(Louise) Pris au piège

A peine dix minutes que nous nous sommes retrouvés que Louise m’embarque déjà quelque part, à la recherche d’un objet perdu. Un pendentif dont je n’arrive pas à visualiser les formes. C’est de l’or apparemment, ou de l’argent, ou de l’or blanc… C’est tout juste si elle connait les détails de cette chose qui a tant d’importance à ses yeux, mais ça compte, alors je me mets à sa recherche moi aussi, en regardant par terre, là où nous avons marché précédemment, puis je la suis dans le chemin qu’elle a emprunté. « Si c’est un pendentif, j’espère pour toi que personne ne sera passé par là avant toi. » Elle est gentille Louise, mais si ça vaut cher, n’importe qui peut l’avoir ramassé et l’avoir emporté avec elle. Je lui adresse un sourire compatissant, m’attends déjà à la prendre dans mes bras pour la réconforter de cette perte qui semble la faire paniquer. La pancarte de l’entrée de la forêt d’Iraty me fige sur place, me provoque un rire, bien jaune. « Sérieusement ? » Allons-y ! Mais là, c’est foutu, je le sens. Il est immense cet endroit. Si Louise a séjourné un peu trop longuement dedans, si elle a emprunté des petits sentiers pour visiter ce grand espace vert… Et si ce n’est pas une personne en manque d’argent, ce sera une pie attirée par l’éclat du bijou qui l’aura chapardé. On s’enfonce dans le lieu et mes yeux se posent sur des joueuses qui se font un match. Je me stoppe face à ce spectacle, croise les bras pour les observer quelques secondes. Mes yeux sont attirés par le ballon ovale et par une tignasse blonde que je reconnais très bien. Cette gamine qui a fait le chemin jusque dans ce bar où je travaille pour me convaincre de les entraîner. Elle y a mis tant de mal, mais est ressortie sans une réponse positive. Et d’un coup, je percute. Je me tourne vers Louise, la tête légèrement penchée sur le côté. « Tu n’as rien perdu, hein, c’est ça ? » Depuis tout à l’heure, on ne cherche rien. C’était juste une excuse pour m’amener ici, pour que je les voie jouer, pour me faire changer d’avis, par la même occasion. Je fais un signe de la main pour qu’elle se taise ; je ne veux rien savoir. « Tu as perdu ton temps. » C’était bien orchestré, ou alors j’étais bien trop naïf de la croire sur parole. Je m’éloigne, ne voulant pas m’attarder sur la raison pour laquelle je suis là. Je ne les regarderai pas, je ne serai pas leur coach, je ne reprendrait tout simplement pas le rugby, d’une quelconque manière. Nous avons eu une rupture de contrat, lui et moi.

Le truc avec Louise c’est qu’elle est très, très mauvaise menteuse. Elle s’en est rendu compte avec Matt, quand elle ment, elle en fait des caisses pour noyer le poisson et au final, ça crève les yeux. Cette fois-ci, elle avait prétexté la perte d’un pendentif, alors que le seul pendentif qu’elle a et toujours sur elle, un petit ballon de rugby en argent. Du coup quand Judd lui demande de le décrire pour rendre la recherche plus facile, elle reste vague, s’embourbe dans des descriptions improbables, faisant des gestes dans tous les sens pour appuyer son propos, perché sur ses éternels talons hauts pour ne pas faire crevette à coté de sa compagnie du jour. Visiblement, elle arrive suffisamment à vendre son histoire pour qu’il la suive. Elle se sent un peu coupable de lui mentir ainsi, mais maman poule comme elle pour tous ceux qui compte pour elle, elle est convaincue qu’elle fait ça pour son bien. Qu’il a tiré un train sur le rugby trop facilement, que c’est pas sain de rayer comme ça de sa vie une chose qui vous a fait vibrer et bosser aussi longtemps. Que ce soit positif ou négatif, elle pensait vraiment qu’il fallait qu’il fasse face à cette réalité qu’il semble vouloir éviter. Elle savait que les filles s’entraineraient ce jour-là, étant proche d’Ariane qui avait une nouvelle fois  essayé de la faire venir