TAZIO + (questions/réponses)

• tu as envie de vomir. mais tu fermes les yeux et tu te forces à oublier tout ça. tu recules loin, très loin dans ton esprit, pour oublier cette prise ferme. il ne te laisse que quelques fractions de seconde pour respirer, avant de se rengainer dans ta bouche. il tape à l'entrée de ta gorge et tu luttes contre ton réflexe nauséeux. s'il y a bien un truc que tu détestes, c'est ça. parce que tu n'as aucun contrôle. tu es juste à genoux devant ce type, dans le coin de cette ruelle dégueulasse. et tu ne peux rien faire d'autre qu'écarter les mâchoires. au moins, il ne te force pas à avaler. il te donne le fric et il s'en va. tu as la tête qui tourne. il a pris son temps, ce con. tu craches sa semence sur le trottoir, et tu empreintes un mouchoir à une fille pour t'essuyer la bouche. tu regardes l'heure sur le téléphone que tu avais gardé dans ton soutif -des fois que tu te le fasses piquer par un client. ça t'étais déjà arrivé, tu ne l'avais jamais retrouvé ce con, en plus.- et tes « employées » te sourient en hochant la tête. t'as fini pour aujourd'hui. tu leur signales que tu ne rentres pas à l'appartement qui vous sert de quartier général. tu vas aller moins loin, parce que faut que tu ailles te brosser les dents. tu as leurs goûts mélangés, à tous ces clients, et tu te sens sale. tu défais les deux discrètes épingles à nourrice qui raccourcissaient ta jupe de trois centimètres, et tu enfiles une veste, que tu boutonnes, de sorte à ce qu'on ne voie pas tout ton décolleté. comme ça, tu ne te feras pas agresser par des gars qui pensent que tu bosses encore. tu te regardes dans une vitre sans tain d'une agence quelconque et tu penses à retirer ce foulard rouge que tu mets quand tu tapines la journée. c'est pour signaler aux filles que tu bosses et que tu ne viens pas juste les délester d'un peu de leur fric, qu'elles ne se le fassent pas piquer non plus.
• tu tapes à la porte de la villa, et tu entres. tu n'aimes pas entrer dans un endroit qui n'est pas chez toi sans te faire entendre avant. tu sais que tazio a d'autres trafics que les filles, tu ne veux pas que ses collaborateurs pensent que tu les espionnes, ou tu ne sais quelles autres inepties. il est là. tu le salues d'un petit signe de la tête et tu retires tes talons hauts, beaucoup trop hauts, d'un noir profond. tu les mets dans ton sac, que tu poses par terre. « je suis désolée, je passe juste me brosser les dents. cinq gars, pas un de respectueux, je vais gerber si je me nettoie pas au moins la bouche. » tu ouvres le placard sous le lavabo de la salle de bains. tu sais qu'il y en a toujours une d'avance, propre, ici. tu vois celles de certaines filles. la brosse à dent est, au même titre que le savon, la meilleure amie de n'importe quelle prostituée. tu attrapes un dentifrice au hasard. ça, ça peut se prêter. personne ne s'en rendra compte. et puis, c'est pas bien grave. tu regardes dans le reflet du miroir, et tu vois la gueule qu'il tire. tu fronces les sourcils et tu craches la pâte blanchâtre, légèrement rosée, te rinces la bouche et tu relèves la tête. « t'en fais une tête, taz. qu'est-ce qu'il se passe ? » tu sais pas grand chose sur lui, mais t'en sais toujours plus que le reste du monde. oh, il y a certainement une ou deux personnes qui le connaissent mieux que toi, tu ne penses pas être privilégiée à ce point. mais au moins, toi, il te respecte. il t'a jamais touchée. mais en fait, t'es peut-être