(Dorian) Besoin de partager

Le bar est plutôt vide. Quelques clients par ci, par là. Dorian n’aime pas lorsque l’ambiance est inexistante, lorsque le bruit ne résonne pas jusque lui. Il préfère les bruits de verre brisé qui s’écrase sur le sol, les disputes, les rires, les dragues à deux balles de ses clients qui veulent choper une fille pour la soirée. Il préfère ça à ce silence de mort. Il y a bien quelques clients au fond de la salle, en train de parler ensemble. Un couple qui fait connaissance pour la première fois et pour éviter de trop penser, de se noyer dans des souvenirs qui le hantent jour et nuit, il se focalise dessus, avec son collègue, le serveur qui vient s’appuyer contre le comptoir, ayant lui aussi terminé ses commandes. « Tu crois qu’elle couche le premier soir ? » demande-t-il, à Dorian qui affiche un sourire. Il hausse les épaules, n’en sait trop rien. A sa façon de se comporter, elle a l’air de vouloir plaire à l’homme en face d’elle. Elle porte une robe, qui remonte jusqu’à ses genoux, qu’elle tire parfois, des talons qui font bien dix centimètres et pour avoir croisé son regard lorsqu’elle est entrée, il sait qu’elle s’est mise en valeur, qu’elle s’est maquillée. Elle rit, peut-être d’une blague qu’elle ne trouve même pas drôle. « Le deuxième, plutôt. » répond-il, pour jouer le jeu. Son collègue part à rire, puis emporte son plateau. « Ah la joie du célibat, tu peux te faire tout et n’importe quoi. Profite va ! » C’est ce qu’il fait, parce qu’il a horreur d’être seul. Il n’aime pas finir sa nuit sans personne, mais il n’aime pas non plus s’investir dans quelque chose de sérieux. C’est pas comme son collègue qui s’est marié il y a peu et qui semble le regretter, parfois, à entendre la manière dont il en parle, mais Dorian sait qu’il tient tout de même à sa femme, qu’elle le stabilise un peu. Une autre cliente entre dans le bar et la première chose qu’il remarque, c’est son air tourmenté qui se confirme dans sa commande. Dorian s’exécute, non sans lui adresser un regard, puis pose le verre face à elle qu’elle descend d’un coup. Quatre autres suivent, aussi rapidement. Ca aurait été Tara qu’il aurait ralenti la cadence, clairement. Il hésite même à en servir un sixième, mais il le fait, laisse le verre glisser jusqu’à elle. C’est le même mélange, avec un peu de chance… Non, elle ne va pas tenir sur ses jambes. Amusé, Dorian s’appuie avec ses coudes sur le comptoir. « A continuer, je vais presque devoir vous donner toutes mes bouteilles et vous tenir les cheveux pour tout dégobiller. » Ca arrive parfois qu’il appelle un taxi pour que les hommes, ou les femmes, rentrent bien chez eux. Il attrape son bras et note un numéro, celui du bar, au crayon feutre noir. « Si je suis perdue, appelez ce numéro. » au cas où elle s’en irait rapidement. « C’est quoi l’histoire ? » Il pourrait faire un livre entier de toutes les histoires qu’on lui a raconté. Dorian en a entendu des vertes et des pas mûres, mais il s’y intéresse toujours.