jouer. Elle savait que la jeune ailière avait besoin d’un coach et elle voulait l’aider. Elle pensait honnêtement faire ce qui était bien pour ses deux amis. Son idée de génie lui sembla bien moins judicieuse quand il se tourna vers elle, se rendant compte de la supercherie. Elle ouvre la bouche pour parler, il lui fait signe de se taire. Elle s’exécute. Pas le temps de se justifier. Elle hausse les sourcils sans le vouloir, yeux de chiens battus. Il lui dit qu’elle a perdu son temps en s’éloignant. Elle reste sur place un moment, en baissant la tête. Que devait-elle faire? Elle grimace et se lance à sa poursuite en essayant de ne pas tomber la surface n’étant qu’assez peu praticable en talon, encore moins pour courir. Elle regrettait ses converses, finalement, elle le rattrape arrivant à hauteur, elle lui attrape le bras, il pourrait s’en détacher facilement vu la différence de taille et de masse musculaire. Elle ne voulait pas le forcer à quoi que ce soit, cependant, elle avait des choses à lui dire. Des choses qu’elle pensait qu’il fallait qu’il entende. Qu’il n’avait peut-être, sûrement pas envie d’entendre. « Attends! » Il s'arrête, elle a toujours sa main sur l'avant bras de l'ex-rugbyman. Elle lève la tête pour lui faire face, le regarder dans les yeux même si il fuirait probablement son regard. Sa main libre se met à triturer le petit ballon autour de son cou. « Je peux pas te dire que je sais ce que tu vis... cependant, si je t'ai amené ici, pour les voir jouer, c'est pas pour essayer de te faire changer d'avis, j'en serais bien incapable mais, les gars jouent pas ce weekend... » Elle cherche ses mots, ça se lit aisément sur les traits fins de son visage. « Quand tu perds quelque chose qui était important pour toi pendant toute ta vie, c'est pas sain de vouloir juste tout oublier et faire comme si rien ne s'était passé. » Elle parlait du deuil de sa carrière de rugbyman pour lui, de la mort de sa mère dont elle ne parlait jamais pour elle.   « Je suis désolée si ça te blesse d'être là, mais crois bien que je fais ça avec les meilleures intentions. Je crois... je crois que ça pourrait te faire du bien de les voir jouer, je te demande pas plus de... disons dix minutes, et si vraiment ça va pas, on s'en va et tu as le droit de plus m'adresser la parole, je comprendrais, mais s'il te plait, reste. » Elle enlève sa main de son avant-bras, la décision était sienne désormais.

Attendre ? Attendre quoi ? Qu’elle me sorte l’un de ces discours bien pensés pour que je les prenne en charge ? J’ai dit à cette fille que je ne voulais pas, que ça ne servait à rien. Elle peut avoir une personne bien plus motivée que moi pour faire ce boulot. Coach, sérieusement, est-ce qu’elles m’ont bien regardé toutes les deux ? J’ai la tête à perdre mon temps devant une équipe féminine qui plus est ? Je croise les bras, fronce les sourcils, renfermé avant même qu’elle ne prenne la parole. C’est déjà tout vu, je ne veux pas me confronter de nouveau au rugby, je ne veux pas prendre encore plus conscience de ce que je rate. Je l’écoute cependant, d’abord sans la couper, puis je lâche un souffle, en secouant la tête. « En effet, tu ignores ce que je vis. » commencé-je. Si elle était à ma place, je ne suis pas certain qu’elle s’installerait dans les gradins pour voir jouer son équipe favorite. Du moins, moi, je ne le peux pas. J’ai la rage, je suis en colère, je suis dégoûté de ne pas pouvoir être sur le terrain. C’est jouer qui m’intéresse, pas entraîner des petites minettes. « Et tu crois que c’est une bonne chose d’être confronté à sa passion, la toucher du bout des doigts sans jamais pouvoir y accéder ? Mais merde, vous me faites chier toutes les deux. » Si j’avais l’argent, je l’aurais fait cette opération pour remettre ma jambe en place, pour la récupérer, reprendre. Je me connais, j’y mettrais