vicktoria + une chanson pour une histoire.

tu posas le verre à whisky que tu venais d’essuyer pour le ranger, en même temps que tu observais la salle. Elle n’était pas très remplie : les gens commençaient à partir, comme d’autres, plus nocturnes arrivaient. Le bar n’était pas prêt de fermer, et c’était à peine s’il n’était pas ouvert toute la nuit : en effet, il restait ouvert jusqu’à assez tard le matin, et des clients, de biarritz ou touristes venus d’ailleurs, le peuplaient à chaque heure, même s’il fallait avouer qu’il y avait bien plus de monde entre vingt-et-une heures et trois heures du matin. Surtout un vendredi soir –ou samedi matin- comme celui-ci. Généralement, c’était ce jour là, ou le samedi, que les animations avaient lieu : le bar savait quand ses clients étaient là, et à quoi bon mettre une animation un mardi soir, en pleins milieu de la semaine, quand tout le monde travail ou étudie le lendemain ? ce n’était pas très logique, oui. Mais ce soir, vous les employés aviez de la chance : aucune animation de prévue et donc pas autant de client que d’autres soirs. Et à deux heures du matin, seul les plus téméraires restaient encore assis derrière le bar.
la musique de la radio s’arrête pour redémarrer sur une autre. Ancienne de deux ans, et que tu connaissais bien. Tu savais que les radios de la région passaient sans arrêt cette chanson, la nuit. C’était une question de fric pour ta maison de disque : c’était moins cher, et eux qui avaient beaucoup d’espoir en toi continuaient à avoir quelques acheteurs de ton album, de temps en temps. Ils auraient voulus que tu fasses un autre album, ou quelques nouveaux singles, histoire de. Mais tu refusais. Ils auraient pu rompre le contrat avec toi, et arrêter de vendre le disque, mais ils n’en avaient rien fait, et ce n’était pas pour te déplaire. Tu poses un autre verre sur l’étagère servant à les stocker avant de voir au coin du comptoir, sirotant une vodka que ton collègue lui avait servit, une jeune femme blonde, qui était là depuis le début de la soirée. Bien sûr, tu savais quelle était la boisson que chaque client buvait : tout le secret, c’était le verre. Et pour les quelques boissons aux verres identiques, la couleur. Plus simple pour leur resservir un autre avant qu’ils ne prononcent le nom de la boisson. Tu t’approches d’elle, t’emparant d’un autre verre à essuyer et t’accouda sur le comptoir en même temps que tu passais le torchon à l’intérieur et sur les parois du petit verre, servant pour les shots. « Dure journée ? » tu demandes en faisant allusion au soupir qu’elle venait de pousser, en même temps que le chant de ta chanson débutait, dans le fond sonore de la salle.

elle lève ses grands yeux étranges vers toi. Etranges, car tu avais du mal à mettre une couleur sur les iris de cette cliente. Verts ? Bleus ? Ce qui était sûr, c’est qu’ils étaient clairs. Et immenses. Tu avais rarement vu des yeux aussi grands que les siens, et c’est ce qui faisait l’authenticité de ce visage. Ses longs cheveux blonds caressaient sa peau porcelaine et elle répondit à ta question. « Quelle journée ne l’est pas ? ». Tu esquissas un sourire. Elle avait raison. Toutes les journées de travaille étaient plus ou moins dures. Ça dépendait des personnes, ça dépendait des métiers. Et pour toi, cette femme avait une tête à travailler dans un bureau. Enfin, derrière un bureau. Tu la voyais plutôt bien avec de grosses lunettes noires sur le bout de son nez, se cachant derrière sa chevelure blonde et baissant ses grands yeux vers un clavier d’ordinateur pour taper on-ne-sait-trop quel planning. Mais ça semblait trop facile, de deviner simplement grâce au physique d’une personne quel était son métier. Toi ? Tu ne savais pas quel métier on pouvait t’attribuer, au premier regard. Sûrement pas musicien, car c’était bien ton véritable métier. Tu te cachais derrière celui de barman, pour t’occuper, mais rien de plus. « Aucune, sans aucun doutes. Mais tout reste relatif selon chaque journée. » tu répondis d’une voix rauque, avant de te retourner pour poser le verre que tu essuyais, et en prendre un nouveau, cette fois-ci sec et nettoyé, pour te le remplir d’eau et en revenir à la jolie blonde au comptoir. Tu avalas une gorgée de ton eau pour apaiser ta gorge sèche puis adressa un signe de tête à la jeune femme. « Dans une entreprise ? »