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« Si, si si, je veux savoir. Et toi t’as besoin d’en parler. » Il s’autorise le tutoiement, parce que ça casse une barrière, parce qu’il est plus à l’aise sans. Dorian reprend le verre vide, le ramasse sous le barre et le remplace par un autre plein. Un barman, c’est similaire à un confident, presque, à la différence que ses clients ne sont pas protégés par le droit de réserve, celui de la confidentialité, mais il n’a aucune raison d’en parler à quiconque. Sauf à Tara avec qui il aime bien parler, même de ces choses. C’est comme ça qu’il s’est fait la plupart de ses liens, d’ailleurs. La cliente se lance enfin, balance une première chose, qui ne lui semble pas si originale que ça. Ca arrive bien plus souvent qu’on ne le croie, même s’il se doute bien que c’est un détail important pour sa cliente et qui la touche bien plus que de raison. S’ajoute le patron. A la rigueur… Et le dernier élément le fait grimacer. « Ouh. T’en tiens une couche, toi. » S’il avait un palmarès, elle serait certainement dans son top trois. C’est… étrange. C’est… non, c’est dégoûtant. L’inceste, c’est quelque chose qu’il n’arrive pas à concevoir. Un frère et une sœur, se plaire, déjà, il n’arrive pas à comprendre comment ça peut arriver, surtout lorsqu’ils grandissent ensemble. « Et t’étais pas au courant que c’était ton frère ? » Peut-être n’ont-ils pas vécu ensemble, peut-être que l’attirance était plus forte que tout, s’ils ont grandit ensemble, mais cette dernière option est délirante. Il n’a pas besoin d’être à la guerre pour constater que le monde qui l’entoure part en vrille. Un nouveau verre vide. Par pitié, peut-être, Dorian reprend son bien et le remplace une nouvelle fois. Il comprend qu’elle se réconforte avec quelques verres d’alcool. « Qu’est-ce que tu comptes faire ? » Déjà, oublier, avec l’alcool, il l’a bien compris. Quand lui a besoin d’oublier, il est là, il écoute les autres, il boit des verres lorsqu’il n’est que simple client, alors même s’il son côté pro lui souffle de ralentir et de lui proposer de lui appeler un taxi pour rentrer, une autre part de lui comprend qu’elle ait besoin de faire le vide. Mais, et ensuite ? « Tu comptes rester dans ta boîte ? » Qu’il demande, les yeux dans les siens qui sont sombres, qui marquent sa peine. Un autre client qui était avec une table de trois, s’avance, prend place à côté d’eux, jette un œil à la petite blonde qu’il dévisage, apercevant le verre sur le comptoir. Il sent l’alcool. Il sent l’occasion. « Besoin de compagnie ma jolie ? » Il sent qu’il a une chance de terminer la nuit chez lui, pas seul. Avec tout l’alcool qu’elle a ingurgité, impossible de savoir comment elle pourrait réagir. Dorian ne le voit pas, mais le client pose une main sur sa cuisse, pour voir si elle est réceptive à ce qu’elle dit, si elle réagit bien, mal.

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Le genre d’histoire qui n’arrive que dans les films, qu’on ne veut pas vivre, qu’elle vit sans même l’avoir voulu. Dorian ne sait trop quoi lui dire pour la soulager de ce mal-être. Y’a-t-il vraiment quelque chose à dire ? Alors il lui pose la question, lui demande ce qu’elle prévoit pour demain. Et comme si le client avait entendu son appel au secours, il se pointe devant eux pour tenir compagnie à l’inconnue, faire en sorte qu’elle oublie l’homme qui la torture, l’aider à en désirer un autre. Il est plus vieux qu’elle, a un air sûr de lui sur son visage, la drague ouvertement. Dorian ne dit rien, s’éloigne même du comptoir pour parler à son collègue. Avec le peu de monde qu’il y a, il n’est pas si utile de rester deux à servir les clients. « Y’a moyen que tu me remplaces ? Je te revaudrai ça, comme à chaque fois. » Un regard vers la blonde avec le gars qui s’approche un peu plus d’elle, maintenant. Elle est tellement mal qu’il en profite. « T’es sérieux ? » Dorian acquiesce, plisse les yeux en attendant la réponse de son collègue qui arrive, avec un sourire. « A condition que tu fasses le ménage toute la semaine. » Il entrouvre la bouche, secoue la tête. Le ménage, il doit déjà le faire chez lui et ce n’est pas encore fait. C’est un vrai bordel sans nom. « Alors bon courage pour ce soir. » « Ok ! » Avec satisfaction, Olivier sourit, pose son plateau sur le comptoir et l’autorise à y aller. Le ménage, toute la semaine. Si encore ce n’était que passer le balai, mais ici, il faut nettoyer le sol, ramasser les bouts de verre qui restent, faire attention à ce qu’il n’y ait pas de chewing-gum collé sous les tables. C’est une corvée, un truc qu’il déteste faire, mais soit, il lui rendra la pareille lorsque ce sera lui, qui demandera un service. Dorian se tourne vers la blonde qui se fait sauter dessus par l’autre gars qui ne sait pas se tenir. Sa façon de la toucher le ramène à Thea, en Afghanistan. A la différence que là-bas, il ne pouvait rien faire. Il voit rouge, attire l’attention de son client en posant une main sur son bras. « Elle t’a dit de ne pas la toucher, alors arrête, c’est bon, va voir ailleurs avant que je te jette dehors. » Ce n’est pas la première fois qu’il vient squatter ici, ce ne sera pas la dernière, mais ça pourrait le devenir si jamais il continue, mais il ne le fait pas, se redresse avec son verre, non sans un dernier mot à l’adresse de la blonde : « Espèce d’allumeuse. » Dorian lui fait signe de s’éloigner, attrape sa veste sous le comptoir, sur un carton de litres de jus de fruits et fait le tour du comptoir, le coude appuyé contre le comptoir. « Je te ramène ? Tu saurais encore me dire où t’habites ? »