toute mon énergie pour être à la hauteur d’avant, retrouver mon niveau, mais tout ça, je ne l’ai pas, alors oublier, ne pas me faire du mal un peu plus, ça me permet de garder la tête hors de l’eau, d’une certaine manière. Je suis bien plus ronchon qu’avant, j’envoie bouler ceux qui m’emmerdent bien plus facilement qu’avant, mais je garde le cap. « Dix minutes. Pas plus, Louise, pas plus. Après, vous arrêterez. Toi et ta copine. Tu lui diras de ne pas plus insister, que j’ai été au bout de ce que je pouvais faire. » Les regarder. Je reviens sur mes pas en tournant la tête vers le terrain. « Elles n’ont pas accès à un stade ? » C’est un bon terrain, mais il n’est pas entretenu. Elles seraient bien mieux dans un lieu fait pour ça. Les stades sont souvent pris par les équipes professionnelles, les collèges, lycées, mais il y a de la place. « Leur équipe est reconnue ? Je n’ai jamais entendu parler d’une équipe féminine. » L’équipe masculine prend toute la place. Les matchs dans les grands stades leur sont réservés. S’il y a eu des matchs féminins, je n’en ai pas eu connaissance. Pourtant, j’ai des amis qui adorent voir les filles jouer, principalement pour baver dessus. C’est que les voir se balader en shorty, se plaquer les unes contre les autres, ce n’est pas désagréable, mais je vois autre chose. « Elles se défendent. » Mon ton est bien plus calme qu’il y a quelques minutes, ça ne veut pas dire que j’accepte de me mêler à tout ça.

Louise s’en prend plein la tête mais bon au final, elle s’y attendait et elle le méritait probablement, elle encaissait, de toute façon, avec son père elle était habituée. Et avec son passé aussi, les « tu peux pas comprendre ta famille est riche » et autres répliques du genre, elle les avait toute entendu, tout le monde est persuadé que sa vie est parfaite, à quoi bon les corriger sur ce fait. Elle le fixe, droite comme une piquet dans ses Louboutins. « Et tu crois que c’est une bonne chose d’être confronté à sa passion, la toucher du bout des doigts sans jamais pouvoir y accéder ? Mais merde, vous me faites chier toutes les deux. » Le visage de la petite community manager se crispe sans le vouloir, se souvenant de ses mois, ses années où elle refusait d’aller à la fenêtre de sa chambre qui donnait sur le terrain de rugby, où elle refusait d’aller au stade, où elle se le refusait parce que sa passion pour ce sport avait tué sa mère, parce que son père le lui rappelait dès qu’il le pouvait. Ces temps obscures où ce qui était sa bouée de sauvetage était devenu ce qu’elle devait fuir à tout prix. Il avait fallu qu’Iris, qui n’y connaissait pourtant fichtrement rien au football, l’y traine, de façon fourbe pour qu’elle lâche tout ce qu’elle avait sur le coeur et que petit à petit, elle s’y remette, retrouvant son entrain habituel pour ce sport, même si ça restait difficile quand elle repassait dans les rues où ça s’était passé, les flashbacks, ou quand elle voyait son père, surtout maintenant qu’elle sortait avec un rugbyman, son père s’en donnait à coeur joie pour le lui rappeler et la pousser à rester à Biarritz plutôt que de suivre l’anglais vers son nouveau club des Saracens à la fin de l’année rugbystique. Enfin, tout ça elle ne le lui dirait pas, à quoi bon. « Je crois… je crois que bonne chose ou pas, quoi que ça te fasse ressentir, faut que tu le laisses sortir, d’une façon ou d’une autre et qu’être ici, c’est le plus efficace. » Elle parlait d’expérience qu’il le croit ou non. « Mais c’est ta décision, je te force pas, t’es libre de partir… » Elle aurait essayer. Vu l’énervement qu’elle sentait de la part de l’ancien rugbyman et que ses frêles épaules avait du mal à encaisser, elle ne se faisait que peu d’illusion sur la décision qu’il prendrait. Elle fut pourtant surprise qu’il accepte les dix minutes, elle ne put qu’assez peu le cacher d’ailleurs, bien trop expressive du visage contre son gré. Elle hoche la tête en signe d’acceptation du « marché », elle dirait à Ariane de « laisser tomber » et trouverait quelqu’un d’autre à lui proposer si c’était le cas. Blessé le jeune homme était bien loin d’être dans ses intensions, elle savait qu’il en avait bavé même s’il ne s’épanchait pas sur ce fait.  « Aguiléra est rarement libre pour elles malheureusement… Ça reste très masculin comme sport… » Dans la tête des gens ça le restait, pourtant elle les avait vu jouer, elles étaient bonnes. Mais le sexisme pronait encore pas mal et elle en avait été victime aussi à son arrivée au club. Elle avait du faire ses preuves, prouver qu’elle n’était pas une nana qui n’y connaissait rien et n’était là que pour son physique (qu’elle ne trouvait pourtant pas digne de cette égard). « Elles essayent de se faire une place, j’essaye d’en parler sur le compte du BO aussi mais ça reste assez compliqué encore… mais elles sont bonnes… fin je te laisserais juger… elles ont un gros potentiel et elles sont motivé mais sans soutien c’est compliqué… fin je t’apprends rien. » Elle l’observe tandis qu’il regarde les filles jouaient, essayant de lire sur son visage ce qu’il se passait dans sa tête et si finalement, elle avait bien fait de l’amener ici, avant de reposer son regard sur l’équipe de filles qui s’entraînait semblablement à elle des hommes.

Pourquoi ça ne m’étonne pas ? Que ce soit ici ou dans d’autres villes, comme Bayonne, le rugby est dans la tête des gens un sport masculin. Je croise les bras, mords mon pouce tandis que mes yeux se perdent dans le jeu des filles. L’inconnue du bar tente de jouer et de donner des indications, mais faire les deux en même temps semble lui être compliqué. Elle est bien plus hors terrain qu’autre chose et ça ne lui plaît pas. Ce qu’elle veut, c’est jouer, pas être sur la touche. « C’est normal. On ne changera pas la mentalité des gens en un claquement de doigts. » Le truc, c’est que je ne sais pas trop si je veux aider à ce qu’ils aillent dans ce sens. Me connaissant, quand j’veux quelque chose, j’fais généralement tout pour l’obtenir… Et ça me fait de l’œil. Je me bats contre moi-même. Entre l’envie, la raison. Faudrait pas que je retombe dedans, que je me rende malade avec le rugby, encore une fois. Faudrait que je m’éloigne de tout ça. Je lâche un soupir, penche la tête en arrière et pose ma main sur ma nuque. « Je n’sais pas, Louise, j’en sais rien. » J’sais pas si c’est une bonne idée. Je ne dis pas que je commence à relever la tête, mais j’essaie de me faire une raison… De me dire que je ne pourrais plus jamais toucher mon rêve du bout des doigts, que je dois juste vivre avec des souvenirs. Là, ce qu’elles me demandent toutes les deux, c’est beaucoup. Mais j’avoue qu’elles sont douées… Et que… Pourquoi pas, oui. Peut-être. Je ne suis pas sûr, mais, peut-être. C’est trop tôt pour donner une réponse. « Je vais y réfléchir. » Je me tourne vers Louise, mais avec les yeux toujours sur le terrain, puis pose mon attention sur la rouquine. « Ce n’est pas un oui, mais ce n’est pas un non. J’vais y penser. T’as son numéro à la joueuse ? La blonde qui sert de coach temporairement. Je la contacterai si j’change d’avis. Et si ce n’est pas le cas… Je te le dirai. » Je ne peux pas faire mieux, mais au moins, j’ai vu ce qui s’y passait et je vais prendre le temps de me poser la question. Ce n’est pas comme si j’avais fait plaisir à Louise et que je lui avais sorti peu après une réponse négative. « T’es chiante quand tu t’y mets. » Quelque part, c’est flatteur qu’elle ait pensé à moi. Ca veut bien dire que lorsque je jouais, j’étais doué, que je savais ce que je faisais. Je le savais déjà, je pouvais passer des jours à réfléchir à des stratégies, à analyser le jeu des joueurs, mais ça ne fait que le confirmer.