pas venue le bon jour. tu tends l'oreille. il n'y a personne. autant, les filles sont peut-être en train de bosser, mais il y a toujours ses potes, que tu aimes pas, dont les regards te soulèvent le cœur. t'es pas une fille de tazio, et quand tu viens, habillée comme une pute, c'est sûr qu'ils ont qu'une envie c'est de te goûter. même si tu sais que le brun les laissera jamais faire. « si tu veux, je m'en vais. mais si tu préfères, on se met à la cuisine, autour d'un café, et on discute ? j'ai tout mon temps, j'ai fini. tu sais que je suis quelqu'un de confiance. ce que je sais, ce qu'on me dit, personne n'en sait jamais un mot. »

C’est l’anniversaire de sa mère aujourd’hui et comme chaque année, Tazio est mal ce jour-là. Il s’interroge sur beaucoup de choses, se remémore certains souvenirs qui lui reviennent en pleine face, sans aucune difficulté. La vie qu’il a mené jusque-là, c’était du tout cuit. C’est comme si, depuis sa plus tendre enfance, même avant, lorsqu’il était dans le ventre de sa mère, on l’avait destiné à un avenir pourri, un avenir qui ne mérite pas de se projeter. Il ne sait pas s’il regrette, Taz, mais il ne comprend pas très bien ce choix de vie qu’a fait sa mère. Elle ne lui parlait pas énormément des choses sérieuses, qui lui tenaient à cœur. Probablement que l’un des mecs avec qui elle a couché saurait le renseigner, mais il n’a jamais pris la peine de s’informer. Il a peur des réponses, de ce que ça pourrait lui apporter, alors il se dit que ça n’a tout simplement aucun intérêt et laisse filer les choses. Dans le salon, devant la télévision, un documentaire qui passe, Tazio est affalé, les jambes détendues sur la table basse. Les filles sont en train de bosser, sous le regard avisé d’un mec qui a bien voulu prendre en charge les siennes, avec pour ordre de ne pas faire n’importe quoi s’il ne souhaite pas se prendre une baigne. Un discours sérieux. Il connait assez Tazio pour savoir que lorsqu’il dit quelque chose, il ne plaisante pas. Quelques coups à la porte attirent son attention, le dérangeant dans son activité du moment, bien qu’il n’était pas très concentré non plus. Il se lève, ouvre et tombe nez à nez avec Vénus qu’il salue simplement, en la suivant dans la salle de bain où elle trouve ce qu’elle cherche. Elle connait bien la maison, sait où chercher. Elle le connait assez pour savoir qu’il prévoit plusieurs brosses à dents. C’est le plus ordonné de cet endroit miteux, mais qui fait l’affaire pour tous. Ils ont un toit, ils ne s’en plaignent pas. Vénus elle aussi a remarqué son air absent, alors quand elle lui tend une perche, il hésite, mais les questions fusent dans sa tête. « J’peux savoir un truc ? » demande-t-il, sur la défensive, comme si elle pouvait lire en lui à la minute même où il se lancera, mais il va le faire. Il lui fait un signe de tête pour qu’elle le suive jusque dans la cuisine là où il prépare du café. Tazio sait qu’elle est de confiance et c’est peut-être pour ça qu’il n’hésite pas plus longtemps : « Pourquoi t’as… J’sais pas. Le trottoir, tout ça. » Quel est le déclic ? Un problème financier ? Sa mère était accro à la drogue, c’est pour ça qu’elle s’est mise à faire le trottoir, pour payer sa dose, mais il ne comprend pas. Il n’arrive pas à savoir pourquoi elle a sombré dans la drogue, quel est l’évènement qui l’a poussé à goûter à cette poudre blanche dont lui-même était accro lorsqu’il était bébé. Il l’a su, tout à fait au hasard.

