(Nino) La confrontation

Maona est enceinte. Elle attend un enfant. Cette petite chose qui peut être de lui, ou de l’autre. Lui, ce type qui n’est pas si clair que ça. Lui, ce type qu’il ne connaît pas, mais qu’il traite d’irresponsable, de branleur. Tout s’embrouille dans son esprit, mais il essaie de se concentrer sur la soirée qu’il passe avec quelques amis, dont un qui vient d’avoir son premier enfant. Un petit garçon. Il semble si fier, là… Mais la différence avec lui, c’est que son ami avait vraiment envie d’être Papa. Il a cette fibre qui se lit dans son regard lorsqu’il en parlait tout au long de la grossesse, cette fibre paternelle qu’il a même après. C’est un homme bon, un bon père, qui fait passer sa famille avant le reste. Est-ce qu’il est tout ça, lui ? Lui qui n’est pas très famille à la base. Lui qui a manqué de l’affection de ses parents, est-ce qu’il pourra en donner autant ? Eneko se pose la question, étouffe à force d’y songer, de voir des photos du bébé de son ami qui ne se lasse pas de les montrer. Et ce sourire qu’il a… Est-ce que lui aussi, il aura le même ? Eneko se sent tellement à côté de la plaque. Il aimerait pouvoir bien faire, ne plus douter, bien gérer la situation. Il aimerait être aussi insouciant que le nouveau Papa de la bande. Il profite des verres vides sur la table pour se lever de sa chaise et de leur annoncer que la prochaine tournée est pour lui. Ses trois amis se tournent vers lui et crient doucement pour montrer leur contentement. C’est une bonne excuse pour se rendre au comptoir, s’éloigner, souffler un peu. C’est un peu trop pour lui, tout ça. L’architecte pose ses mains sur le bar et commande la même chose. Le barman note, prépare, tandis qu’Eneko pose son attention sur le couple qui se trouve près de lui. La jeune femme a un joli sourire sur son visage, alors que l’homme a un air séducteur. Il entend que des bribes de leur conversation, se concentre plus sur la commande à venir, quand il entend le prénom. « Nino, c’est ça ? Comment ça se fait qu’un bel homme comme toi soit célibataire ? » Eneko bug. Il fronce les sourcils, tourne la tête vers Nino. Le Nino. C’est lui ? Sérieusement ? La jeune femme rit, semble être intéressée et Eneko devrait les laisser tranquille. Il le ferait, s’il était gentil… Or, il ne l’est pas. « Vous voulez un conseil ? » demande-t-il, à l’adresse de la jeune femme qui pose son attention sur lui. « Buvez trois ou quatre verres en plus. Il préfère coucher avec les femmes au bord de l’ivresse. Et si vous avez un compagnon, ne vous en faites pas pour ça, ça ne l’arrêtera absolument pas. Il vous fera crier quand même. » Elle semble choquée, ne plus savoir où se mettre, adresse un regard vers Nino et Eneko en fait de même. « N’est-ce pas ? » Les boissons qu’il a commandé arrivent peu à peu, mais il n’est pas si pressé que ça de les avoir. « C’est bien comme ça que ça s’est passé avec Mao, non ? Elle avait trop bu et vous en avez profité. » C’est comme ça qu’il voit les choses, lui. Elle était ivre, vulnérable. Eneko fait un pas vers lui. « Ne vous avisez plus de la toucher. Ni même de la regarder. Elle mérite bien mieux que toutes vos petites magouilles. » Il le sait, parce que ce n’est tellement pas un secret que lorsqu’il s’est renseigné sur Nino, ça n’a pas mis longtemps a venir jusqu’à ses oreilles.