Ah le rugby et le sexisme, Louise en faisait presque tous les jours les frais. Entre ceux sur les réseaux sociaux qui après défaite de leur équipe, sortent toutes les insultes sexistes possibles et imaginables et ceux qui ne la voit désormais que comme la copine de rugbyman Matt Whitford, elle avait son lot. D’abord longtemps définie comme la fille de son père, elle était désormais la petite amie de son copain. Pourquoi fallait-il toujours qu’on la définisse comme la femme d’un homme. Ça avait tendance à l’agacer profondément. Cependant ce n’était pas là l’objet du débat du jour. Elle hoche la tête sans un mot, elle sent qu’il a d’autre chose à dire et que les pensées se bousculent sous les boucles désordonnés de l’ex-rugbyman. Elle le laisse faire, le laisse parler, le laisse se questionner les yeux rivés sur le terrain de fortune que les rugbygirls s’étaient confectionné. Elle sent bien qu’au fond il est en train de flancher, ça la fait sourire, parce qu’elle est convaincu que ça ne peut être que bénéfique, pour l’équipe de son amie comme pour le jeune brun. Parce qu’il faut qu’il avance, parce qu’il ne peut pas rayer sa passion comme ça d’un revers de main après y avoir consacré sa vie. Elle le fixe, le rois passer sa main sur sa nuque. « Je vais y réfléchir. » qu’il dit, le sourire de la community manager s’élargit tandis que les yeux de Judd se repose sur elle. « Ce n’est pas un oui, mais ce n’est pas un non. J’vais y penser. T’as son numéro à la joueuse ? La blonde qui sert de coach temporairement. Je la contacterai si j’change d’avis. Et si ce n’est pas le cas… Je te le dirai. » Elle hoche une nouvelle fois la tête, toujours un sourire bienveillant accroché à ses lèvres. « Ça me va! » Elle lui envoie le numéro d’Ariane par sms en quelques mouvements de doigts affutés. « Tu devrais l’avoir reçu normalement. » Ajouta-t-elle en pointant du doigt la poche où l’on devinait la présence de son téléphone portable. « T’es chiante quand tu t’y mets. » Louise sourit de toutes ses dents, comme si une auréole d’ange allait apparaitre au dessus de sa tête, avant de mettre un léger coup d’épaule amicale qui ne lui ferait pas beaucoup de mal vu la carrure minuscule qu’elle avait avant de répondre. « Eh, tu m’aimes bien quand même. » D’un air taquin. Elle faisait ça pour son bien de toute façon, il finirait bien par s’en rendre compte.

Mon portable sonne, vibre, annonce un message de sa part. J’enregistre le numéro de la joueuse, d’Ariane et peut-être qu’il me servira, ou peut-être pas. Je n’en sais encore rien. Je ne peux pas prendre cette décision comme ça, il faut que j’y réfléchisse, que je pense au bien ou au mal que ça pourrait me faire d’être de nouveau sur un terrain et honnêtement, pour le moment, je vois beaucoup plus de points négatifs que positifs. C’est ma vie qui est dans ce sport. Une vie que j’ai dû laisser de côté à cause d’un accident voulu, à cause d’une équipe pourrie, qui ne savait pas jouer, qui ont eu la défaite mauvaise, quand nous, on avait bossé dur pour avoir un excellent résultat. Mais même si ça m’a valu une grave blessure, voir les sourires des supporters m’a conforté dans l’idée que j’avais fait le bon choix. Les fans ont parfois des difficultés à croire que rien n’est truqué… Là, ça ne l’était pas et j’en ai payé les conséquences. Si un jour ça se savait, mon ancien coach serait tellement dans la merde. J’ai la rancune tenace. Pas assez pour me replonger dans cette histoire morbide qui a été la cause de l’arrêt de ma carrière. « Possible, mais je ne te le dirai pas. » Ca lui ferait bien trop plaisir de le savoir. « A la place, je préfère te dire que tu es une véritable emmerdeuse. » Ce qui est le cas. Elle m’a tout de même trainé jusqu’ici pour les voir jouer, pour faire un truc que je ne souhaitais pas faire. C’est qu’elle est obstinée la rouquine. « Bon, maintenant que tu as eu ce que tu voulais… Ou en partie. Comment ça se passe toi ? Whitford ? » Je plonge mon portable dans ma poche, ma main vient le rejoindre, alors que je lui fais signe de reprendre à marcher. « Ca parle tellement sur ton compte. J’en entends des vertes et des pas mûres. » Des rumeurs, beaucoup. La dernière n’est même pas à dire tant elle est blessante. Une nana assez jalouse du statut de la copine de son joueur préféré à balancer au bar que Matt et elle avait eu une aventure, mais tout ça, c’est seulement pour se vanter auprès de ses copines que le beau gosse qu’il est avait succombé à son charme. Je ne crois pas à autre chose. Louise est tellement mieux fichue.