Alors comme ça la blonde qui tu imaginais parfaitement bien en tailleur derrière un bureau travaillait dans un hôpital ? Su le terrain, donc. Et c’est vrai que quand tu y réfléchissais mieux, au premier abord, ce teint porcelaine cachait une autre facette. Celle de la femme, sûrement joyeuse et pleine d’entrain pour pouvoir travailler avec des enfants malades. Mais quel genre d’enfants ? Comment des personnes réussissaient-ils à travailler avec des enfants qui pouvaient du jour au lendemain disparaître ? Comment ne pas s’attacher ? C’était sans doute impossible. Tu laissas paraître un rictus sur tes lèvres et soufflas, amusé par l’adjectif qu’elle venait d’employer. « Curieux ». Ce n’était pas toi, ça. Tu n’étais pas curieux, d’ordinaire. Tu n’allais pas vers les gens, habituellement, enfin, sauf peut-être derrière ce bar. Oui, c’était le bar, sans doute, qui te faisait changer de caractère. Être barman, c’était bon pour la vie sociale : tous les jours de nouvelles rencontres, tous les jours des habitués… Mais la blonde, quand bien même tu venais à peine de lui parler, te donnait envie de parler. Pourtant tu n’avais rien bu, à part de l’eau. Tu ne buvais jamais rien quand tu travaillais. Parce que tu conduisais après, pour rentrer chez toi. Et parce que tu n’avais pas envie de te faire coffrer si jamais ça se passait mal sur la route. « Et vous ? Vous passez votre temps à remplir et nettoyer des verres ou vous savez faire autre chose de vos mains ? » elle avait employé un ton qui pouvait se vouloir provoquant, ce qui te fis plisser tes yeux, le coin des lèvres étiré sur le côté, amusé par la question qu’elle venait de poser. « Comme changer de radio parce qu'écouter un torchon musical pareil me donne plus mal à la tête qu'un lendemain de soirée. » elle venait de continuer, sa voix virant sur l’aigue, montrant une once de plaisanterie. Torchon musical ? c’était la première fois qu’on qualifiait ta musique de torchon musical. Et cette affectation te rendait perplexe. Comment ça, elle n’aimait pas ta musique ? Qu’elle ne connaisse pas, c’était sans doute normal, mais généralement quand on écoutait ta musique on appréciait. Et ça ne faisait que toucher ton égo, pourtant pas très développé. Tu n’aimais pas qu’on te complimente, même indirectement, sur tes compositions, mais qu’on te descende comme ça ? Seulement tu ne laissas rien paraître, restas impassible. Même si, au pire des cas, elle te prendrait sans doutes pour un fan de l’artiste, si jamais ton visage en venait à se décomposer. Mais tu n’aimerais pas qu’on t’attribue cette étiquette là. Alors, comme le bon menteur que tu étais, tu soufflas amusé et t’en retourna vers les commandes de la radio locale pour changer de chaîne, tout en annonçant à l’attention de la blonde « le client est roi. » puis tu reviens vers elle, et, en toisant son verre vide, répond à sa première question. « On dit que je suis habile de mes doigts. Mais, de toute évidence, ce bar est bien le seul endroit où je peux m’occuper. » tu lui adresses un sourire léger avant de te saisir d’une bouteille de vodka à servir, et d’un signe vers la blonde, tu demandes. « Je vous offre un autre verre ? »

