(maona) turn back time

il est environ treize heures trente quand tu quittes l'appartement, une idée bien précise en tête. une idée qui pourrait tout changer, tu le sais. tu y penses depuis bien longtemps, tu y as réfléchi, tu as pesé le pour et le contre. maintenant, c'est clair. tu entends bien la retrouver, cette sœur inconnue. cette sœur qu'on t'a caché pendant des années, cette sœur qui ne doit même pas savoir que tu existes, ou même qu'elle a été adoptée. ou dans le cas contraire, cette sœur qui recherche potentiellement des traces de sa vraie famille, qui ne s'attend peut-être pas à tomber sur toi, sur ta sœur ainée, Gaby. quelque part, ça te fait un peu peur, c'est vrai. faut dire que l'idée de ne plus être la cadette te fait bizarre aussi. t'en a voulu à ta mère, tu lui en veux encore. de vous avoir cacher tout ça, de l'avoir abandonnée. d'avoir été lâche car oui, pour toi, c'est un acte de lâcheté, purement et simplement. tu lui en veux pour la souffrance que ça a pu ou que ça pourra engendrer chez la dénommée Maona. ouais, tu trouves ça carrément dégueulasse d'abandonner un enfant parce qu'il était pas prévu, parce qu'il est issu d'une histoire de tromperie. malgré tout, tu restes respectueuse, elle reste ta mère mais... ça n'empêche pas que tu lui en veux. tu n'es pourtant pas rancunière, Cara. mais ça, c'est trop. ça, c'est quelque chose qui te reste en travers car tu pensais qu'elle méritait toute ta confiance. tu es devant ta voiture, dans laquelle tu t'installes au côté conducteur. - non jure. - quelques minutes plus tard, te voilà sur la route. silencieuse. trop silencieuse. il n'y a que la radio pour venir perturber ce silence pesant et te tirer de tes pensées. il ne te faut pas bien longtemps pour arriver au centre d'accueil que tu as contacté, centre qui te permettra d'avoir des informations supplémentaires sur Maona, de peut-être la retrouver, te donner des pistes. tu espères que ça fonctionnera, tu y crois de tout cœur. tu tournes un moment afin de trouver une place où te garer, tu lâches plusieurs jurons dû au stress qui t'envahit pour tout ce qui va suivre, tu trouves enfin une place, serre le frein et coupe le contact. après quoi, sans plus attendre, tu sors du véhicule, prenant soin de fermer ce dernier comme il faut. paranoïa, quand tu nous tiens. tu prends par la suite la direction du grand bâtiment qui te fait face. on ne va pas se mentir : tu es stressée comme jamais tu ne l'as été. ça n'est pas tous les jours qu'on recherche sa sœur. tu pénètres dans l'enceinte de l'établissement et te diriges aussitôt vers l'accueil. « bonjour, je vous ai contacté à propos de la recherche d'une jeune fille ce matin.. elle s'appelle Maona. » la femme à l'accueil lève les yeux vers toi, elle te regarde de haut en bas mais tu n'y prêtes aucunement attention, tu n'es pas là pour t'énerver avec le premier venu.  

la femme face à toi relève les yeux. son regard désolé qui croise le tiens, elle n'a pas encore ouvert la bouche que tu connais déjà la réponse. elle ne t'en dira pas plus. « nous vous avions déjà répondu par téléphone mademoiselle... nous ne pouvons vous donner d'informations à ce sujet. je suis désolée. » à ce moment-là, toi qui est d'ordinaire si calme, qui maîtrise parfaitement tes émotions, tu n'as qu'une envie : l'envoyer balader avec ses phrases qu'elle doit sortir une vingtaine de fois par jour. tu as juste envie de lui renvoyer dans la face que tout ce que tu veux, c'est trouver la trace de cette Maona. tu veux la trouver, parce que tu en ressens le besoin. parce que tu veux juste connaitre ta sœur - oui chez toi le "demi" ça n'existe pas - et que ses désolés à la con, ça n'est pas ce que tu viens chercher. tu viens chercher des réponses, mais elle, assise derrière son bureau, tu sais qu'elle ne t'en dira pas plus. quand tu finis par enfin faire demi-tour pour partir en marmonnant un au revoir, tu soupires. tu sors sans plus attendre, tu as juste envie de rentrer et aller continuer tes recherches, puisque les personnes vouées à cela ne te répondront que des "désolé, on ne peut rien vous dire de plus". ah. tu lui en veux à ce moment-là, à ta mère. si elle n'avait pas agis de la sorte, il y a vingt-et-un ans et des brouettes, cela se serait passé autrement, tu en es certaine. tu ne serais pas là, arrêtée, nette, devant ta voiture, à te demander comment tu vas bien pouvoir faire. clope au bec, tu en as bien besoin.  « excusez-moi mademoiselle je ... j'ai entendu ce que vous disiez dans le centre là et ... et je peux peut-être vous aider, je connais une Maona, vous avez d'autres informations sur elle ? » tu t'es retournée aussitôt, alors que tu t'apprêtais à, finalement, partir. tu l'as regardée. tu es prise de court, tu ne t'y attendais absolument pas. tu hoches la tête. « hum.. oui, j'ai quelques informations de plus, enfin... des informations de base, qui sont sur papiers. elle a vingt-et-un ans, est née à Bordeaux - c'est là que ma mère l'a abandonnée. » tu en sais plus, bien évidemment mais.. tu n'oses pas tout déballer. tu la regardes, la détaillant discrètement. elle est blonde, comme Gaby et toi. intérieurement, tu aimerais que ça soit elle, là, en face de toi. tu aimerais tellement.

