AZEL + (goodbye, dear world.)

• les larmes roulent sur mes joues sans même que je m'en rende compte. je ne me rends même pas compte que je marche. le poids de toutes ces doses dans le sac est la seule chose qui me relie à la réalité. mort. je n'arrive même pas à y penser. je sais même pas si je respire. l'air entre et sort de mes poumons, mais je n'ai pas l'impression qu'il entre dans mes cellules, que l'oxygène vient jusque dans mon sang. c'est comme s'il était aspiré par le trou béant que j'ai au fond du cœur. je n'ai même pas attendu plus longtemps. peut-être que kiera avait besoin de moi. mais je suis égoïste. j'envoie un message à azel. je lui dis de ne pas passer. que je ne prendrais pas le service ce soir. l'idée d'aller me préparer, de marcher jusqu'aux 100 marches, pour envoyer des bières à des inconnus me semble tellement absurde et ridicule. tout me semble absurde. manger, dormir, respirer. pour quoi faire, hein ? on est tous destinés à vivre brisés, à juste survivre, sans vraiment savoir où on va et à quoi on sert. parce qu'on sert à rien. les colocataires de tazio avaient l'air à peine attristés, tellement ils sont camés jusqu'aux sourcils. et moi ? moi ? moi j'ai plus rien. plus rien, à part cette douce drogue. mais j'aurais plus personne chez qui en acheter. je suis amoureuse, bordel. je suis amoureuse, et il a fallu qu'il crève pour que je m'en rende compte. moi qui disait tout le temps que je vivrais jamais une romance à la roméo et juliette, voilà que je suis en plein dedans. alors autant continuer à fond dans le cliché. est-ce que je manquerai à quelqu'un de toute manière ? à personne. comme lui. il manque qu'à moi, j'ai l'impression. kiera avait l'impression qu'il l'aimait pas, alors elle y est pas attachée, pas vraiment, pas tout à fait. ses colocataires sont des connards. à qui je manquerai au final ? à azel. à kiera aussi. j'espère qu'elle trouvera quelqu'un d'autre pour veiller sur elle. quelqu'un pour soigner ses blessures, la raccompagner jusqu'à chez elle. quelqu'un pour l'observer dormir, parce qu'elle est belle, kiera. et elle mérite un ange gardien. pas quelqu'un qui profite de sa gentillesse.
• il y a azel aussi. azel... il sait que je suis une droguée. l'overdose, volontaire ou non, c'est comme ça qu'on finit tous. sauf ceux qui ont de la chance. les courageux. les résistants. les battants. les héros. les vrais super-héros de ce monde. ceux qui luttent contre la facilité, qui savent ce qu'ils valent, ce qui croient en leur bonne étoile, en leur happy end. ceux qui pensent qu'il y a une porte alternative, une porte cachée, qui la trouvent et qui l'empruntent. et il y a les autres. ceux qui se noient. ceux qui laissent le pétrole dans leur tête et dans leurs veines et les engloutir entier, sans même se battre. c'est pour ça qu'ils ont commencé certains. alors quand Elle arrive, par surprise, ou sur rendez-vous, ils l'accueillent avec le sourire. c'est ça qui est bien. si on est assez débrouillards, on crève avec le flash. on crève avec le sourire. le seul sourire qu'on a de toute façon. quand Elle vient, on en a pas l'impression. on a toujours cette impression de chaleur. et après, on se retrouve dans le Grand Inconnu. je veux me faire aventurière, comme je me l'imaginais petite. je veux découvrir ce nouveau continent. peut-être que j'y croiserais celle qui aurait dû être moi. peut-être que je le verrais. peut-être que y a rien. qu'on cesse tout simplement d'exister. comme la lumière d'une bougie qui disparaît quand on la souffle. je rentre à la colocation, sans un mot. on me parle, je crois, mais je n'entends pas. je suis hermétique à la vie réelle. je m'enferme dans la salle de bains. je prépare mon matériel. je pose tout sur le rebord du lavabo. mais j'entends des pas dans le couloir, quelqu'un qui a ouvert la porte. j'entends quelqu'un m'appeler. alors, je sors. azel. je lui fais un petit sourire, qui sonne faux comme pas possible. « assieds-toi sur mon lit, je reviens. »