la blonde réfléchit quelques courts instants, et tu as l’impression que ton bras s’ankylose, à rester dans cette position. Mais à l’instant où tu allais poser la bouteille pour attendre la réponse, elle se décida enfin. Tu te demandais si elle ne se moquait pas de toi en disant cela. Il était difficile pour toi de comprendre ce que la blonde pensait réellement, de la cerner. Pourtant, il était plutôt simple derrière le bar, de deviner les angoisses des uns et les passe-temps des autres, rien qu’à leur visage ou même à la boisson qu’ils commandaient. Deviner leurs pensées, en observant seulement leur regard, leurs mimiques. Mais cette étrangère, même avec ces tics discrets, restait imprévisible. Puis, de toutes manières, tu n’aimais pas forcément comprendre ce que les gens allaient faire, tu n’aimais pas connaître d’avance les réactions. Ça ne t’intéressait pas, et pourtant, ce n’était pas le cas avec la blonde et ses yeux de biche. Cela étant dit, tu lui avais servit un nouveau verre de vodka. Si tu avais pu –enfin, tu pouvais toujours- tu te serais servit un verre de whisky. Mais tu t’étais dit de ne jamais boire au travail. Alors tu ne glisseras dans la caisse avant de partir, que l’argent pour payer le verre que tu venais d’offrir à la blonde, dont tu ne connaissais même pas le prénom. « Vous aimez bien le … Heu, la chanson qui passait ? » elle bafouilla, légèrement. Si tu devais être tout à fait honnête, tu ne saurais que dire. Aimais-tu tes propres chansons ? Tu y trouvais toujours un défaut. Une note dans ta voix qui était trop haute, ou trop basse. Une note qui ne passerait pas à ton oreille, aiguisée. Une corde de ta guitare qui vrille, inaudible pour un auditeur lambda, mais parfaitement perceptible pour toi, car tu l’avais sentie sous tes doigts, au moment de l’enregistrement de cette bande-ci. Mais heureusement pour toi, tu n’avais pas à être sincère. Alors, après une légère moue pensive, tu répondis en haussant les épaules. « vous savez, quand vous entendez à de trop nombreuses reprises la même chanson, je pense qu’au fond, vous finissez par bien l’aimer, ou en tout cas, la supporter. Enfin, c’est mon cas, et puis, je subis des artistes bien pires tout le long de la soirée ou de mes journées, alors je ne vais pas me plaindre. » tu ne voulais pas te venter indirectement, tu détestais ça. Mais tu devais t’avouer à toi-même que tu faisais tout de même mieux que d’autres artistes, qui parfois ne juraient que par la commercialisation de leur "œuvres", si on pouvais appeler ça des œuvres. Et puis, même si tu n’accepte pas, on s’en fout, et c’est vrai. Point. « pourquoi cette chanson vous déplait à ce point ? » tu demande, un sourcil haussé. Puis tu remarques un nouveau client au bar, et, ton collègue étant occupé, tu abandonnes la blonde quelques minutes le temps de lui servir les quelques shots qu’il demandait. Les clients qui venaient si tard la nuit n’étaient jamais très cleans et tu glissais les verres devant lui, les yeux plissés, t’attendant à une quelconque remarque ou action déplacée de sa part. Mais il n’en est rien. Alors, après qu’il ait glissé la monnaie sur le comptoir pour payer ses verres et que tu les ais toi-même mis dans la caisse, tu en reviens à la blonde.

la blonde approuva ta façon de penser, seulement elle n’en restait pas pour le moins pensive. Sans doutes cherchait-elle à te donner tord, ou bien, si elle était de bonne foi, accepterait ton point de vue ? De toutes manières, tu avais répondus malhonnêtement. Mais déjà qu’elle te descendait, tu n’allais pas t’y mettre, toi aussi. Quand tu revins vers elle, elle leva ses grands yeux vers toi, avant de te répondre. A vrai dire, tu étais curieux de la réponse qu’elle t’offrirait. Tu voulais connaître son point de vue, et de cette manière, peut-être, trouver ce qui n’allait pas, et que tu n’arrivais pas à discerner : après tout, c’était ton œuvre, non ? « Pour répondre à ce que vous avez dit avant de vous éclipser, disons juste qu'elle me sort par les yeux. Elle manque de rythme, je ne trouve aucun sens à la moitié des paroles, la voix manque de caractère par moment, … Plus je l’entends, plus je perçois ses dissonances et ça commence à me rendre folle. En plus une collègue l'écoute à longueur de journée alors j'en peux plus. Si je trouvais celui qui a fait cette chanson, je lui ferais avaler son disque et ses partitions. » tu écoutais avec attention ce qu’elle avait à te dire. Parce que oui, ça t’intéressais. Et parce que oui, elle avait sans doute raison.  