tu la sens déstabilisée lorsque tu lui dévoiles le peu d'informations. elle manque de tomber mais avant que tu n'ais eu le temps de réagir, elle se rattrape. le malaise qui s'installe peu à peu te fait comprendre. c'est elle. c'est ce que tu penses, c'est ce que tu veux croire. ça n'est pas possible autrement. c'est toi qui perd tes moyens petit à petit cette fois, tu trembles. non pas que tu aies peur. tu es surprise, tu en perds tes mots. tu la regardes, ça saute aux yeux, ça résonne comme une évidence sans cesse dans ta tête. ta gorge se serre, tu inspires un grand coup puis... « Pourquoi ? pourquoi est-ce qu'elle l'a abandonné ? » et là tu as l'impression que ça s'effondre autour de toi, le peu d'espoir que tu t'es fondé en la voyant, là, si déstabilisée. tu t'apprêtes à répondre, tu t'apprêtes à lui dire à quel point ta mère a merdé sur ce point, combien tu lui en veux. pas à Maona, mais à ta génitrice, bien sûr. que cette dernière a été voir ailleurs mais qu'elle a préféré être lâche plutôt que d'assumer. t'as pas vraiment le temps de répondre, parce qu'elle reprend bien vite la parole, t'es bien loin de t'imaginer que ce qu'elle va te répondre va te scotcher sur place. « pourquoi est-ce que ... est-ce qu'elle m'a abandonné ? » tu la regardes dans les yeux. c'est elle. tu ne t'étais pas trompée. c'est elle, là, face à toi. c'est votre petite sœur, à Gabriela et toi. t'as presque envie de pleurer, à nouveau. « je.. c'est toi.. ? » c'est sorti tout seul, parce que tu as besoin de t'en assurer, tu as besoin d'être sûre que c'est elle. tu sais qu'elle attend une réponse à sa question, mais tu ne sais pas comment formuler ça. tu baisses les yeux. « elle n'a pas su.. assumer.. elle a été lâche, parce qu'elle avait peur des représailles ou de je n'sais trop quoi.. on l'a su il n'y a pas longtemps, avec Gaby.. ma grande sœur, enfin... ta grande sœur aussi.. » tu te tais, les mots ne veulent pas sortir. c'est tellement délicat..

tu te reprends, tu respires un grand coup. tu te reprends, parce que c'est pas le moment de flancher. parce qu'elle est là, la sœur que tu recherches depuis quelques temps déjà. elle est là, en face de toi, et tu n'te permettras pas de la laisser partir. parce qu'on t'a caché son existence pendant tellement de temps, parce que tu voudrais tellement rattraper ce temps perdu, apprendre à la connaitre. tu la regardes, tu l'observes. « quelles représailles ? je ... je n'comprends pas ...  » sa main vient frôler ton bras, tu l'écoutes. tu n'as jamais été aussi attentive, ou alors très rarement, mais c'est normal. tu l'as (re)trouvée, alors que tu ne t'y attendais pas. « je ne veux pas m'imposer je ... j'ai entendu ce que tu disais, je ne sais pas si tu veux me retrouver, ou quoi, je ne veux pas te déranger mais si ... si tu as un peu de temps, j'aimerai beaucoup prendre un café avec, toi, j'aimerai beaucoup en apprendre plus sur toi. » tu la fixes dans les yeux, tu répliques directement : « tu sais, ça fait un moment maintenant que j'te cherchais alors sache que tu ne me déranges pas, bien loin de là. c'est juste qu'après ce que la femme à l'accueil m'a sorti toute à l'heure, je m'attendais à tout sauf à tomber nez-à-nez avec toi dehors et c'est vrai que ça m'a surprise mais.. » tu cherches à nouveau tes mots. c'est dur de dire ce que tu ressens à cet instant précis. un mélange de joie, de l'avoir trouvée, mais à la fois de tristesse car vingt-et-ans plutôt, vous n'y avez vu que du feu, Gaby et toi. mais ton ainée étant âgée de cinq ans et toi de deux à l'époque, dur de vous en rendre compte, dur de voir ce qu'il se passe. tu réalises que tu n'as pas finis ta phrase, alors après une courte pause, tu reprends : « et oui, j'ai tout mon temps alors.. c'est quand tu veux. » tu lui adresses un sourire sincère. tu veux vraiment la connaitre, tout savoir d'elle, parce que c'est ta petite sœur et que c'est ce qui est le plus important.

