu n’as pas idée à quel point. » C’est plus que sincère. Il avait besoin de ça, surtout en ce moment où ce n’est pas évident. Il rapproche la chaise, de sorte à ne plus être en face d’elle, mais bien à ses côtés et fait signe au serveur de venir à leur table. « Tu as déjà commandé ? Tu veux quoi ? »

Ses cheveux bruns tombaient en cascade sur ses épaules et dans son dos. Ses yeux bleus clairs, presque translucides étaient toujours mis en valeur avec un trait fin noir d’eyeliner, ses lèvres étaient rouges. Une robe noire simple, et des talons, ça suffirait pour ce soir. Talya était reconnaissable, elle devait se l’avouer. En dehors de son milieu de travail militaire, elle montrait toujours sa féminité le plus possible. La jeune femme était calée sur un siège, tenant dans ses mains un journal afin d’attendre patiemment Eneko. Elle jetait quelques fois des coups d’œil vers la porte, guettant l’arrivée imminente de son ami. Le tintement des clochettes de la porte attira son attention, et elle vit avec joie qu’il était présent. Un sourire se dessina sur leurs lèvres en même temps et Talya le regarda se diriger vers elle. Sa main se posa sur son épaule, il lui fit la bise et lui fit part de sa joie d’être avec elle, ce à quoi elle répondit simplement : « Moi aussi Eneko, je suis heureuse que tu sois là. »  Puis il se rapprocha d’elle et la questionna sur les boissons, elle dit en souriant « J’ai commandé nos boissons préférées, pas d’inquiétude. » Elle plongea ses yeux dans les siens avec son regard caractéristique, profond et intense avant de lui parler, de sa voix toujours aussi douce et mélodieuse : « Eneko, tu as l’air d’en avoir gros sur le cœur en ce moment, est-ce que je me trompe ? ».

Pas plus que lui, il en est convaincu. Alors qu’elle lui annonce qu’elle a commandé pour lui, le serveur arrive avec un plateau, dépose les boissons sur la table dans un sourire. Il voit sa bière, l’Adelscott. Une bière ambrée, son choix par défaut, parce que c’est ce qu’il préfère. Elle le sait pour le remarquer à chacun des moments qu’ils passent ensemble. Rares sont les fois où il tente autre chose et généralement, c’est parce que le bar en question ne fait pas sa bière favorite. Un fin sourire éclaire son visage, avant de disparaître à sa question. Eneko fronce les sourcils : elle le connaît bien, il ne s’en remet jamais. « Certainement. Je t’ai dit à quel point Anna m’agaçait en ce moment ? » Anna, son épouse et pourtant, c’est bien le cadet de ses soucis. Elle est toujours à réfléchir, se demande si elle devrait signer les papiers, ou se perdre dans une guerre enfantine avec un avocat pour les défendre, l’un et l’autre et ce sera à celui qui aura fait le plus d’erreurs, des erreurs visibles, qui en paiera les pots cassés. Eneko peut perdre son entreprise, il le sait. Sa boîte dans laquelle il aime passer du temps, se noyer dans le travail pour oublier l’alcool que prend Maona, pour oublier le fait qu’il se sent impuissant et que peu importe ce qu’il dit, ou fait, ça ne changera rien au fait qu’elle consommera de la vodka dès qu’il a le dos tourné. « J’ai rencontré quelqu’un, tu sais. Elle est plus jeune que moi, elle est… » Il souffle, en prenant sa bière dans sa main. « C’est ma sœur. Je ne le savais pas. » dit-il, sans tourner autour du pot, en prenant une bonne gorgée de sa boisson, à tel point que le verre est à moitié vide, ou à moitié plein, selon les points de vue. « Je n’ai pas eu de contact avec ma mère depuis que je suis gosse. Je n’en savais rien. Evidemment que je savais qu’elle avait refait sa vie, mais elle ne lui ressemble tellement pas. » qu’il dit, presque essoufflé d’avoir tenu un discours pareil. « Et toi ? Annonce-moi une bonne nouvelle. » Il en a besoin. Quelque chose de joyeux.