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« Attention, je pourrais te prendre au mot. » Il essaie de faire un peu d’humour, de la détendre, mais il sent bien que ça ne changera rien à son état. L’alcool ne lui redonne pas le sourire, ne l’aide pas à rire, ça la déprime encore plus. Elle oublie, tout, jusqu’à son adresse. Un prénom, c’est déjà pas mal, cela dit, ça lui évitera de l’appeler l’inconnue ou la petite blonde pour l’interpeller. « C’est déjà ça. Je m’appelle Dorian. » dit-il, pour lui rendre la pareille, qu’elle sache qui se trouve à ses côtés. Il fait signe à son collègue en guise d’au revoir et appuie sa main sur son bras afin de la tenir debout, comprenant bien qu’elle ne pourra pas se déplacer par elle-même. Dorian pousse la porte, la sort à l’extérieur. Le vent est fort, caresse leurs visages, caresse celui de la blonde qui a bien besoin de respirer. Il s’avance, jusqu’à sa voiture dont il ouvre la porte côté passager. « Pourquoi, ça devrait ? » Son regard devrait changer après ce qu’elle lui a confié ? Ce qu’il voit, lui, c’est une femme qui sombre, qui a besoin d’être relevée. Ce n’est définitivement pas la bonne personne pour ça, étant donné qu’il ne s’est jamais relevé, lui non plus, mais il peut au moins la ramener dans un endroit un peu plus sûr. Chez lui, bien qu’elle dorme dans ses draps lui pose quelques problèmes. Il sait d’avance qu’il ne dormira pas de la nuit, ou que ses yeux se fermeront quelques minutes, pour se rouvrir dès lors qu’il sentira son corps partir en avant, sur le fauteuil. « Ecoute. Ce que t’as fait avec ce type, ça ne me regarde pas. Et toi-même t’as dit que tu n’étais pas au courant du lien que vous aviez. Je t’aurais certainement trouvé un peu tarée sur les bords si c’était le contraire. » Il admet. Ce n’est pas une relation à entretenir, pour lui et même si c’est difficile, Dorian trouve ça bien qu’elle mette fin à cette histoire un peu trop tordue. Il fait le tour, s’engouffre dans le véhicule à son tour et démarre, jusqu’à Pétricot, jusqu’à son immeuble. « Ce n’est pas hyper rangé, au fait. » Il la prévient, avant qu’elle ne mette les pieds chez lui. A nouveau, il la guide, sert comme soutien pour monter les escaliers, l’ascenseur étant en panne depuis quelques jours. Lorsqu’ils arrivent enfin à sa porte, il ouvre, jette un œil à l’intérieur qui ne le dérange finalement pas. Il s’y est fait, à son bazar. La chose à laquelle il ne se fait pas, c’est à la lumière, alors il se contente d’allumer la lampe à pied, baisse l’éclairage, pour que ce soit faible, mais que les pièces soient visibles. Il passe derrière le bar et attrape un verre où il verse de la vodka, l’autre du whisky. « C’est une sacrée histoire dans laquelle tu t’es embarquée. » dit-il, en lui tendant le verre. Il prend le sien, ouvre la fenêtre pour faire passer l’odeur de la cigarette qu’il est en train d’allumer. « T’en veux une ? » Il fait glisser le paquet jusqu’à la table basse, près du canapé, au cas où elle en souhaiterait une, avec son briquet à l’intérieur. « Ca faisait combien de temps que tu le fréquentais ? »