« allons dans le café en face alors. » eut-elle proposé, tu acquiesces et tout en traversant, tu finis ta clope. tu l'as suivie, sans broncher. tu t'es contentée de la suivre, l'observer. « je suis vraiment désolée, de te fixer comme ça, c'est plus fort que moi, je ne peux pas m'en empêcher.» tu lui adresses un sourire dans un premier temps. « ce n'est pas grave, ne t'inquiète pas. » ça doit lui faire bizarre. elle qui recherchait des traces de sa mère biologique, voilà qu'elle découvre sur le tas qu'elle a deux sœurs plus âgées qu'elle, alors, tu ne peux qu'être compréhensive. dans cette situation, tu ne saurais pas lui en vouloir pour une quelconque futilité et même en temps normal. « tu ... tu ne m'as pas dit comment tu t'appelais ? et qu'est-ce que tu fais dans la vie du coup ? tu as quel âge d'ailleurs ? je veux tout savoir, et tu peux me poser les questions que tu veux, j'y répondrai. » ah. parler de toi. une de tes difficultés à ce jour, mais tu sais faire des efforts. tu n'as jamais aimé parler de toi, te mettre en avant. ça n'a jamais été ton truc. mais pour Maona, tu es prête à faire une exception, à dépasser tes limites. « pour commencer.. mon prénom, c'est Cara, j'ai vingt-trois ans. dans la vie, j'travaille entant qu'esthéticienne depuis que j'ai fini mes études à Biarritz et à côté de ça, je suis danseuse depuis que j'ai environ... sept ou huit ans et.. je crois que c'est à peu près tout ! et toi, parles-moi de toi, de ce que tu fais de... de tout en fait ahah! » oui, t'es prête à passer le reste de la journée là, à faire connaissance avec elle, à parler de tout, de rien, parce qu'être là et l'avoir face à toi, c'est tout ce que tu espérais.

ce besoin de rattraper tout ce temps, tu le ressens aussi. c'est tellement fort, que tu n'sais pas par quoi commencer. les mots ne te viennent pas. « tu danses ? j'aimerai beaucoup venir te voir danser, un de ces jours. » sa réponse t'arrache un sourire que tu ne parviens pas à retenir. oui, quelque part, ça te touche. ça veut dire qu'elle tient à passer, elle aussi, du temps avec toi et ça, ça te fait terriblement plaisir. « oui, oui ça serait génial ! » tu es sincère, tu n'joues pas de rôle. tu veux tout partager avec elle, ne pas vivre dans le mensonge car tu estimes qu'autant elle que toi vous avez suffisamment vécu dans l'ignorance pour vous cacher des futilités. « alors, tu connais déjà pas mal de choses sur moi, j'ai vingt-et-un ans ... moi je suis encore étudiante, j'étudies l'architecture et le design ... je dessine plutôt bien, sans me vanter, c'est ma passion en même temps, comme doit l'être la danse pour toi. » elle est passionnée de dessin ? toi qui apprécies l'art et avec une sœur aînée tatoueuse, t'aimerais bien les voir, ses dessins. « oui, la danse ça me permet d'évacuer, de me vider la tête, quand j'suis pas bien ou quelque chose du genre... j'imagine que toi aussi c'est le cas avec le dessin ? » t'es loin de penser que ce qu'elle va te dire dans les instants qui vont suivre, elle va te scotcher. « et ... c'est bizarre de le dire finalement mais ... je suis enceinte aussi, d'un petit mois ... t'imagines même pas comme ça me fait plaisir d'avoir retrouvé de la famille, pour moi, pour ce bébé qui va naître je ... je sais, c'est fou, de rencontrer sa soeur, de découvrir qu'on va être tante par la même occasion je ... ça fait beaucoup d'informations à avaler d'un seul coup. » tu la regardes, tu souris encore. ça fait beaucoup d'informations, certes, mais.. tu prendras le temps de réfléchir à tout ça plus tard. « c'est vrai ? c'est super, félicitations ! il faudra que tu rencontres Gaby aussi, histoire qu'on soit au complet, et que tu lui annonces aussi ! » tu souris, t'es joyeuse à n'en plus pouvoir. tu as mal aux joues à force de sourire mais en fait, avoir mal, tu t'en fous. t'es juste joyeuse.