• il te fait un signe de tête pour que tu le suives et tu ne te fais pas prier. tu aimerais qu'il s'explique. tu l'apprécies et il a commencé à parler. tu t'assieds sur le rebord de la table, à la cuisine, tandis qu'il se met à faire du café. bien sûr, tu croises les jambes, comme à ton habitude. des fois que des mains étrangères tentent de se glisser entre elles. tazio ne te touche jamais, les contacts sont rares. tu apprécies beaucoup ce genre de personnes. et il te pose cette question. celle-la même. alors tu regardes le café couler lentement dans la cafetière avec un vacarme du diable. et tu réfléchis. pas à la réponse, parce que tu la connais, tu y as déjà réfléchi. c'est comment l'expliquer. tu pinces les lèvres avant de démarrer. « au début, c'est parce que ma mère m'avait coupé les vivres, et que je devais payer mes études de danse classique et contemporaine, les costumes et tout le reste -avec une nouvelle paire de chaussons à soixante-dix euros toutes les trois semaines- en plus du loyer et des courses, même si je mangeais pas grand chose. j'avais pas le temps avec les entraînements et les révisions de faire serveuse ou je ne sais quoi. j'ai suivi une fille pour voir comment elle se débrouillait et je l'ai vue faire le trottoir. alors je l'ai fait aussi. » tu n'aimes pas spécialement parler de ton passé. notamment parce qu'il est flou, et que tu as peur de te tromper. tu as peur d'imaginer des souvenirs. tu ne te fies qu'à ceux qui te semblent clairs. tu reprends le fil de ton histoire. « et puis, après mon accident, j'ai perdu la mémoire et mon droit de danser -j'étais devenue professionnelle, tu vois ?.j'étais plus rien, plus personne. la seule chose qui me liait du rien à la vénus que j'avais été, c'est ça. la prostitution. pas que j'y ai trouvé un plaisir quelconque mais ça m'a permis de ne pas perdre pied. je n'étais qu'une pute, mais au moins j'étais quelque chose. »
• tu ne sais pas si cette explication va lui aller. tu te demandes pourquoi il t'a posé cette question. peut-être qu'il cherche à comprendre pourquoi une de ses filles fait ça ? parce que dans ce cas il risque de ne pas être satisfait de ta réponse. l'histoire de comment chaque personne en est arrivé à faire ça est différente. elle risque de ne pas le contenter. la tienne est particulière, parce qu'il y a ton accident au milieu. tu as un gars qui fait ça pour avoir assez de fric pour se payer sa came. et qui se drogue un peu plus pour oublier qu'il se rabaisse à en faire ça, à n'en devenir qu'un corps. il y en a qui font ça parce qu'ils y ont été contraints. d'autres qui font ça en famille, tu en connais deux qui font ça. tu les connais de vue. elles se protègent l'une et l'autre. les raisons qui vous poussent sur le trottoir sont rarement réjouissantes, et tu te trouves plutôt bien lotie. c'est vrai qu'après tout, tu aurais pu faire quelque chose d'autre. mais tu voulais pas vivre et pas juste survivre, tu voulais avoir du matériel de qualité, et tu voulais aussi pouvoir t'entraîner autant que tu le désirais. et pour ça, il fallait que tu puisses te faire beaucoup d'argent en très peu de temps. alors le trottoir t'avait paru être la meilleure solution, vu que tu refusais d'approcher la drogue, d'une manière ou d'une autre. la poudre blanche, les calmants, tout ça, ça te fait peur. parce qu'il n'est pas rare que tu serves de défouloir à des junkies. et ils sont loin d'être respectueux. et s'ils restent sur le carreau, tu seras autant en faute qu'eux. non, vraiment, tu évites ce monde comme la peste. tu te contentes de le côtoyer. « ça dépend des gens, après, taz. ça fait partie de l'histoire de chaque personne alors la raison est toujours différente. tu ferais mieux de demander directement à la personne concernée si c'est ça qui te travaille. moi, je peux pas te donner la réponse à sa place. mais faut que tui saches que les personnes qui ont fait ça un moment, même après que le souci qui les a mis sur le trottoir ait disparu y retourne, parce qu'elles se rendent compte qu'elles avaient une meilleure paye,ou bien que c'était la seule chose qu'elles savent faire. »