Eneko ne parle pas énormément de lui. Là encore, il ne s’attendait pas à tout dévoiler, comme ça, mais la perche qu’elle lui tendait était trop belle pour passer à côté. Il acquiesce d’un signe de tête, pour l’encourager à parler d’elle. C’est ce qui l’intéresse au fond, savoir ce qu’elle devient, même s’ils se tiennent au courant régulièrement, qu’ils n’ont pas de mal à se tenir au goût du jour… Ca fait une semaine, tout de même, qu’ils ne se sont pas vus. « C’est bien, ça. C’est une bonne chose. Il ne méritait certainement pas que tu te rabaisses. »  Lui, cet homme qu’elle a connu, qui lui a fait du mal. Lui, cet homme qu’il a tant détesté pour les coups qu’il lui donnait. Ce n’est pas ça, l’amour. « C’est quelque chose de problématique. » Il lâche un soupir en baissant les yeux sur sa boisson. Est-ce qu’il peut vraiment lui parler de ce que c’est ? Il le connait réellement que depuis peu et à cause de son divorce qui n’est pas encore prononcé, de leur lien familial, ce n’est pas chose évidente. « Ca te prend aux tripes. C’est quelque chose qui arrive à te faire mal au moindre souci, quelque chose qui peut te faire du bien, aussi, parce que tu n’es pas tout seul. » Pourtant, il a l’impression que Mao se sent seule, qu’il ne lui suffit finalement pas. Pas assez pour la guérir de ses maux. « Je n’en sais trop rien Talya. Moi ça m’effraie. » Parce qu’il n’a le contrôle sur rien, encore moins sur sa petite blondinette qui sombre de plus en plus. Il essaie de trouver une solution et ça commence par trouver un appartement. Eneko passe un certain temps sur les annonces, sans trouver la perle rare, mais ce n’est que temporaire. Quelques mois. Il faut tout de même que le confort soit là, mais ce dernier est moins important que de rentrer et la voir, elle, s’assurer qu’elle se porte bien. « Tu es jeune encore… Tu as le temps de rencontrer des gens. » Elle est bien plus sociable que lui ne l’est, d’ailleurs. Elle n’aura pas de mal, même s’il appréhende les hommes qu’elle pourrait rencontrer. « Prends ton temps. » Parce qu’il craint qu’elle tombe sur quelqu’un de mauvais, qui ne lui veut pas forcément du bien.

Talya acquiesça. Cet homme ne méritait ni ses larmes ni ses sourires, rien d’elle. Elle aurait pu le haïr après leur séparation mais il se trouvait que ce n’était pas le cas. La jeune femme n’avait à cette période-là plus la force de le faire, ni d’aimer. Elle écouta Eneko. Savait-il lui-même ce qu’était l’amour ? Il tenta une vague description, avant d’admettre qu’au final il n’en savait pas plus qu’elle et que c’était effrayant. Sans savoir pourquoi, on aimait une personne. Mais pour elle, ce déclic prenait du temps. Talya hocha la tête, comme pour faire une promesse à son ami. Elle but ensuite quelques gorgées de sa boisson et finit son verre. « Tu l’aimes. » Ces quelques lettres, elle les avait prononcées lentement et doucement. Elle enchaîna, ses yeux rivés dans les siens. « Prends aussi ton temps Eneko. Je pense particulièrement à Anna. Peut-être qu’elle essaiera de gâcher ta relation avec elle, ou même d’intimider cette pauvre fille, ta demi-sœur, en lui disant que cette relation n’est qu’éphémère si elle le découvre. Je ne pense pas que ce soit l’amour qui t’effraie, mais plutôt le fait que tu pourrais la perdre, d’une quelconque manière. Alors Eneko, ne laisse rien, ni personne, gâcher cela. Tu es une belle personne, et je suis sûre qu'il en est de même pour elle, tu mérites qu'elle soit à tes côtés. » Un sourire rassurant releva les commissures de ses lèvres. « Ne doute pas de toi et ne change jamais qui tu es. »  

