(Oihana) La soirée est à nous

« Ca pourrait t’être utile. » Un master, sur un curriculum vitae, ça fait toujours bien, mais sa décision semble être prise. Oihana a dû se poser les bonnes questions mille fois, pour savoir si c’est ce qu’elle souhaitait vraiment. Ce n’est pas un projet qui est apparu en claquant des doigts, mais bel et bien depuis un moment, alors il ne peut que l’encourager dans cette voie, la suivre, l’aider au mieux. « Tu as pris rendez-vous avec ta banque ? » Il suppose que oui, c’est juste pour avoir confirmation. Ou alors elle attendait d’avoir son avis avant de se lancer vraiment, il n’en sait trop rien. « C’est un très beau projet Oihana. » Bien pensé. Elle fait exactement ce qu’il a fait lui en se lançant indépendamment, en créant son propre boulot. Il espère qu’elle prendra autant de plaisir que lui, qu’elle saura se libérer un peu plus de temps, cependant. Lui l’a fait par besoin, mais il espère qu’elle ne se coupe pas du monde, comme il a pu le faire de son côté. Eneko reprend sa tasse, pour boire une gorgée de son café, lui rendant son projet. C’est à son tour. Et il se sent tout de suite un peu plus nerveux. « Oui, en effet. » Eneko ne sait pas comment amener le sujet sur la table, alors il le fait simplement : « J’ai rencontré une femme. » Autre qu’Anna, inutile de le préciser. Maona est la première sur qui il pose son regard, réellement, au point d’en être obsédé, dépendant. « J’aimerais pouvoir divorcer, officiellement, pour éviter d’avoir à cacher ça. » Ca l’agace de faire une pareille chose, de faire semblant qu’il ne s’intéresse absolument pas à cette blondinette. « Gaël a des vues sur elle, alors forcément, j’aimerais que ça se fasse rapidement. » Il s’est passé deux ans depuis l’infidélité de sa femme, deux ans où il y a eu comme une petite pause en lui, avant de se rendre compte qu’il pouvait se sentir vivant, vraiment. C’est juste compliqué. Eneko n’ose pas vraiment en dire plus, jauge du regard sa filleule en plissant les yeux, comme pour lire dans son esprit, tenter de savoir ce qu’elle pense de cette soudaine révélation. Il craint un instant que son intérêt soudain pour une autre femme que la sienne puisse la décevoir un peu. Il est toujours marié. Il y a toujours la trace de son alliance qui le nargue, lui rappelle qu’il n’est pas disponible, mais il n’arrive pas à contrôler son envie de l’approcher, elle. Et il ne pense même pas essayer, d’ailleurs.

« Tu veux que je vienne avec toi ? » Oihana est jeune et il craint qu’elle se laisse embarquer, qu’elle ne puisse pas négocier les frais. Toutes les banques sont les mêmes, il suffit de discuter un peu, d’avoir de bons arguments et lui en a toujours eu. Il ne se laisse pas faire, n’aime pas se faire marcher sur les pieds, alors il peut être un atout, si elle a besoin de lui. Lorsqu’il est question de lui, en revanche, il semble un peu moins sûr de lui, mais il se confie, parce qu’il peut tout lui dire, parce que c’est sa nièce adorée. Il hoche la tête et confirme ainsi que oui, tout ça est bien réel. Eneko se pince la lèvre. « Que veux-tu que je te dise… Elle voudrait devenir architecte. Elle est douée en dessin. Elle est douce, attentive. Elle me semble fragile. » Ca lui donne envie de la prendre dans ses bras et la protéger. « Elle est attirante. » Oh bon sang que oui, elle est attirante. C’est une très belle femme, avec un regard à en faire fondre plus d’un, à le faire fondre lui. Il n’arrive pas à résister. Maona le regarde comme s’il était le seul homme sur cette Terre, comme si lui seul important. « Elle a de la discussion. Elle est jeune, mais ce n’est pas quelqu’un avec qui je m’ennuie, parce qu’elle a des choses à dire. » Il pourrait ajouter tellement de choses encore, tant cette femme lui plaît, tant il se sent bien avec elle. Eneko resserre son bras autour des épaules de sa nièce et fixe un point devant lui. « Cette femme me plaît. Si Anna m’entendait… » Elle n’en reviendrait certainement pas. Il n’a jamais tenu des propos comme ça, au début de leur relation. Ca a été naturel, mais il ne se souvient pas avoir désiré Anna de la sorte et pour cause, ça ne s’est pas passé comme ça. Ce qui se passe avec Mao, c’est unique, c’est fort, intense. Eneko arbore un sourire. « J’ai répondu à tes attentes ? »

Il la voit, avec son air dépité, triste. Il s’est passé quelque chose pour qu’elle passe du sourire aux larmes. Il la ramasse dans ses bras, les encercle autour d’elle sans y comprendre quelque chose. Il n’aime pas la savoir aussi mal et la raison, il l’apprend bien assez vite. Théo. Encore lui. Ce petit gars qui a décidé de faire son petit bonhomme de chemin, qui a pris la décision de tirer un trait sur sa nièce. Ca lui fend le cœur pour elle qui s’était attachée à ce gamin. Eneko récupère le portable de sa filleule et lit le message. Ca ne vient pas de lui, ça vient d’une fille qui n’a pas trouvé mieux que de lui envoyer un message pour la détruire un peu plus, un message pour qu’elle laisse définitivement tomber, pour lui faire du mal. Si elle se comporte de façon aussi mauvaise, Eneko, lui, il se doute du pourquoi. Elle doit se sentir inférieure, elle doit être jalouse d’Oihana pour lui faire mal à ce point, alors qu’elle n’a finalement pas besoin de tout ça. Il laisse tomber le portable sur le canapé et caresse le visage de sa nièce, tendrement, sans l’empêcher de pleurer. Il se doute que ça doit lui faire du bien de se laisser aller, même si ça le blesse pour elle. Eneko ne sait pas trop quoi lui dire, quoi lui conseiller. Il ne peut pas non plus se permettre de lui faire nourrir un espoir. « Est-ce que tu veux sortir un peu, à la fête du voisinage ? Ca pourrait te faire du bien de prendre l’air, de penser un peu à autre chose, de voir du monde qui t’apprécie. » Ca lui semble être une bonne option. Il n’est pas contre la laisser pleurer dans ses bras si elle le préfère… Mais si une activité peut lui faire retrouver un peu le sourire, forcément, son choix est vite fait.