Elle fronce le nez en souriant quand il dit que même s’il l’aime bien bien il ne le lui dirait pas. Elle hausse les épaules. « T’as pas besoin de le dire de toute façon, je le sais » Fausse vanité, qu’elle accentue en faisant un jeté de cheveux en arrière, elle a des longs cheveux, bien compliqué à entretenir il faut bien qu’ils servent à quelque chose non? « Te casses pas je sais qu’en language Berroya, « véritable emmerdeuse » ça veut dire adorable petite fée que tu adores. »  L’espoir fait vivre Louise. C’est fou le nombre de bêtises qu’elle peut sortir à la seconde en panne de répartie. Elle repose son regard sur les filles en train de jouer. C’était bien différent à voir que les matchs des mecs auquel elle assistait presque tous les weekends, mais tout aussi intéressant et captivant à ses yeux. Elle part dans ses pensées et est ramené à la réalité par son nom. Whitford. Son petit ami. Rugbyman. Avec qui elle allait partir pour l’Angleterre à la fin de la saison. Elle avait encore du mal à y croire. Elle n’en parle qu’assez peu avec lui, parce que parler de Matt, c’est parler du Biarritz Olympique, c’est parler de rugby et c’est un sujet qu’elle évite pour le protéger, ne pas le heurter, ne pas qu’il se braque. Enfin il avait abordé lui même le sujet, elle ne pouvait pas se défiler. Elle allait prendre la parole mais il n’avait visiblement pas finit. « Ca parle tellement sur ton compte. J’en entends des vertes et des pas mûres. » Elle hausse les sourcils et son visage s’assombrit, elle se retourne vers le terrain de fortune, son visage était comme un livre ouvert sur ses émotions, elle était incapable de les cacher ce qui faisait d’elle une très mauvaise menteuse, quand elle est affecté par quelque chose, elle a beau le plupart du temps sourire pour cacher ça, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. « Ouais j’imagine… » Elle fronce les sourcils et regarde le sol. Elle hausse les épaules pour faire mine qu’elle s’en fiche de tout ça, des rumeurs, des « kill yourself » qu’elle reçoit sur les réseaux sociaux. Quand elle était avec lui, ça allait, il la rassurait, l’apaisait, lui faisait comprendre qu’il n’y avait qu’elle qui comptait pour lui. Mais le retour à la réalité était toujours difficile. Elle essaye de chasser ce nuage de pensée négative qui lui brouillait la vue et répond finalement à sa question. « Ça va. On a emménagé ensemble… pour préparer l’année prochaine… ça va. » Elle essaye de se convaincre que ça va alors que la phrase de Judd l’a ébranlée bien plus qu’elle ne veut se l’avouer. Si Matt était là, il deviendrait fou de la voir se laisser assombrir le moral de la sorte. Mais il était pas là, et elle se sentait tout d’un coup bien seule et faible. Elle soupire. « Et toi pas de nouvelle conquête à ton bras? » Change de sujet, ça passera inaperçu… ou pas.