Sa mâchoire se crispe un peu plus à chaque mot prononcé, à chaque phrase qu’il n’a pas besoin d’entendre, mais ça lui est peut-être nécessaire au fond. Pour tenter de passer à autre chose, pour oublier, pour se rassurer qu’il ne sera pas là au prochain coup dur. C’est peut-être de ça dont il a peur aussi. Qu’elle aille le voir, se jeter dans ses bras pour se réconforter, pour relever la tête, étant donné que lui n’a pas su le faire. Parce qu’il compte le Nino. Ce n’est pas un inconnu qu’elle a pris dans la rue, par pur hasard. C’est son ex. Pourtant, c’est bien à lui que les trois mots lui ont été adressés, mais il passe tout de même par un complexe d’infériorité, en même temps que de se prouver encore une fois que la confiance, il ne l’a pas. Ce n’est cependant pas quelque chose qu’il souhaite montrer à Nino, parce que Maona, il y tient. Parce que les faiblesses dans leur relation, il n’ira certainement pas se confier ouvertement dessus à quelqu’un d’autre. En revanche, il s’autorise à péter un câble. « Elle ne m’a pas dit les choses comme ça, non. C’est ma version des faits. Vous venez vous-même de le confirmer : elle était ivre. Ce n’est pas comme ça que vous voyez les choses ? Vous allez me dire qu’elle se sentait si bien que ça pour accepter de vous suivre ? Vous allez me dire qu’elle avait les idées si claires que ça lorsque ça s’est déroulé ? » Eneko, il a les images en tête, de cette scène qu’il lui décrit. Il l’imagine, en train de lui demander de continuer, de ne pas s’arrêter, mais il les met dans un coin de sa tête, ne veut pas se focaliser là-dessus uniquement, pas maintenant. Il resserre ses doigts sur le comptoir et s’il en avait la possibilité, s’il avait des revolvers à la place des yeux, il le sait bien, qu’il le fusillerait sur place. Il déteste qu’il parle de Maona ainsi, qu’il la respecte si peu, même dans ses propos. « Je ne crois pas, non. C’est très mal la connaître. » Maona ne fonce pas dans les bras d’un inconnu. Elle l’a fait, avec lui, mais Eneko se plaît à croire qu’elle lui dit vrai, lorsqu’elle lui a soufflé que ce n’était pas pareil. Qu’il était différent. Peut-être différent de lui ? Il n’en sait trop rien, mais il ne sait pas ce qu’elle a bien pu lui trouver. « Vous le sauriez, si vous n’aviez pas merdé lors de votre relation passée. » A son tour de le provoquer un peu, de mettre sur le tapis leur relation dont il n’a pourtant pas envie de connaître les détails. Mais aujourd’hui, c’est Lui qui est là. C’est de Lui dont elle s’est éprise. « Ce qui s’est passé entre vous cette nuit-là n’était qu’une erreur. » C’est bien qu’ils se laissent une nouvelle chance, que Maona a envie.

Ca fait mal. Il le sait, Eneko, qu’il a raison le Nino. Que c’est parce qu’il n’a pas été là ce soir-là, qu’il n’a pas su lui donner une bonne raison d’arrêter, être assez convaincant pour qu’elle cesse l’alcool. Il se sent responsable. Aussi parce qu’elle se sentait assez sale de par un lien de sang qui n’existe finalement pas. Et au fond de lui, il ne peut s’empêcher de se demander si elle recommencera, si elle retournera le voir lorsqu’elle se sentira mal, lorsqu’ils se seront pris la tête pour des broutilles. Il se demande si Nino ne restera pas l’un de ses principaux contacts, un contact qui lui fera du bien, qui la réconfortera, un contact dont elle ne pourra pas se passer. Eneko a beau lui avoir demandé de couper les ponts avec Maona, il a beau lui avoir posé un ultimatum auquel elle a répondu en lui donnant ce qu’il souhaitait, Eneko doute constamment. Impossible de faire autrement. Il l’aime tellement, mais il ne peut s’empêcher d’être méfiant. Peut-être pour se préserver un peu aussi. Peut-être de peur de tomber de haut, encore une fois. Et puis il a la rancune tenace. S’il a si peu d’amis en qui il fait confiance, c’est notamment parce qu’il juge qu’il a assez de ceux qu’il a autour de lui, des sources sûres, qui ne le décevront pas. Et là, alors qu’il essaie d’accuser le coup, les mots de Nino tournent en boucle. Il est au courant. Elle n’a pas fait que s’abandonner dans ses bras, elle s’est confiée à lui. Pourquoi ça l’étonne ? C’est son ex-petit ami. « Elle en avait envie ? » C’est stupide, il ne devrait pas poser la question, il ne devrait pas vouloir savoir. Pourtant, la question rôde dans sa tête. Est-ce qu’elle a regretté ce qu’ils ont fait ? « C’est ce qu’elle vous a dit ? Sobre. » Il se torture. Une boule s’installe au creux de son estomac. Et finalement, il souffle : « Vous vous êtes quittés au petit matin. Que vous a-t-elle dit ? » Il a besoin de savoir. De connaître la vérité. De savoir aussi ce qui l’attend. Il se sent déjà en danger, avec Nino, mais est-ce que c’est un véritable danger pour lui ? Eneko pose son attention sur son verre qu’il prend entre ses mains. Peu importe que les amis avec qui il est venu attendent encore un peu. « Je vous demande pardon ? Ce qu’elle est devenue ? » Par sa faute ? Il n’a pas à se justifier. Il ne le fera pas. S’il avait su qu’ils étaient frère et sœur, il n’aurait jamais tenté le diable, il ne se serait jamais intéressé à Maona de cette manière. La faute, elle ne lui revient pas. Il n’a pas été à la hauteur sur tout, il a été imparfait, mais cette faute, elle ne lui appartient pas. Il le sait, bien qu’il se sente responsable quand même. « Qu’est-ce que vous croyez ? Vous avez sincèrement pensé que je n’allais pas me renseigner sur vous ? A partir du moment où vous fréquentez cette femme à qui je tiens, ça me regarde. » Il ne tient pas à ce qu’il lui attire des ennuis, à ce qu’il l’embarque dans ses mauvais plans. Mais ça ne devrait pas être le cas : ils ne se parlent plus, n’est-ce pas ?