Est-ce une question ou une affirmation ? Eneko ne peut qu’acquiescer, parce que c’est vrai, parce qu’il a des sentiments profonds pour cette jeune femme qu’il ne connait pas depuis très longtemps, mais qui a pris une place suffisamment importante pour faire battre son petit cœur, pourtant bien solide, bien emmuré par une carapace qu’il s’est lui-même forgé. « Oui, je l’aime. » C’est la première fois qu’il le dit à quelqu’un d’autre que la principale concernée et c’est étrange, mais c’est pourtant la vérité. Il aime Maona, d’un amour démesuré et la situation actuelle qui lui échappe, l’effraie. « Oh, elle a déjà essayé de l’intimider. » dit-il, en haussant les épaules. Evidemment qu’elle savait ce qu’elle faisait lorsqu’elle est venue voir Maona, mais ça n’a pas été suffisant pour les séparer. Ce qui l’est, en revanche, c’est leur lien de parenté qui les éloigne. Eneko l’écoute attentivement, tandis que son cœur se resserre, en même temps que ses doigts sur son verre. Il passe sa main sur son visage et pour la première fois depuis son adolescence, il sent les larmes le menacer, mais il se contient, tant bien que mal. Talya a mis le doigt sur quelque chose de vrai : il a peur de la perdre. « Je suis en train de la perdre. C’est à un degré plus important que d’avoir peur, simplement. C’est une réalité. » Il boit une longue gorgée de sa bière et souffle un coup, en passant nerveusement sa main sur sa nuque. « Passons. Parle-moi de toi plutôt. » Il n’a pas envie de se montrer plus vulnérable qu’il ne l’est. Il ne faut pas. Et le seul moyen pour ça, c’est de parler d’autre chose. « Tu me disais que ça se passait mieux. Comment ça se passe, ton travail ? »

Eneko serrait de plus en plus ses doigts sur son verre. Talya savait qu’il ne voulait pas parler de lui, pour éviter le sujet sensible, mais quand elle devait dire une parole, elle le disait. Et ce sujet-là à ces yeux était très important, car il s’agit là du bonheur de son ami. Il passa sa main sur son visage, puis dit quelques paroles. Talya sentait bien le mal-être d’Eneko, d’ailleurs elle le regarda quelques instants avec inquiétude, puis baissa les yeux, ayant l’air plongée dans ses pensées, dans une grande réflexion. Finalement, elle releva la tête quand il la questionna sur elle. Cette tactique elle la connaissait : changer de sujet, pour ne pas avoir mal, s’effondrer. Durant quelques secondes, elle resta silencieuse, ses yeux ancrés dans ceux d’Eneko. Il savait qu’elle comprendra ce changement de conversation, alors elle décida de ne pas insister et poussa un léger soupir, avant de répondre : « Ça se passe bien. Je ne repars pas en mission, du moins pas tout de suite. » Talya avait déjà été dans deux opérations : celle de 2013, l’opération Serval au Mali, et l’opération Barkhane en 2014. La première avait duré quatre mois, la deuxième dix. C’était ça d’être infirmière militaire dans l’armée de terre. Beaucoup de gens pensaient que ça se passait comme dans leurs écrans, aux Etats-Unis, où les infirmières sont toutes pimpantes dans un hôpital militaire. Mais non. Parfois on se retrouve en plein milieu d’une embuscade, où on tente de faire un garrot à un homme qui vient de se faire exploser les jambes à cause d’une mine. Talya avait déjà parlé de ça à Eneko. La réalité du métier. « Mais si je venais à partir, ça ne me dérangerait pas. Je ne me suis pas engager pour rien. »