Ta chanson la plus connue n’en était pas pour le moins la plus belle, à tes yeux. C’était celle qui faisait passe partout, celle que tout le monde aimait. Un texte que tu avais écrit à tes seize ans, et que tu n’avais jamais modifié plus tard, si ce n’était pour les sonorités. Le rythme ? Il n’y en avait clairement pas, et elle faisait bien de le remarquer. Pas de batterie, car tu ne sais pas en jouer, et uniquement tes instruments principaux : de la guitare, du piano, et de la basse. Tu aurais aimé pouvoir rajouter des cuivres, mais un manque de temps évident lors de l’enregistrement avait été noté, et la maison de disque n’en voulait pas. Ils l’avaient ensuite remixés, ajoutés des effets, pour que ça passe partout, et ça ne t’avais pas plu. Mais tu n’as rien dit, parce qu’au final, qui ça pouvait intéresser ? Et bien, c’était sans compter l’éventuelle rencontre avec une éducatrice spécialisée, deux ans après cette parution. Mais, ce qui était fait, était fait. Cependant, toutes ces remarques restaient parfaitement notées dans un coin de ta tête. Et tu ferais attention à remédier à tout ça, chez toi, une fois au calme et avec tes partitions. Juste pour ta satisfaction personnelle d’avoir enfin trouvé ce qui n’allait pas dans cette chanson qui était ta toute première. La jeune femme s’excuse, et tu ne comprends pas vraiment. Mais tu ne fais aucune remarque et tu la vois, vider son verre d’une traite puis te le donner. Tu t’en saisi et le pose au bas du comptoir en l’observant toujours. « Je pense que je vais y aller. Ça fera combien ? » déjà ? Il était tard, c’est vrai, mais vous veniez à peine de commencer à parler. Tu ne savais même pas son nom. Et puis, comment ça elle fouillait dans son sac pour payer ce qu’elle devait ? Elle n’avait donc pas compris que tu lui offrais ses verres ? C’était une bonne manière de te faire pardonner de lui avoir posé tant de questions, alors qu’elle devait sûrement être là pour passer une soirée tranquille, et qu’elle n’avait pas besoin d’un barman un peu trop curieux –contrairement à d’habitude-. Tu agitas négativement la tête avant de t’en retourner avec le verre pour le poser dans l’évier, aux côtés d’autres usagés. « Je vous ai dit que je vous offrais ces verres, ça ne doit pas être simple tous les jours de travailler avec des enfants. » dis-tu en revenant vers elle, puis en t’accoudant au bar, tes yeux verts en direction de ton interlocutrice. Tu avais l’étrange impression qu’elle refuserait de ne pas payer, mais tu n’en fis rien, et refusas de lui donner le prix de ses boissons. Tu étais têtu, et ça se savait. Enfin, pas elle, mais ton entourage en avait conscience. Puis elle finit par se lever, non sans réticence à vouloir payer, puis sortir. Tu observas sa démarche, légèrement titubante, mais suffisamment pour que tu te rendes compte que, finalement, un second verre n’était pas une bonne idée : mais tu n’aurais pas pu deviner qu’elle partirait si tôt, et pensais que l’alcool aurait le temps de décuver.  Alors, pendant qu’elle se dirigeait vers la sortie, tu te redressas et à grandes enjambées partis t’emparer de ta veste. « hey, je prends ma pause, je reviens. » tu lances à ton collègue barman qui s’occupait d’un autre client. Il ne mourra pas sous le nombre de clients qu’il y avait ce soir : le bar était presque vide –par rapport à d’autres soirs-. Avant de rajouter en murmurant presque en passant prêt de lui « rappelles moi quand je reviens que je dois quatorze balles au bar. » puis tu t’élanças sur les pas de la jolie blonde, et arrivas à la porte juste avant que celle-ci ne se referme.
elle était devant, cherchait quelque chose dans son sac, juste devant une voiture. Et les tintements des clefs arrivèrent jusqu’à tes oreilles. « on ne vous à jamais dit que conduire après avoir bu était dangereux ? » tu lances une pointe d’amusement dans la voix, en t’approchant d’elle.