Vénus est là, elle lui raconte et Tazio écoute attentivement. Il l’imagine lorsqu’elle était plus jeune, à vouloir payer ses études de danse, à tenter le diable pour y arriver et il n’arrive pas à la juger, parce qu’il ne connait pas autre chose que ce milieu, lui. C’est vrai que parfois, il lui arrive de se demander ce qui aurait pu se passer, si sa mère ne s’était pas prostituée, si elle ne s’était pas enfoncée dans la drogue. C’était une femme bien, quelque part, même s’il a entendu beaucoup de mal d’elle. Sans doute qu’elle aurait été plus présente. Il n’en sait rien, secoue la tête pour sortir toutes ces idées de la tête. Tazio a des difficultés à la comprendre, il essaie de suivre, mais il se pose d’autant plus de questions après ça. « Alors tu te souvenais de ça et pas du reste ? » demande-t-il, en plissant les yeux, peu sûr de lui. Son histoire est compliquée et la lui offre sur un plateau doré, alors qu’il n’en demandait pas tant. Il souhaitait juste une réponse, simple, pas aussi précise, mais il ne s’en plaint pas, ne crache pas dessus. Ca le rapproche un peu plus de cette femme pour qui il a beaucoup de respect, contrairement aux mecs qui ont la belle vie et qui la verraient, d’un œil extérieur, comme une simple fille à sauter. Il voit plus loin. Elle le lui permet, gracieusement. Il n’empêche que c’est encore plus flou, à présent. Par quelle chose difficile est passée sa mère pour avoir sombré dans la drogue ? « J’peux pas. » qu’il avoue, en baissant les yeux sur la cafetière qui lui indique que le café est prêt à être servi, alors il récupère deux tasses, les pose sur la table et verse le liquide bouillant dedans. « Elle est tombée dans la drogue, elle voulait se payer sa dose, c’tout. » C’est si simple que ça. C’est bien tout ce dont il est sûr. « Elle peut pas m’donner les réponses, elle a fait une overdose, elle est morte. » lâche-t-il, si froidement, comme si ça ne l’atteignait pas, comme si ça lui était égal, mais son petit cœur se resserre, souffre. Il n’aime pas ça. En parler, c’est difficile, mais après tout ce qu’elle lui a confié, il peut bien faire ça, pour qu’elle comprenne la raison pour laquelle il l’interroge à ce sujet. « J’étais pas proche d’elle, je m’en balance. » ment-il, pour sauver la face. « J’me pose juste parfois la question. » Tazio fait le mec dur, parce qu’il n’a que ça. Il se préserve de tout, du monde qui l’entoure, de ceux qui arrivent à s’approcher de lui, de cette fille, Sio, qu’il ne voit plus depuis une semaine parce qu’elle arrivait à lui faire ressentir des choses étranges, qui ne lui plaisent pas. De l’attachement, quelque chose comme ça. Taz tire une chaise, s’installe, pose sa main autour de sa tasse. « Et sinon, avec tout le fric que t’as maintenant, tu vas continuer à te faire baiser par tous les mecs qui passent ? » Il s’en fiche au fond, elle fait bien ce qu’elle veut de sa vie, il ne lui jettera pas la pierre.

• il te fait remarquer que tu te souvenais de ça avant de te souvenir de quoique ce soit d'autre. en réalité, ce n'est pas tout à fait ça. c'est plus compliqué. ça a été plus progressif. « je me souvenais des choses quand je me trouvais sur les lieux, ou dans un lieu similaire. du coup, quand j'ai arpenté biarritz de long en large à la recherche de mes souvenirs, j'ai plus vite reconnu les quartiers dans lesquels j'avais déjà fait le tapin. » une odeur, un son, un visage te suffisaient parfois. et puis d'autres te semblaient comme verrouillés dans ta mémoire. ils étaient inaccessibles. alors tu pouvais te mettre dans des états impossibles pour les retrouver. tu forçais sur les parois de ton crâne comme un gamin qui essaie de pousser les murs, persuadé que c'est comme ça qu'on peut agrandir une pièce. et, parfois, une fois que tu avais ce précieux souvenir, au creux de la main, et que tu le faisais défiler dans ton esprit, tu regrettais de t'en être rappelée. parce qu'ils étaient durs, certains. comme celui de la fois où tu avais été séquestrée et battue, et que c'était bendo qui était venue te sauver. tu avais regretté d'avoir tant forcé, d'avoir fait cette crise pour te souvenir. et tu regrettes encore, quand tu te réveilles, dans le noir, persuadée que tu n'as, en réalité, jamais quitté cette pièce. en général, ensuite, tu te précipites dans le lit de ton frère, au chaud entre ses bras. puis, il t'explique pourquoi il voulait savoir ça. et tu te demandes qui pouvait bien être cette fille pour avoir une telle place dans sa vie. il a beau te dire qu'il n'en était pas proche, tu sens que c'est faux. sans pour autant dire que tu lis en lui ou quoi que ce soit. mais tu le connais un minimum.