Eneko lui en est reconnaissant, vraiment. Parler de ce sujet l’épuise, parce que penser à ce qui ne va pas lui prend toute son énergie, parce qu’il est incapable de tenir le coup, là, maintenant. S’il continue, ça va finir par le bouffer. Alors il est soulagé qu’elle reprenne sur son travail, sans poser de questions, sans s’attarder plus longtemps sur son problème. Il sait qu’elle le soutient, qu’elle est là pour lui, qu’elle ne le laissera pas tomber, comme il ne l’a pas laissée. C’est ça, leur amitié. Ils savent qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre. Eneko pose sa main sur la sienne pour la remercier silencieusement. Elle lui parle alors de son travail, ce qui l’attend justement. « Bien, c’est plutôt une bonne nouvelle ça aussi. » Il s’inquiète, lorsqu’elle part en mission. A chaque fois, il n’est jamais certain de la revoir, mais il n’y pense pas, lui envoie des messages comme s’il n’y avait rien, toujours en essayant de se convaincre que demain ils se verront de nouveau. Alors il est plutôt ravi qu’elle ne soit pas demandée pour le moment. « Je sais très bien, mais ça ne me rassure jamais de te savoir n’importe où. Tu n’as jamais pensé te poser dans des lieux… plus sûrs ? » Sans toutes ces horribles choses, les armes, les mines, les explosions, les cris et même les personnes blessées qui meurent alors qu’elle est en train de les soigner. « Comment fais-tu pour supporter tout ça ? » Eneko ne pourrait pas. Elle lui a semblé si vulnérable lorsqu’elle était avec son homme, mais au fond, c’est quelqu’un de fort. Elle l’est, pour s’être engagée. « Pourquoi tu t’es engagée ? Je ne crois pas t’avoir posé la question. » Il ne l’a pas fait, il en est même certain.

Elle sentit la chaleur de la main de son amie sur la sienne, et hocha doucement la tête comprenant le message de ce geste. Talya écoutait Eneko. Elle savait qu’il s’inquiétait quand elle partait, et c’était compréhensible. Elle comprenait bien ce qu’il ressentait : elle voyait les yeux larmoyants de sa mère à chaque fois qu’elle partait, elle entendait les paroles réconfortantes dans son père quand elle s’éloignait d’eux. De nombreuses fois, elle l’avait imploré pour qu’elle change de métier, mais rien n’y fait.  « Non et ce n’est pas un projet qui m’intéresse pour l’instant. » C’est vrai, parfois on la voyant, on pouvait se demander comment ce petit bout de femme était dans l’armée. Surtout Eneko, qui  l’avait vu dans sa grande vulnérabilité. « Je ne sais absolument pas comment je fais. Au début c’était difficile je te l’accorde, mais moins que pour d’autres car je ne me suis jamais fait d’illusions sur mon métier. Je t’avoue que quand je me suis engagée, les officiers n’en croyaient pas leurs yeux. Une femme comme moi, ça paraît dingue. Enfin, tu sais, quand ils ont vu mes capacités dans les sports de combats, ils n’en croyaient pas leurs yeux non plus. » Talya fit un sourire à la fin de sa phrase. Elle pratiquait de la boxe thaï et du krav maga depuis de longues années. C’est sans doute ça qui l’a sauvé de nombreuses situations délicates avec son bourreau. « C’était un rêve. Et quand je disais ça aux hommes quand ils me demandaient pourquoi j’étais là, ils m’ont dit que je ne tiendrais pas une semaine. » Sa tête se secoua légèrement.