ses regards noirs, glacés ou encore pleins de reproches ne t’atteignaient pas. A vrai dire, ça te faisait plutôt rire. Tu l’énervais, et ça se voyais. Voilà enfin quelque chose que tu pouvais percevoir chez elle, sans qu’elle ne se cache. Et toi, tu aimais ça. L’énerver, voir sa mâchoire devenir plus anguleuse quand elle la serrait à cause de la frustration, voir ses grands yeux bleus fureter sur toi d’un air mauvais. C’était amusant, mais bien sûr, tu savais que ça ne le serais pas longtemps : si tu voulais que la blonde t’apprécie, ou ne serais-ce qu’accepte ton aide, tu devais lui donner raison. Faire des efforts ? N’était-ce pas comme ça, avec les femmes ? Leur donner raison, se donner tord, accepter la défaite ? C’est ce que tu avais compris, en vivant seul avec ta mère pendant dix-neuf années. Mais il y avait quelque chose qui changeait avec celle-ci. Déjà, tu ne connaissais pas son nom. Dur, quand tu disais pourtant vouloir la connaître. Ensuite, elle n’avait pas, mais alors pas du tout, l’air de vouloir voir encore ta tête et tes tatouages. Ce qui changeait ? C’était qu’avec une autre, tu aurais abandonné, tu l’aurais laissé rentrer chez elle en voiture ou à pied, ça ne t’intéressait pas, tu ne lui aurais peut-être même pas offert à boire. Tu l’aurais juste regardée partir après une altercation comme celle que tu avais eue avec cette éducatrice. Mais pas elle. D’ailleurs, ça te frustrais énormément. Mais l’instinct venait tout seul, et tu voulais en savoir plus sur cette femme, quoi qu’elle en dise, quoi qu’elle te dise. De toutes manières, tu t’attendais à te faire rembarrer comme au bar il y avait quelques minutes. Mais ça ne faisait qu’attiser ta curiosité. Il  y avait quelque chose dans cette inconnue qui t’intriguait. Et pas seulement le fait qu’elle t’en veuille, enfin, plutôt à Az’, mais après tout, c’était la même personne : et on le voyait bien en cet instant. « Et vous on ne vous a jamais dit de vous mêler de vos affaires ? » elle te répond en perdant le sourire victorieux qui s’était affiché sur son visage porcelaine et éclairé par les lampadaires du quartier. Un autre regard de mort, et un sourire en coin se dessina sur tes lèvres. « tout bon barman doit savoir faire attention à ses clients, non ? » tu demandes une fois de plus, en t’approchant de l’automobile dans laquelle la blonde allait s’engouffrer. Et qui signifiait entrer dans cette voiture, signifiait partir sans que tu puisses la rattraper. Et tu ne connaitrais toujours pas son nom. « ce n’est pas bon de prendre la voiture après deux verres de vodka, imaginez si une patrouille de nuit vous fait un simple contrôle ? »  le coup des flics pouvait marcher, tu le savais. Si la blonde était raisonnable, elle saurait qu’à Biarritz les policiers patrouillaient de nuit. Et il suffisait d’un peu de malchance pour que ça tombe sur elle : s’ils la voyaient déraper sur la route, freiner, accélérer un peu trop, montrant une conduite influencée, ne serait-ce qu’un minimum, pas l’alcool. « je peux vous raccompagner, c’est ma pause clope. » tu continues après quelques instant, affichant un certain sourire sur ton visage.

Un sourire que tu perds, peu à peu, en voyant l’effet qu’à l’alcool sur la jeune femme. L’alcool et l’agacement de te voir partout, mais que voulait-elle ? Il y avait plusieurs manières de réagir à l’alcool, comme le rire, le fou-rire, incontrôlé, humain, mais peut-être parfois exagéré. La tristesse, les pleurs, les lamentations. La colère, la violence, les accusations. Ou encore des réactions et gestes non-mesurés par celui qui les fait. Ça peut partir d’un simple geste physique, minime, comme un baiser, une gifle, un câlin pour aller jusqu’à finir dans un lit ou se battre jusqu’à ce qu’on les arrête. Il y avait tellement de réactions possibles face à l’alcool, à des degrés différents, que même les plus téméraires ne s’en rendaient sans doute pas compte. Parfois même, plusieurs réactions étaient fusionnées. C’était le cas de la blonde devant toi, ou en tout cas, c’était l’impression que tu avais. A la fois la colère et le rire. Mais l’alcool ne faisait qu’augmenter les réactions qu’elle aurait eu en temps normal, parce qu’au fond, l’alcool n’était que révélateur de tout ce qui se trouvait dans notre tête. C’était comme si l’alcool brûlait le filtre de la raison.  « Parce que vous croyez que j'ai envie que vous me raccompagniez ? C'est vrai, n'importe quelle fille devrait apprécier qu'un inconnu lui offre à boire et ensuite qu'il la suive jusqu'à chez elle ! » alors elle te prenait pour un inconnu. Bien sûr, c’est ce que tu étais, mais c’était comme si elle avait peur de toi et de ce que tu pourrais lui faire. Ta mine devient plus grave, tes yeux ne la quittent pas. Plus ça allait, et plus tu la convainquais de ne pas t’écouter. Tu la vois ouvrir la portière et attendre. Elle s’appuie contre la porte qui bouge un peu, et tu ne dis rien, tu continue de la toiser, elle et sa voiture, en cherchant ce que tu pourrais faire pour la faire changer d’avis, et même si elle ne voulait pas rentrer avec toi, la faire rentrer à pied. C’était toujours moins dangereux. En la voyant contre la portière, tu ne peux t’empêcher de te demander quand elle allait tomber par terre. L’adrénaline de son agacement, rajouté aux boissons qu’elle avait bu ce soir donnait l’impression qu’elle n’allait pas réussir à tenir sur jambes bien longtemps. « Maintenant laissez-moi. C'est pas que je n'ai pas envie de vous écraser mais ça ferait une raison de plus aux flics de m'arrêter. » tu souffles mais tes sourcils restent froncés. Ça avait commencé parce que tu voulais t’amuser encore un peu, juste le temps de ta pause, mais ça ne finissait pas comme tu l’imaginais. Alors tu te mords la lèvre supérieur et recule, en levant les bras en signe d’abandon. Mais tu restes là, à observer ce qu’elle allait faire. Elle monte dans sa voiture, et avant qu’elle ne ferme la portière conductrice, en même temps que tu sortais ton paquet de cigarettes de tes poches tu répondis. « Faites comme vous voulez, dans ce cas. Vous préférez que j’appelle les pompiers tout de suite ou que j’attende d’entendre une voiture déraper au bas de la rue quand vous serez partie ? » tu finis, en mettant une cigarette dans ta bouche pour la tenir et y porter ton briquet, ta main en office de coupe vent pour ne pas éteindre la flamme autours du petit générateur de gaz et d’étincelle.

Tes sourcils restent froncés, et son sourire amer avant sa réponse toute aussi acerbe n’en vienne qu’à te faire plisser les yeux. Elle ferme la portière quand tu tire une première fois sur ta cigarette, et allume le moteur quand une bouffée de fumée sort lentement de ta bouche, pour  s’élever et rejoindre la lumière d’un lampadaire qui était juste à côté de vous. Tu ne la quitte pas des yeux et tu la vois dans la voiture, s’activer. Tu entends un juron sourd, derrière les vitres et ton sourcil droit se hausse, intrigué. Elle bouge, tu vois ses longs cheveux en bataille se balancer devant ses yeux, sur ses épaules. Et elle ouvre la portière. Tu la suis des yeux pendant qu’elle fait le tour de son véhicule, cherchant quelque chose auprès des roues. Un sourire revient s’esquisser sur ton visage quand tu remarque une roue, plate. Coïncidence de bon résultat, ça arrivait au bon moment. Et tu remercias mentalement, quiconque eut fait ça. « Sales mômes ! » tu l’entends jurer pendant que tu portes une fois de plus la cigarette à sa bouche, en soufflant, amusé par l’état d’énervement de la blonde qui devait être à son maximum, ou pas loin. Elle revient à l’avant de sa voiture, s’empare de ses affaires, et en tout homme libre que tu es, tu ne peux t’empêcher d’incliner la tête pour être dans l’angle de l’ouverture de l’automobile, et quand elle revient, tu te redresses, tournant sur toi-même pour observer les alentours. La rue était calme, et sombre, mais qu’en était-il des autres ? Celle-ci était éclairée, mais parfois il se trouvait que les lampadaires d’une rue de Biarritz soient éteins, ou défectueux. Tu entends la voiture se verrouiller. « Voilà, j'espère que vous êtes content : je rentre à pied chez moi. » tu relâches la fumée que tu contenais dans tes poumons en même temps que tu lâches un sourire, plus que satisfait. « vous n'imaginez pas à quel point. » et tu la vois s’éloigner, sans faire attention à ce que tu dis, sans t’adresser un seul regard. Madame est vexée, et ça se voit. Enfin, vexée, en colère, et vraiment de mauvais poil. Sacré caractère, elle ne t’était même pas un peu reconnaissante d’avoir essayé de ne pas la faire se tuer sur la route. M’enfin. Tu la rejoins à grandes enjambées, et en quelques secondes sur te retrouves à ses côtés, pendant que ses cheveux volent au vent derrière elle, la tête haute. C’est sûr que de ton mètre quatre vingt dix, tu la dépassais d’une bonne tête et demi, voir bien plus, et ce n’était pas difficile de la rattraper, même si elle se dépêchait. « les rues ici ne sont pas toutes sûres, ça serait con que vous tombiez sur des personnes, bien plus lourdes que moi. » tu dis en retenant un rire face à l’autodérision que tu venais de faire. Tu savais que tu ne la lâchais pas, et qu’elle devait te trouver trop présent, mais à vrai dire, tu ne pouvais pas la laisser seule à presque trois heures du matin, dans les rues de Biarritz.