• merde. merde, merde, merde et re-merde. je n'avais pas du tout prévu qu'il débarque, comme ça, à l'improviste. il pouvait pas juste se dire que j'avais chopé un rhume ou je ne sais quelle lmerde ? avec la drogue, mon corps ets moins résistant, et j'attrape la moindre petite maladie. il pouvait pas juste penser que c'était ça ? non. il avait fallu qu'il vienne. qu'il constate les dégâts lui-même. et puis qu'il me raisonne, qu'il me dise que quoi qu'il en soit, je devais venir bosser, pour pouvoir avoir un salaire et continuer à vivre à peu près décemment. continuer à vivre. je ferme la porte à clé. c'est tellement égoïste ce que je fais, et je suis tellement désolée pour lui. je ne de vrais pas. je devrais le rassurer, lui dire que je suis patraque, que je suis pas en état de faire mon service, que ça n'a rien à voir avec la drogue. et qu'il s'en aille. mais j'ai peur de ne pas avoir le courage nécessaire si j'attends. j'ai peur de me dégonfler. et je ne veux pas ressembler à ces clichés, ces gifs de filles dépressives qui circulent partout sur le net, avec un rappel des numéros d'urgence et d'écoute en haut de page, assortis d'un petit message, du genre « n'oubliez jamais que vous n'êtes jamais seul et qu'il y aura toujours quelqu'un pour vous aider ». je veux pas qu'on m'aide. je veux juste mourir. je veux juste ne plus rien ressentir. que ce vide dans mon cœur m'avale toute entière.
• j'attrape la poudre, je remplis la cuillère, je fais chauffer, et je verse directement dans la seringue. pas la peine de filtrer, pour ce que je vais faire, les microbes n'auront pas le temps de se développer. ce sera trop tard. et je recommence l'opération. poudre, citron, on fait chauffer, on verse. jusqu'à ce ce que la seringue soit archi pleine. il faut envoyer que la moitié de la dose normalement. le plus vite sera le mieux. je ne veux pas continuer. je ne veux pas regarder tout ça. je ne veux pas me dire que si je m'étais rendue compte que c'était de l'amour un tout petit peu plus tôt, si je n'avais pas fermé les yeux si fort parce que j'avais peur de m'attacher, et de décevoir encore, il serait toujours vivant. il irait mieux. ou du moins j'aurais su qu'il n'allait pas bien, et j'aurais pu faire quelque chose pour lui. j'aurais pu lui tendre la main et lui donner ce que je ne veux pas qu'on me donne. j'aurais pu l'empêcher de faire ça. j'aurais pu le raisonner. j'aurais pu faire tout ce que je détesterai qu'on me fasse à cet instant. je n'ai même pas à me faire de garrot. la veine sur mon poignet est abîmée et elle ressort bien plus que chez une personne normale. je regarde la seringue. je me passe la langue sur les lèvres. et je prie, je prie de toutes mes forces, moi qui n'ai jamais été croyante, pas une seule fois, qui n'ai jamais fait de catéchisme, qui ne suis jamais allée à la messe, qui ne crois ni au paradis, ni à l'enfer, oui, moi, je prie pour mourir. pour ne pas en réchapper. parce que je sais que je n'aurais jamais le courage de le faire deux fois. et que je sais qu'une overdose se finit à l'hôpital. et qui dit hôpital dit sevrage. dans l'absolu, je ne veux pas quitter mon dernier point de repère. le flash est mon seul ami. le seul qui me comprenne. le seul qui sache ce que je vaux. ce que je suis. une pauvre junkie, égoïste. qui se tue alors que ce qui se rapproche le plus pour elle d'un ami proche est dans l'autre pièce. qui le laisse avec un cadavre sur les bras. je pique la veine et j'appuie sur le piston. le flash est plus violent, plus intense que jamais. je sens la nausée me soulever l'estomac. et je m'effondre. aucun son ne répond à azel, ce même azel qui s'inquiète et qui menace de défoncer la porte. personne ne répond parce que siobhàn est écroulée sur le carrelage de la salle de bains, sa seringue toujours plantée dans l'avant-bras, les yeux fermés, et un vague sourire aux lèvres.