• il n'est pas vraiment du genre à se poser des questions sur la vie des gens qui ne comptent pas pour lui, dont il n'est pas un peu proche. tu te demandes qui elle pouvait être. sa sœur ? son ex copine ? sa meilleure amie ? tu ne comprends pas qu'on n'aie pu s'attacher à personne dans sa vie, c'est donc quelqu'un de forcément très proche de lui. et puis, tu te dis que ce ne sont pas tes affaires, de toute façon. même si vous vous respectez l'un et l'autre, même si vous êtes relativement proches, ou du moins assez pour avoir ce genre de discussions, tu n'as pas à savoir cela. sauf s'il désire t'en parler, tu n'as pas à lui poser cette question. ce serait déplacé. et tu n'as pas envie que vous vous disputiez. vous vous entendez cordialement, ce serait dommage de briser tout ça. d'autant plus qu'il t'es d'une aide précieuse, et qu'il prend soin des filles, même s'il n'en est pas aussi proche que toi. tu l'es même trop parfois, à les couver, à prendre les coups à leur place. mais tu as dû te débrouiller seule, refusant l'autorité d'un mac, et tu as dû endurer tout ça. alors tu voulais éviter cette peine à celles qui acceptaient. tu t'assieds sur le rebord de la table. il te demande si tu vas continuer de faire ce que tu fais, maintenant que tu as du fric. il le dit avec des mots crus, mais ça ne te dérange pas. parce qu'ils dépeignent exactement la réalité. tu hausses les épaules. « je vais ralentir peu à peu. j'ai pas entièrement retrouvé qui j'étais, mais j'ai retrouvé mes repères et je m'en suis créé de nouveau. je suis moins une pute qu'une proxénète maintenant. je continue de traîner avec eux, je leur prends leur fric, des fois qu'un client le leur pique. et puis, je les considère comme mes protégés. alors si y a des clients que je sens pas, c'est moi qui les fais. » par exemple, il y en a une qui a choisi de conserver sa virginité et qui pose certaines limites dans les services qu'elle offre. alors, quand elle est seule, et que tu passes, si tu vois que certains la prendraient de force, c'est toi qui t'en occupe. tu veilles sur eux. « c'est pas juste de l'empathie ou quoi. c'est aussi qu'une prostituée brisée sera moins efficace. elle rapportera moins de fric. et puis elle voudra plus bosser pour toi. c'est pour ça que j'en suis aussi proche. » tu le regardes, et il a toujours cet air sombre, le genre de tête qui dit que quelque chose vous mine, mais que vous voulez tout sauf en parler. alors, tu te tais. et tu poses juste ta main sur son épaule. tu es là, si jamais il a besoin de réconfort. il est pas tout seul.

C’est fou quand même de se rappeler de souvenirs peu valorisants et pas du reste, comme si… Comme si ça avait plus d’importance. Et de recommencer ensuite. A sa place, s’il ne se souvenait pas de ce qu’il avait été, il n’aurait jamais voulu essayer, surtout pas pour se remémorer des souvenirs du passé, de ces choses douloureuses et au fond, peut-être que par logique, il n’aurait pu s’empêcher de creuser. C’est ce que font les gens qui n’ont pas d’histoire. Ils veulent savoir, apprendre à se connaître… Mais il y a cette chance de devenir quelqu’un d’autre. C’est ce qu’il aurait aimé, lui, être une autre personne. Ce type, par exemple, qu’il croise parfois. Il ne vit pas très loin de chez lui, rentrer à la même heure avec deux baguettes de pain. Il a une mallette sous le bras et il siffle. Il sort ce petit son qui témoigne de la bonne humeur, doit avoir une vie bien rangée. Il a peut-être une femme, des enfants, il n’en sait trop rien, Taz, mais son attitude le laisse penser qu’il s’en sort bien dans la vie, qu’il n’est pas à plaindre. Lui non plus, il ne se plaint pas, parce qu’il mène une vie bien plus luxueuse qu’autrefois, c’est juste que oui, il les envie, ces gens-là qui savent où ils vont, ce qu’ils sont. S’il devait être un péché capital, ce serait ça. L’envie. Il l’écoute, essaie de comprendre. Non, il comprend. Elle aurait pu lui dire qu’elle ne souhaitait pas arrêter qu’il ne l’aurait pas jugée, parce qu’il est pareil. Avec tout