« T’es en train de te la péter, là. Ca va les chevilles ? » Louise et moi, c’est une amitié sympa. Si je ne l’appréciais pas, je ne serai pas là à lui parler, alors elle n’a pas besoin que je pose les mots sur comment je la considère. C’est une fille sympa, à qui l’on s’attaque un peu trop inutilement. Les filles savent ce qu’elles font, quand elles balancent des méchancetés. Elles savent qu’elles peuvent l’atteindre et c’est ce qu’elles cherchent, pour libérer le gars qu’elles convoitent. Ce sont des garces. Elles sont bien plus connes entre elles, que nous entre mecs. Suffit qu’on se donne un coup sur la face la plupart du temps, pour apaiser un peu les tensions. Elles, elles sont plus… subtiles. « Les écoute pas. C’est que de la jalousie. Tu as ce qu’elles veulent, c’est pas plus compliqué que ça et ça les fout en rage, c’est tout. » Faut se mettre des œillères, ne pas aller sur les réseaux sociaux. Lorsque je jouais, j’y allais parfois, mais j’essayais de ne pas m’y attarder. Pas parce que je n’en avais rien à faire de ce qu’on pouvait m’écrire, mais bien parce que les critiques font mal, que les gens jugent parfois, souvent sans savoir. Ils sont méchants, surtout derrière un ordinateur. Les mots, ça va tellement plus vite, ça semble inoffensif derrière un PC, mais ça a la même portée que si on vous balançait quelque chose en face, peut-être même que ça a plus d’impact. « Et c’est une bonne chose ? » Ca a l’air… Et en même temps, je me pose la question. Sa réponse est évasive. J’affiche un sourire. « Oui, c’est une bonne chose. C’est plutôt cool que vous en soyez là… Vous êtes bien ensemble. » Je le pense, ils forment un joli couple. Ils sont unis et je les trouve adorable. Je secoue la tête, avec conviction, même si c’est un demi-mensonge. « Non, rien de nouveau. » Le truc, c’est que… La personne qui me fait de l’œil, c’est un homme et durant des années, j’ai préféré garder le silence là-dessus, sur le fait que je pouvais aussi bien être attiré par les femmes que par les hommes, pour ma carrière avant tout. Je l’assume, pourtant, je n’ai pas honte de ce que je suis, d’aller où je vais… Et c’est peut-être cette raison qui me pousse à reprendre : « Promis, tu n’en parleras pas ? » J’aimerais garder son anonymat, ça n’a rien d’officiel, mais nous préserver, c’est important. « Y’a bien quelqu’un, ouais…  Ca se passe bien. Il est sympa. » Je n’en dis pas plus. J’ai utilisé un pronom qui lui en dira long sur ma fréquentation. Je guette sa réaction, sans la craindre. Louise n’est pas du genre à me jeter la pierre pour une chose pareille, mais moi qui ai fréquenté une nana pendant quelques années… Forcément, ça peut surprendre. Mais il me plait, Sebastian. Bien plus que de raison.

si elle comprend très bien ce qu’il entend par « ça va les chevilles? » elle fait mine de ne pas saisir l’allusion et baisse le regard vers ses pieds, en soulevant un pour faire bouger sa cheville. « ma foi oui, ça semble aller, merci de t’en inquiéter, c’est pas tous les jours faciles de porter des talons! » mutine, elle laisse échapper un rire de sa propre bêtise avant de voir son visage s’assombrir quand il fait allusion au rumeur qu’il entend sur son compte, sur son couple surtout. « si elles savaient le prix à payer pour la place, je suis pas sûre qu’elles me l’envieraient » parce que si quand elle est dans ses bras, quand elles lui parlent, quand ils sont ensemble, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, quand on sort de la bulle la chute est violente. elle soupire « je sais que je devrais pas les écouter et laisser leurs paroles m’affecter et si il m’entendait ne serait qu’en parler il s’agacerait profondément mais… » elle marque une pause, fronçant une nouvelle fois les sourcils. « je sais pas. j’ai jamais été une meuf en mode « évidemment qu’il est à fond sur moi, je suis trop bonne » tu vois, j’ai pas la confiance en moi qui fait que je me dis que c’est normal que je me retrouves avec un mec comme lui. les mecs comme lui, ils m’ont toujours ignoré ou pire… » ouais elle en avait bavé pendant son adolescence, brutalisée, moquée. et elle avait personne à l’époque pour lui dire que c’était pas de sa faute, qu’il ne fallait pas qu’elle les écoute, alors elle avait laisser tous ses mots, ses remarques blessantes s’insinuaient dans son esprit, le contaminant de négativité. « je sais pas pourquoi je te dis ça, on s’en fout, oublie. » elle fait un grand sourire comme si ça allait effacer tout ce qu’elle venait de confier connement. « très bonne chose, je suis comblée. » qu’elle ajoute pour répondre à sa question. elle estime en avoir assez dit déjà. comme à son habitude elle dévie la conversation sur un autre sujet qu’elle. rien de nouveau. ok. bon bah ça c’est fait, il va falloir trouver autre chose ma grande. ah non, il se reprend. elle secoue la tête, elle n’était pas du genre à colporter des ragots sur la vie sentimentale des gens de toute façon. elle sourit quand il dit qu’il y a bien quelqu’un, bienveillante. « il est sympa », elle hausse les sourcils, surprise mais pas choquée. elle est pas du genre à juger sur ça, elle est bien placé pour savoir que les sentiments ça se contrôle pas, ça peut tomber sur n’importe qui. dieu sait que si elle avait pu choisir, elle aurait pas choisi matt, c’était trop risqué, pourtant c’était la meilleure chose qui lui soit arriver malgré tout. « niiiiice… pardon l’anglais, déformation professionnelle… je suis contente pour toi, vraiment. j’espère que ça continuera à se passer bien. » elle n’allait pas lui tirer les verres du nez si il n’avait pas envie d’en parler plus que ça, elle pouvait très bien le comprendre.

