(Nino) accident

Non, il n’est pas dans sa tête, mais il n’arrive pas à penser autrement, à voir les choses sous un nouvel angle, bien trop concerné, bien trop affecté. Automatiquement, il resserre ses doigts sur son bras quand elle parle de perdre la vie. Elle y a cru et lui aussi, y a pensé. Ca lui a effleuré l’esprit, avant d’être rassuré lorsqu’il l’a vu dans ce lit, bouger, parler. « Tu l’as appelé parce que tu avais besoin de quelqu’un, tu ne l’as pas appelé pour ça, ou alors j’ai très mal compris. » Il ne l’a pas inventé, c’est bien ce qu’elle lui a dit. Elle avait besoin de quelqu’un. Elle avait besoin de Nino. Il était là. « Je peux le comprendre, Mao, je comprends que tu aies pu avoir besoin de lui, que ce soit une personne qui te soit venue en tête. » Il ne sait pas vraiment si ça sonne comme un reproche, mais ça ne l’est pas. Il ne lui en veut pas de l’avoir contacté, il ne lui en veut pas d’avoir choisi Nino en second recours. Il se sent juste incapable de continuer en sachant qu’il aurait toujours une place, qu’il sera toujours là. Si encore ce n’était que son ex… Ca pourrait aller. Mais ils se sont unis, ensemble, alors qu’ils formaient un couple et c’est ça qui le dérange. C’est pour ça qu’il ne peut pas accepter une chose pareille. Accepter Nino dans la vie de Maona, c’est accepter de passer au-dessus de leur aventure, l’oublier, pour avancer, mais il n’en est pas capable. Alors il baisse les armes. Ce n’est pas ce qu’elle aurait voulu et lui non plus. Il aurait aimé que ça puisse marcher. Peut-être bien qu’ils se faisaient des idées tous les deux, que ce n’était qu’une manière de ralentir le moment où ils devraient réellement tourner la page. C’est peut-être mieux ainsi. Cet accident, il est convaincu que Cameron y est pour quelque chose. Il est convaincu que la personne qui lui a voulu du mal, c’est lui. Maintenant, il n’aura plus aucune raison de s’acharner. Maona sera plus en sécurité. L’enfant aussi. « Je ne t’ai pas demandé de l’assumer seule, enfin. Ce n’est pas parce que notre relation n’est plus, que je vais te laisser te débrouiller. Tu l’as dit, je suis concerné et je ne suis certainement pas d’accord avec le fait de l’abandonner. Je refuse, tu m’entends, je refuse. Tu n’as pas le droit de m’en priver, Mao. Tu n’as pas le droit de l’éloigner comme ça. » Il ne peut pas se résoudre à penser qu’il y a son enfant quelque part dans la nature. Il a envie de le connaître, d’être auprès de lui, de le voir grandir. « Ecoute… » souffle-t-il, en passant sa main sur son visage. « Tu as passé des moments difficiles. Tu ne penses pas ce que tu dis. » Elle ne peut pas l’abandonner, elle ne peut pas en avoir envie et Eneko ne sera pas des pères qui prennent la tangente. Il prend la fuite, uniquement parce qu’il ne peut plus assumer leur couple. C’est peut-être une facilité, mais c’était ça ou se déchirer encore plus, souffrir des deux côtés. « Retourne dans ta chambre, je t’en prie. Repose-toi, tu en as besoin. On en reparle plus tard. » Il ne lâchera pas le morceau. Il fait un pas en avant, mais s’arrête avant d’avoir un geste vers elle. S’il s’écoutait, il la prendrait dans ses bras, il effacerait ses larmes, mais il ne le fait pas, se tenant à la décision qu’il a prise. Il faut.