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« Un mois ? » essaie-t-il de deviner, en prenant une taffe. La question semble la déstabiliser. Le verre qu’il lui a tendu se boit d’une seule traite, encore une fois, comme si elle buvait du petit lait. Peut-être devrait-il en arrêter-là, peut-être que c’est suffisant pour elle ce soir, que c’est trop pour qu’elle puisse en supporter. Il se penche vers le cendrier, laisse sa cigarette sur le bord et se rapproche de Maona, la rattrapant par le bras. Il la redresse, la ramène sur le canapé. « T’as qu’à rester ici ce soir. La chambre est à côté. » Il ne peut pas la laisser partir dans cet état, seule. N’importe qui peut tomber sur elle au passage et il n’est pas certain qu’en appelant un taxi, elle sache monter les marches de son propre immeuble. Supposant qu’elle est inquiète, de qui il est, de ce qu’il va faire, Dorian ajoute : « Je ne vais pas abuser de toi, t’en fais pas va. » dit-il, en se laissant tomber à ses côtés. Il en profite pour reprendre sa clope, par besoin. C’est un grand dépendant du tabac. C’est ce qu’il prend lorsqu’il est anxieux et il l’est toujours depuis qu’il est rentré à Biarritz en décembre, depuis qu’il a retrouvé ses repères. « Je préfère que les femmes soient un minimum conscientes. » Ca n’aurait posé aucun problème à son client, tout à l’heure, qui se serait même contenté d’une femme dans les vapes. Ca ne l’aurait pas dérangé d’abuser de Maona. « Je ne fais pas de mal aux femmes. Je leur fait du bien en même temps qu’elles me font du bien. » confie-t-il. Pendant un moment, il oublie. Il se laisse aller. Il termine sa cigarette et l’écrase dans le cendrier. « Suis-moi, je vais te montrer ta chambre pour la nuit. » Il saisit sa main, sachant qu’elle ne va pas tenir debout s’il ne l’aide pas à marcher et se dirige vers la pièce d’à côté. « La salle de bain est juste là, tu vois. » Dans la chambre se trouve une porte fermée qui donne sur la salle de bain. C’est petit chez lui, mais il est seul et ça lui suffit. Il n’a pas besoin de plus et a d’ailleurs tous le nécessaire dans ce petit logement. Il a connu pire que ça. Il y a des jours où il ne dormait pas dans un lit, mais sur une chaise dure, ou à même le sol. Le confort de son appartement, c’est un luxe à ses yeux.

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« Je ne suis pas un mec gentil. » Il le pense. Dorian, il est imparfait, pas de la même manière que l’homme qu’elle fréquente, mais il est ne se pense pas gentil. Il se connait agressif, pas toujours fin lorsqu’on lui parle, mais s’il profite de ce que peuvent bien lui donner les femmes, sans les revoir par la suite, pour ne pas s’attacher, Dorian sait qu’il n’ira jamais à l’encontre de ce qu’elles veulent. Abuser d’une femme, physiquement, ce n’est pas envisageable. Elle, elle ne le sait pas tout ça. Il se recule, poussé par ses mains, toujours plus proche de la sortie de la chambre. Comprenant où elle veut en venir, Dorian se saisit doucement de ses mains et les fait retomber le long de son corps. « C’est bien la première fois qu’on me vire de ma propre chambre. » dit-il, un air amusé sur le visage. Parce que habituellement, on demande à ce qu’il reste, mais il ne le peut pas. Dans le meilleur des cas, il reste juste le temps que son inconnue du soir s’endorme, avant de disparaître. Ce qu’il va faire là aussi, sur demande. « Ecoute, je vais pas rentrer, ni te sauter dessus, mais… évite de faire ça. » ajoute-t-il, un brin amusé. Il la dévisage, l’observe de haut en bas et la détourne pour ouvrir son armoire où il sort un tee-shirt et un bas. Ce ne sont pas ses vêtements, ça a été oublié par quelqu’un dont il ne se souvient pas le prénom. Une femme. Il s’en va pour prendre un seau dans la salle de bain qu’il pose près du lit. « Au cas où… Ce serait cool que tu dégobilles tout dans le seau, plutôt que sur le lit. Ca m’éviterait des soucis. » dit-il, de connaissance de cause, tout en sortant de la chambre. Il s’appuie contre l’encadrement de la chambre, les bras croisés. « J’suis pas très doué pour conseiller les gens. » Ni pour parler, tout simplement. Surtout sur les sujets sérieux. « Mais si t’as besoin de parler. » Il lui fait un signe de la tête, désignant le salon derrière lui. « Tu sais où me trouver. » Dorian reste quelques longues secondes là, s’assure que ce qu’il dit a été entendu, puis il s’éloigne de la pièce dans laquelle elle est, vers le salon, près de sa fenêtre avec un paquet de cigarette dans les mains. Savoir qu’il y a une présence, qu’il n’est pas tout seul, c’est apaisant… Et il est contradictoire en même temps, parce qu’il n’est pas à l’aise pour se caler dans un fauteuil et trouver le sommeil.

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