Même si c’est une profession extrême, Eneko arrive à comprendre. Quand on aime quelque chose, on y va jusqu’au bout des choses. Il ne peut pas lui en vouloir de faire ce qu’elle désire. Il s’inquiète juste, c’est normal, lorsqu’on tient à quelqu’un et il tient à Talya, même s’il ne lui a encore jamais dit. Il n’est pas du genre à le dire, ce n’est pas dans ses habitudes, mais elle doit bien s’en douter. Il se réinstalle sur sa chaise, croise les bras en l’écoutant parler de sa profession. Ca se sent, s’entend dans le son de sa voix, que ce qu’elle fait a de l’importance. Elle n’a pas fait ça sur un coup de tête. Elle le lui explique, d’ailleurs. C’était une vocation. « Il faut dire que l’armée n’est pas un endroit dans lequel on voit des femmes, mais… » Il souffle, en haussant les épaules. La parité, ça existe maintenant. « Il y en a de plus en plus. C’est malheureux qu’ils soient autant en besoin. » Qu’il manque toujours des effectifs. C’est louable, lorsque des personnes s’engagent, mais Eneko trouve ça évidemment triste que des pays se mettent en guerre, qu’en ce moment, ils se battent à cause des religions. S’ils y sont confrontés avec l’actualité, un petit peu tous les jours, aussi dans les rues, Talya doit connaître ça bien plus que lui, pour avoir été là, à soigner les personnes en besoin. « Au moins, tu leur auras prouvé que tu étais capable de durer bien plus d’une semaine. » dit-il, en arborant un sourire. C’est une battante.

Talya rendit son sourire à Eneko. « De toute manière, il en faut bien des personnes comme moi. » Elle restera aussi longtemps qu’elle le pourra dans l’armée, c’est une certitude. Pour en arriver là où elle en était, la jeune femme s’était battue : pour entrer dans l’armée, pour y rester, pour qu’on reconnaisse ses compétences. Des femmes, c’est vrai il y en avait de plus en plus. Mais elle devait toujours faire plus que les hommes pour prouver ce qu’elles valaient et c’était bien dommage. Puis elle observa Eneko avant de lui demander avec un léger sourire aux lèvres : « Et toi, comment tu fais pour être dans un bureau tout le temps, négocier tout le temps, faire des choses complexes tout le temps ? On devrait échanger de travail pendant une semaine tous les deux, ce serait une bonne expérience. » Son sourire s’agrandit, puis elle secoua légèrement la tête, chassant cette idée de ces pensées. « Sincèrement, je suis admirative de ce que tu fais. Tu construis un empire Eneko, si tu continues sur cette voie tu seras le modèle des futurs étudiants en architecture, enfin si tu ne l’est pas déjà. » Talya était sincère. Il avait réalisé son rêve, en partant de rien, et ce n'était pas tout le monde qui avait le cran de le faire. Pendant son adolescence, il avait eu quelques mauvaises fréquentations, mais grâce une aide précieuse, il s'était relevé. Talya était impressionnée de son parcours. 

C’est vrai. Elle a raison, il fallait bien des gens comme elle. A sa question, il hausse les épaules. Tout comme elle, c’est une passion, alors il ne voit pas les choses du même angle. Pour lui, ce ne sont pas des choses si compliquées. Il le fait naturellement, ne stresse pas à l’idée de devoir rencontrer de nouvelles personnes, négocier avec eux lors de certains marchés. « Je ne suis pas dans un bureau tout le temps, je me déplace souvent. Et puis je ne reste pas derrière un bureau pour passer des coups de fil. Je dessine des plans, je réalise des maquettes. Je fais plein de choses variées. » Echanger leur boulot ? Oh ça. C’est évident que ce serait une sacrée expérience, mais il ne veut même pas tenter. « Je ne préfère pas imaginer. Ce serait une catastrophe. Moi, en infirmière ? Merci bien. » Il soigne les petites plaies, sait les petites choses banales, comme quoi faire suite à une brûlure, ou à un doigt coincé et l’ongle devenu noir, mais être sur le terrain et soigner des personnes suite à une explosion, ça, il ne sait pas faire. Ca le stresserait d’avoir la vie de plein de gens entre ses mains. Un modèle, lui ? Eneko sort un stylo de sa poche, prend la serviette en papier sur la table et commence à dessiner. Une envie soudaine, irrépressible, en même temps qu’ils parlent d’architecture. Modèle, lui ? Il ne sait pas vraiment si ce sera le cas un jour, mais à ses yeux, il est au moins devenu quelqu’un de compétent. « Je n’y ai jamais pensé. Je fais mon travail avant tout, j’exerce ma passion. Je n’ai jamais pensé à devenir un modèle pour les étudiants. Tu es en train de me flatter, Talya, n'est-ce pas ? »