C’est dingue comme on peut croire des choses et comprendre par la suite que ce n’était pas du tout la réalité. J’étais convaincu que tout se passait bien entre eux, qu’il n’y avait pas d’ombre au tableau. Faut dire que je n’avais pas joué mon curieux comme aujourd’hui et que j’étais resté aux sourires qu’ils s’échangeaient. J’étais loin de penser que c’était à ce point. Matt est un très bon joueur, pourquoi ça m’étonne ? A partir du moment où vous commencez à vous démarquer, à faire parler de vous, que votre notoriété augmente, il y a le reste qui va avec. Depuis qu’il y a les réseaux sociaux, Twitter, c’est pire. « Attends, attends… Tu vas pas te laisser bouffer par des petites pétasses qui n’en valent pas la peine ? » Elles veulent que ça, qu’ils se cassent la gueule. « Franchement, t’as vu un peu ce qu’elles ont dans le crâne ? » Je serai insultant envers les petits pois si je faisais référence à eux, mais c’est pourtant exactement ça. Ce sont des nanas superficielles, obsédées. Elles ne sont pas intéressantes. Elles incitent même à ce qu’on les fuit. « Elles sont jalouses, c’est tout. Les filles sont souvent très garces quand elles n’ont pas ce qu’elles veulent. » Sans vouloir l’offusquer. J’en ai connu des comme ça. J’ai vu la différence avec les années. Le petit gars qui n’avait rien pour lui et celui qui se retrouvait sur le terrain. Les regards ne sont pas les mêmes, les sourires non plus. J’aurais pu avoir bien des nanas dans mon lit si je l’avais voulu et j’en ai un peu profité… Avant de la rencontrer, elle, cette fille qui ne m’a pas réussi. « C’est quoi, un mec comme lui ? Matt, c’est juste un mec passionné qui a envie de jouer tranquillement. La célébrité, les meufs à volonté, franchement… C’est peut-être pas ce qui le botte le plus. Il en dit quoi lui ? » Elle n’a rien à envier aux nanas qui lui courent après. Louise a ce qu’elles n’ont pas, des qualités sympas, qui donnent envie d’en savoir plus à son sujet et on ne peut pas dire que ce soit un thon, c’est même le contraire. Un sourire se glisse sur mon visage, alors qu’elle me donne la pire réponse après ces dernières révélations. « C'est sûr, ça se voit. » dis-je, sur le même ton. Un peu ironique. C’est une fille simple, avec des doutes. Matt aurait bien tort de la laisser filer entre ses doigts. Ils vont bien ensemble, ils s’accordent. « On verra ça… Pour le moment, c’est nickel. Ca me change. » Sebastian est sincère, il a de l’humour. C’est un homme intelligent au physique avantageux. « Je ne me prends pas la tête. Je vis la chose. » Peut-être que ça changera un jour. Pour le moment, ce qui se passe me convient très bien. Je ne sais pas de quoi est fait demain, il viendra assez vite comme ça, sans pour autant m’en rendre malade.