Ce n’est pas ce qu’il voulait dire. Il n’a pas envie de savoir si elle en avait envie, lorsqu’elle avait de l’alcool dans le sang, bien que le savoir à présent lui soit difficile à accepter. Il l’imagine, en train de le supplier de lui faire l’amour, de lui dire des mots qui lui sont réservés. C’est blessant, d’imaginer que la femme qu’il aime a eu envie de quelqu’un d’autre. Mais ce qui le détruit, c’est d’apprendre qu’au lendemain de leur dérapage, elle n’a rien regretté. Elle n’a pas pensé à lui, à eux. Elle n’a pas pensé au fait que c’était une erreur, puisque c’en était pas une. Si c’était à refaire, elle le referait. S’il n’y avait pas eu une dispute entre eux, elle serait restée auprès de lui, l’aurait laissé la toucher de nouveau, peut-être même qu’ils auraient remis ça ensemble. Et là, ce ne sont plus des doutes qui prennent possession de lui, c’est un vide. Parce qu’il sent au fond de lui quelque chose qui s’est définitivement brisé. Eneko passe sa main sur son visage et se sent clairement stupide. Il essaie d’y croire, vraiment, mais ça le détruit de plus en plus de faire des efforts, de laisser de côté cette chose qu’il ne lui pardonne pas. Ca le détruit d’avoir été aussi curieux, de s’être brûlé les ailes en posant des questions qu’il n’aurait pas dû poser, mais dont il avait besoin. Besoin de réponses. Des réponses qui ne lui conviennent pas. Des réponses qui lui prouvent qu’il n’est pas seul dans le cœur de Maona. Des réponses qui l’épuisent. Leur relation l’épuise. Il écoute Nino, de manière lointaine. « Je sais. » dit-il, dans un murmure. Il sait qu’elle est alcoolique, qu’elle se bat tous les jours. Et c’est peut-être ça, qui va le faire rester. Parce qu’elle a besoin de lui, pour le moment. Avant de se reprendre, peut-être, de revenir vers Nino dès qu’elle aura repris ses esprits, ou au moindre problème qu’ils auront ensemble. Parce qu’elle est amoureuse, mais qu’elle ne tient pas suffisamment à lui pour regretter de s’être abandonnée dans les bras d’un autre. « Eneko ! Alors, ça vient ? » Eneko tourne la tête vers sa bande d’amis et agrippe le plateau qui lui a été prêté temporairement. « J’ai du mal à croire que les gens puissent changer à ce point. » Tout ce qu’il veut, c’est la protéger. Que ce soit du passé, lui, il en doute. Un dernier regard vers lui et Eneko repart dans la direction opposée au bar, celle de sa table. Il a le cœur lourd, il ne sait pas quoi faire, il ne sait pas comment réagir. Est-ce qu’il va garder cette conversation sous silence ? Est-ce qu’il sera capable de passer au-dessus de cette aventure passée ? Il doute, sérieusement, mais l’architecte décide de laisser tout ça de côté, pour le moment, parce qu’il ne veut plus y penser, parce qu’il a besoin de se changer les idées et il le fait en rejoignant ses amis et en prenant sa bière qu’il boit d’une seule traite. Parce que ça fait du bien, ça.