Ce n’est pas la meilleure vie pour un enfant, Eneko en a conscience. Ce n’est pas comme ça qu’il voyait les choses. Vivre avec la séparation de ses parents, ce n’est peut-être pas une bonne chose pour la stabilité d’un enfant, mais l’idée qu’il soit adopté par un couple qui s’aime, mais adopté, ça lui fend le cœur. Il ne peut pas se résoudre à choisir cette option. Il n’en veut pas. « Mao… Je ne veux pas qu’un jour, il se lève en apprenant qu’il a été adopté. Je ne veux pas qu’il vienne frapper à la porte des centres d’adoption, comme tu es en train de le faire, pour savoir les raisons de son adoption. Je ne veux pas qu’il pense qu’il n’a pas été voulu, parce qu’il est peut-être arrivé par accident, oui, mais je le désire, cet enfant ! » Et quoi ? Dans plusieurs années, il se retrouvera face à un adolescent qui le détestera pour ne pas l’avoir gardé près de lui ? Qui lui dit, en plus, que ses parents sauront prendre soin de lui ? Il n’a pas confiance. Il se fait confiance. Il n’est peut-être pas préparé à cent pour cent et il est imparfait, comme homme, mais s’il y a une chose dont il est certain, c’est qu’il est capable d’essayer d’être un bon père, de faire son possible pour qu’il soit bien. « Si tu ne te sens pas, je… » Il baisse les yeux, hésitant. Il n’aime pas non plus l’idée que cet enfant vive loin de sa mère dont il aura besoin. Mais si elle ne se sent pas de l’élever, lui souhaite l’assumer. Eneko sent son corps contre lui. C’est soudain, c’est une chose à laquelle il ne s’y attendait pas, un contact qui le brûle, qui lui fait du bien, du mal, parce qu’il n’a pas le droit, parce qu’il se l’interdit. « J’aimerais que les choses soient plus simples. » dit-il, alors qu’un médecin s’approche d’eux. Le voyant, Eneko soulève Maona dans ses bras. « Je la ramène dans sa chambre. » Inutile de leur faire la morale, il sait qu’ils ont manqué de discrétion, que les regards se sont posés sur eux, qu’ils ont dérangé des malades, mais ça lui est égal. Il fait demi-tour, revient dans la pièce et la dépose sur son lit. Là, il observe les fils de la machine qu’elle a retirés. « Il faut que j’appelle une infirmière. Elle va venir s’occuper de toi, de ça… » Et puis il faut aussi qu’il aille voir Cameron, pour lui demander, pour en avoir le cœur net. Cette idée lui resserre le cœur. Rien que de penser au fait de se retrouver face à lui, c’est dérangeant, mais si c’est vraiment lui…  Eneko ne peut pas rester là sans rien faire. « Repose-toi. On reparle de tout ça un peu plus tard… » Il repense aux mots qu’elle a prononcé. Elle ne veut pas qu’il l’abandonne et il ne le souhaite pas non plus, au fond. « Je suis là. Peut-être pas de la manière dont tu le souhaiterais, mais je suis là pour toi. » dit-il, en caressant son visage avec tendresse, quelques secondes uniquement, de peur de la brusquer un peu plus.

Une promesse. Malgré tout ce qu’il vient de lui dire et même s’il a mis un terme à ce qu’ils ont, Eneko ne se sent pas de la laisser seule, de lui tourner définitivement le dos, sans être là auprès d’elle lorsqu’elle a besoin de quelqu’un. De lui. C’est une rupture, certes, mais pas entière. Et peut-être que ce n’est pas sain. Peut-être que ça ne les aidera pas. Mais elle a de l’importance à ses yeux et il ne se voit pas disparaître dans la nature. Il lui a dit qu’il serait là et il l’est, en prenant un rôle qu’il n’arrive pas à définir. Qu’est-ce qu’il est, maintenant ? « Repose-toi. » dit-il, en caressant son visage. Il ne sait pas quoi lui dire. Il a mal. Ca lui est douloureux de la voir tant insister, la voir tenir à eux et qu’il se sente incapable de continuer, de son côté. Il aurait aimé avoir la mémoire courte. Ne pas être si rancunier, aussi. Les choses auraient probablement été plus faciles à gérer et peut-être que leur couple aurait fonctionné. Eneko relève les yeux vers l’infirmière qui entre et qui se charge des machines. Il recule, le temps qu’elle fasse son travail, la mâchoire crispée, les sourcils froncés, parce qu’il n’a pas envie qu’elle se mêle de leur histoire. Ca ne la concerne pas, même si elle a tout entendu. Il se détend cependant lorsqu’elle n’insiste pas. Tout ce qui l’intéresse, c’est de savoir qu’elle est entre de bonnes mains ce soir, cette nuit. Il hésite d’ailleurs à rester dans les coins. « Serait-il possible de me contacter si jamais il y a un problème cette nuit ? » Elle hésite, puis finit par hocher la tête. Elle accepte, lui précise que c’est elle qui est de garde cette nuit. Eneko s’approche de Maona, lui prend doucement la main et dépose un baiser sur son front. « Je reviens demain. » qu’il souffle, alors qu’elle s’endort. Elle a besoin de lui, ce sont les derniers mots qu’il entend. Eneko relâche sa main, à contrecœur, l’observe quelques secondes et est repris à l’ordre par l’infirmière qui a une voix qui se veut douce. Il sort de la chambre, s’adosse contre le mur. Tout est terminé. Il se le répète. Tout est fini. Mais il se reprend en pensant à son beau-père. Il se doit de lui rendre visite, maintenant.