l’argent qu’il gagne, il pourrait très bien se trouver un logement à lui tout seul, se tirer de tout ce merdier dans lequel il est et peut-être envisager de faire quelque chose de ses dix doigts, mais il n’a pas assez d’estime de lui et il excelle dans le milieu où il est… Il ne se pense pas capable de faire autre chose. Alors il laisse le temps défiler, se contente de se lever le matin et de survivre à la journée qui passe en attendant le lendemain et ainsi de suite, sans jamais se projeter, voir plus loin. C’est plus facile. Qui vivra verra, comme on dit. « C’est pas juste de l’empathie, mais ça l’est quand même. » fait-il remarquer. C’est plus une question qu’une affirmation. « Pourquoi tu t’attaches comme ça… ? » Lui, il se montre protecteur. On ne touche pas les filles qui bossent pour lui, mais il ne s’attache pas, il essaie de ne pas leur parler. Elles savent qu’il est là si besoin, qu’il n’acceptera pas qu’on les cogne et ça les rassure, mais elles savent aussi que Tazio n’est pas un grand bavard, qu’il est mieux dans son coin que bien entouré. Certaines se posent des questions, d’autres pas, mais elles ne s’aventurent jamais à tenter le diable en l’interrogeant lui. Il est tout de même le boss, celui qu’il ne faut pas contrarier. Tant que ça roule comme il veut, tout se passe bien. « J’suis pas d’accord avec cette façon de faire, être les potes de ceux qui bossent pour toi. » C’est pas comme ça qu’elles se tiendront bien, selon lui. Dès qu’on leur donne la possibilité de s’exprimer, d’être un peu à côté, elles useront de ce droit, c’est comme tout. Ca profite.

• il te demande pourquoi tu t'attaches à ces filles, et le fait est que tu ne sais pas. tu sais ce qu'elles vivent, ce qu'elles ont vécu. t'as besoin de veiller sur elles. d'être là pour elles, comme tu aurais aimé que quelqu'un soit là pour toi. tu veux pas qu'elles se sentent seules, à la proie du premier pervers venu. tu veux qu'elle se sente en sécurité, qu'elles se sentent en totale confiance, qu'elles n'hésitent jamais à venir te parler si jamais elles ont des problèmes. parce que quand une fille va bien, elle n'est pas autant résignée à faire ce métier que celle qui se sent mal. ça rapporte plus. « je sais pas vraiment. j'ai besoin de me sentir proche d'elles. je veux pas devenir celle qui ne les regarde qu'à peine, celle qu'on craint, je préfère qu'elles m'apprécient, tu vois ? je préfère qu'elles ne se sentent pas trop intimidées quand elles viennent me voir pour m'expliquer qu'elles ont eu un souci. même quelque chose de personnel. si jamais elles ont des ennuis dans leur famille, qu'elles n'hésitent pas à venir me voir pour me demander quelques jours de congés. si elles sont à ce qu'elles font, les clients payent plus, aussi. certaines ont eu des copains violents, à l'époque, je les ai aidées à sortir de cette relation. parce qu'elles n'ont plus aucune gêne, ensuite, à venir me dire qu'elles sont tombées enceintes involontairement. » la confiance, ça a toujours été dans les deux sens pour toi. tu sais que tu peux leur faire confiance. qu'elles savent ce qu'elles font. mais tu as besoin qu'elles aient confiance en toi. et pour ça, tu dois t'en montrer dignes. tu les protèges, t'es à leur écoute. il te dit qu'il pense pas que ce soit une bonne idée et tu comprends son point de vue, même si tu n'as pas vraiment d'accord. mais il est un mec. il a pas le même instinct maternel que toi. et puis, de ce que tu sais, il n'est pas passé par la prostitution -mais tu peux te tromper-. ce qui change pas mal la donne. il sait pas ce que c'est de se regarder dans le miroir et de ne voir que l'empreinte des mains de tout ceux qui ont posé leurs sales pattes sur toi. il ne sait pas ce que c'est d'arpenter les rues, grelottante, en te consolant qu'un client te donnera au moins un peu de chaleur humaine. il n sait pas ce que c'est d'être regardée de haut par les macs, les clients et puis ces femmes comme il faut, avec leur tailleur, leurs escarpins noirs, leur chignon et leur sac à main de marque.